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Добавлен: 05.08.2024

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Et puis… tout lui revint.

Le jour de leur rencontre. La première fois qu’elle l’avait vu, il était perdu dans une rue de Paris, il tenait un plan de la ville à la main et cherchait son chemin. Elle l’avait pris pour un étranger. Elle s’était approchée et lui avait demandé en articulant « je peux vous aider ? ». Il lui avait jeté un regard éperdu, avait expliqué : « J’ai un rendez-vous important, un rendez-vous d’affaires, et j’ai peur d’être en retard. – Ce n’est pas loin, je vais vous y conduire », avait-elle dit. Il faisait beau ce jour-là, c’était le premier jour d’été à Paris, elle portait une robe légère, elle venait d’être reçue à son agrégation de lettres. Elle se promenait le nez en l’air. Elle l’avait piloté et l’avait laissé devant une grande porte en bois verni, avenue de Friedland. Il transpirait, s’était essuyé le visage et avait demandé, inquiet : « Je suis présentable ? » Elle avait ri et avait dit : « Vous êtes impeccable. » Il l’avait remerciée avec un regard de chien battu. Elle se souvenait très bien de ce regard. Elle s’était dit : C’est bien, je lui ai rendu service, j’ai servi à quelque chose aujourd’hui, il a l’air si misérable, ce pauvre garçon. Oui, c’était exactement en ces termes qu’elle avait pensé à lui. Il lui avait proposé d’aller boire un verre après son rendez-vous, « si ça se passe bien, on fêtera ma nouvelle embauche, sinon vous me consolerez ». Elle avait trouvé cela un peu maladroit comme invitation, mais elle avait accepté. Je me souviens très bien d’avoir accepté parce qu’il ne me faisait pas peur, qu’il faisait beau, que je n’avais rien à faire et que j’avais envie de le protéger. Il ne semblait pas à sa place dans cette ville trop grande pour lui, dans ce costume trop ample, avec ce plan qu’il ne savait pas lire et les rigoles de sueur qui lui coulaient dans les yeux. En attendant de le retrouver, elle était allée se promener sur les Champs-Élysées, avait acheté une glace vanille-chocolat, un tube de rouge à lèvres. Elle était revenue le chercher devant la même porte en bois verni. Elle avait retrouvé un homme flamboyant, sûr de lui, autoritaire presque. Elle s’était demandé si c’était elle qui l’avait idéalisé le temps de sa promenade ou si elle l’avait mal perçu la première fois. Elle l’avait vu sous un angle nouveau : viril, réconfortant, spirituel. « Ça a marché comme sur des roulettes, lui avait-il dit, je suis embauché ! » Il

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l’avait invitée à dîner. Il avait parlé pendant tout le repas de son prochain job, il ferait ci, il ferait ça, elle l’écoutait et avait envie de se laisser aller. Il était si rassurant, si entraînant. Plus tard, elle s’était demandé sous combien d’angles on pouvait percevoir une même personne et quel angle était le bon. Et si le sentiment qu’on éprouvait envers cette personne variait selon l’angle… S’il l’avait invitée à dîner alors qu’il était égaré, anxieux, transpirant, aurait-elle dit oui ? Je ne crois pas, avait-elle reconnu, honnête. Je lui aurai souhaité bonne chance et je serais partie sans me retourner… Alors à quoi tient la naissance d’un sentiment ? À une impression fugace, fluctuante, changeante ? À un angle qui se déplace, laissant la place à une illusion qu’on projette sur l’autre ? Le jour où il l’avait demandée en mariage avait été un jour autoritaire et viril. Elle avait dit oui. Cela l’avait tracassée longtemps au début de son mariage, d’autant plus que l’angle sous lequel lui apparaissait Antoine changeait souvent…

Aujourd’hui, il n’y a plus d’angle. Il est mort. Il me reste une image d’homme flou, mais d’homme aimable et doux. Il lui aurait fallu une autre femme que moi, peut-être.

Vous allez faire quoi maintenant ? demanda Joséphine à Mylène.

J’hésite. Je vais peut-être partir en Chine. Je ne sais pas si les filles vous l’ont dit, mais j’ai monté un business là-bas…

Elles m’ont raconté…

Je crois que je vais y aller, je pourrais gagner pas mal d’argent…

Son œil avait repris de l’éclat. On sentait qu’elle pensait à ses projets, à ses commandes, à ses futurs bénéfices.

Vous devriez essayer, en tout cas ; cela vous changerait les idées…

De toute façon, je n’ai guère le choix. Je n’ai plus rien, j’avais donné toutes mes économies à Antoine… Oh ! mais je ne vous demande rien ! Je ne voudrais pas que vous croyiez que je suis venue pour ça…

Joséphine avait eu un imperceptible mouvement de repli quand Mylène avait parlé d’argent. Elle s’était dit un centième de seconde : Elle est venue me demander de lui rembourser les

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dettes d’Antoine. Devant le regard doux et triste de Mylène, elle s’en voulut d’avoir pensé ça, chercha à se rattraper.

J’ai un beau-père qui commerce avec les Chinois. Vous pourriez aller le voir, il vous donnerait des conseils…

Je me suis déjà servie de son nom pour approcher un avocat, rougit Mylène.

Elle se tut un instant et joua avec la poignée de son sac.

C’est vrai que ce serait bien si je pouvais avoir un rendezvous avec lui.

Joséphine lui écrivit l’adresse et le téléphone de Chef sur un morceau de papier et le lui tendit.

Vous pouvez lui dire que c’est moi qui vous envoie. On s’aimait bien, avec Marcel…

Ça lui faisait drôle de l’appeler Marcel. Il changeait d’angle, lui aussi, en changeant de prénom.

Elle fut interrompue dans ses pensées par une cavalcade dans l’escalier, le bruit d’une porte qui s’ouvrait à toute volée et Zoé déboula, rouge, essoufflée, s’arrêtant net devant Mylène. Son regard alla de sa mère à Mylène en se demandant : Mais qu’est-ce qu’elle fait là ?

Et papa ? demanda-t-elle aussitôt à Mylène sans lui dire bonjour ni l’embrasser. Il est pas avec toi ?

Elle s’était placée au côté de sa mère et la tenait par la taille.

Mylène était justement en train de me dire que ton père était parti faire des repérages à l’intérieur du pays. Il veut agrandir ses parcs. C’est pour ça que vous n’avez plus de nouvelles depuis quelque temps…

Il n’a pas emporté son ordinateur ? demanda Zoé, soupçonneuse.

Un ordinateur dans la savane ! s’exclama Mylène. Tu as vu ça où, Zoé ? Tu me fais un baiser ?

Zoé hésita, regarda sa mère, puis s’approcha de Mylène et déposa un prudent baiser sur sa joue. Mylène la prit dans ses bras et la serra contre elle. L’intimité manifeste entre Zoé et Mylène choqua d’abord Joséphine qui se reprit vite. Hortense fut tout aussi surprise et distante que sa sœur. Elles prennent mon parti, se dit Joséphine qui n’était pas mécontente, c’est assez bas de penser ça mais ça me réconforte. Elles doivent se

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demander ce qu’elle fait là. Elle répéta ce qu’elle avait dit à Zoé. Mylène approuva du menton pendant qu’elle parlait.

Hortense écouta puis demanda :

Il n’a pas de téléphone non plus ?

Il ne doit plus avoir de batterie… Hortense n’eut pas l’air convaincu.

Et toi, qu’est-ce que tu es venue faire à Paris ?

Chercher des produits et voir mon avocat…

Elle voulait savoir si elle pouvait appeler Chef pour son affaire en Chine. Ton père lui a dit de s’adresser à moi, intervint Joséphine.

Chef, reprit Hortense, soupçonneuse. Qu’est-ce qu’il a à faire là-dedans ?

Il travaille beaucoup avec les Chinois…, répéta Joséphine.

Mmoui…, dit Hortense.

Elle se retira dans sa chambre, ouvrit ses livres et ses cahiers, commença à travailler mais l’étrangeté de la situation, sa mère dans la cuisine avec Mylène, leurs mines chiffonnées et leurs yeux rougis, ne lui disait rien de bon. Il est arrivé quelque chose à papa et maman ne me le dit pas. Il est arrivé quelque chose à papa, j’en suis sûre. Elle passa la tête dans le couloir et appela sa mère.

Joséphine la rejoignit dans sa chambre.

Il est arrivé quelque chose à papa et tu me le dis pas…

Écoute, chérie…

Maman, je ne suis plus un bébé. Je ne suis pas Zoé, je préfère savoir.

Elle avait prononcé ces mots d’un ton si froid, si déterminé que Joséphine voulut la prendre dans ses bras pour la préparer. Hortense se dégagea d’un geste sec et violent.

Arrête tes simagrées ! Il est mort, c’est ça ?

Hortense, comment peux-tu dire ça ?

Parce que c’est vrai, hein ? Dis que c’est vrai…

Elle tendait un visage fermé, hostile vers sa mère, la provoquant de sa colère. Elle avait les bras raidis le long du corps et toute son attitude la rejetait.

— Il est mort et tu as peur de me le dire. Il est mort et tu crèves de trouille. Mais à quoi ça sert de nous mentir ? Faudra

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bien qu’on sache un jour ! Et moi, je préfère savoir maintenant… Je déteste les mensonges, les secrets, les gens qui font semblant !

Il est mort, Hortense. Happé par un crocodile.

Il est mort, répéta Hortense. Il est mort…

Elle répéta ces mots plusieurs fois, ses yeux restèrent secs. Joséphine tenta de l’approcher une nouvelle fois, de passer son bras autour de ses épaules, mais Hortense la repoussa violemment et Joséphine tomba sur le lit.

Ne me touche pas ! hurla-t-elle. Ne me touche pas !

Mais qu’est-ce que je t’ai fait, Hortense ? Qu’est-ce que je t’ai fait pour que tu sois aussi dure avec moi ?

Je ne te supporte pas, maman. Tu me rends folle ! Je te trouve, mais je te trouve…

Les mots lui manquaient et elle soupira, exaspérée, comme si toute l’horreur que lui inspirait sa mère était trop grande pour tenir dans des mots. Joséphine courba le dos et attendit. Elle comprenait le chagrin de sa fille, elle comprenait sa violence, elle ne comprenait pas pourquoi ce chagrin et cette violence se retournaient contre elle. Hortense se laissa tomber sur le lit, à côté d’elle, observant une distance afin que Joséphine ne l’effleure pas.

Quand papa était au chômage… quand il se traînait à la maison… tu prenais tes airs de bonne sœur, tes airs doucereux, pour nous faire croire que tout allait très bien, que papa était

«en recherche d’emploi », que ce n’était pas grave, que la vie allait recommencer comme avant. Elle n’a jamais recommencé comme avant… Tu as essayé de nous le faire croire, tu as essayé de le lui faire croire.

Que voulais-tu que je fasse ? Que je le mette dehors ?

Fallait le secouer, lui mettre la réalité devant le nez, pas le conforter dans ses illusions ! Mais toi, tu étais là, toujours en train de nia-nia-nia… de dire n’importe quoi ! Toujours en train d’essayer que tout s’arrange avec des mensonges.

C’est à moi que tu en veux, Hortense ?

Oui. Je t’en veux de tes airs gentils, doux, complètement à côté de la plaque ! De ta générosité à la con, de ta gentillesse débile ! Je t’en veux, maman, t’as pas idée de ce que je t’en

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veux ! La vie est si dure, si dure, et toi, tu es là à prétendre le contraire, à essayer que tout le monde s’aime, que tout le monde partage, que tout le monde s’écoute. Mais c’est de la connerie, tout ça ! Les gens se dévorent, ils ne s’aiment pas ! Ou ils t’aiment quand tu leur donnes quelque chose à manger ! Tu n’as rien compris, toi. Tu restes là comme une conne, à pleurer sur ton balcon, à parler aux étoiles. Tu crois que je ne t’ai jamais entendue parler aux étoiles ? J’avais envie de te balancer pardessus le balcon. Elles devaient bien se marrer les étoiles à t’entendre radoter, à genoux, les mains croisées. Avec ton petit chandail de rien du tout, ton tablier, tes cheveux plats et mous. Et toi, tu pleurnichais, tu leur demandais de l’aide, tu croyais qu’un bel ange allait descendre du ciel et résoudre tous tes problèmes. J’avais pitié de toi et en même temps je te détestais ! Alors j’allais me coucher et je m’inventais une mère fière, droite, impitoyable, une mère courageuse, belle, belle, je me disais ce n’est pas ma mère cette femme agenouillée sur le balcon, cette femme qui rougit, qui pleurniche, qui tremble pour un oui ou un non…

Joséphine sourit et la regarda avec tendresse.

Vas-y, vide ton sac, Hortense…

Je t’ai détestée au moment du chômage de papa. Dé-tes- tée ! Toujours à amortir, à étouffer, tiens, tu t’es même mise à grossir pour mieux amortir ! Tu devenais plus moche de jour en jour, plus molle, plus… rien du tout et lui, il essayait de s’en sortir, il essayait de continuer, il mettait ses beaux habits, il se lavait, il s’habillait, il essayait mais toi, tu le contaminais avec ta douceur répugnante, ta douceur qui dégoulinait, qui l’engluait…

Ce n’est pas facile, tu sais, de vivre avec un homme qui ne travaille pas, qui est toute la journée à la maison…

Mais fallait pas le materner ! Il fallait lui faire sentir qu’il avait encore du courage ! Toi, tu le ratatinais avec ta douceur. Pas étonnant qu’il soit allé voir Mylène. Avec elle, il se sentait un homme tout d’un coup. Je t’ai détestée, maman, si tu savais ce que je t’ai détestée !

Je sais… Je me demandais juste pourquoi.

Et tes grands sermons sur l’argent, sur les valeurs de la vie, j’en aurais vomi ! Il n’y a plus qu’une seule valeur

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aujourd’hui, maman, ouvre les yeux bien grands et avale ça d’un coup, il n’y a plus que l’argent, si t’en as t’es quelqu’un, si t’en as pas alors là… Bonne chance ! Et toi, tu n’as rien compris, rien compris du tout ! Quand papa est parti, tu ne savais même plus conduire la voiture, tu passais tes soirées à faire des comptes, à compter tes petits sous, t’avais plus rien… C’est Philippe qui t’a aidée avec les traductions, Philippe qui a du blé, des relations. S’il n’avait pas été là, on aurait fini où, hein ? Tu peux le dire ?

Il n’y a pas que l’argent dans la vie, Hortense, mais tu es trop jeune.

Dis-le bien vite que je suis jeune ! Parce que j’ai compris beaucoup de choses que tu n’as pas comprises, toi. Et je t’en voulais de ça aussi, je me disais : mais on va où avec elle ? Je me sentais pas en sécurité avec toi et je me disais : c’est encore trop tôt, mais un jour je ferai ma vie et je me casserai de cet endroit ! Je ne pensais qu’à ça. J’y pense toujours d’ailleurs, j’ai bien compris qu’il ne fallait compter que sur soi… Papa, si j’avais été sa femme…

Nous y voilà !

Exactement ! Je lui aurais mis les points sur les i, je lui aurais dit : arrête de rêver et prends ce qu’on t’offre. N’importe quoi mais commence quelque chose… Je l’ai tellement aimé, papa ! Je le trouvais si beau, si élégant, si fier… et si faible à la fois. Je le voyais se traîner toute la journée dans cet appartement, avec ses pauvres occupations, les plantes sur le balcon, sa partie d’échecs, son flirt avec Mylène ! et toi tu ne voyais rien. Rien ! Je te trouvais bête, si bête… Et, en même temps, je ne pouvais pas faire grand-chose. Ça me rendait folle de le voir comme ça ! Quand il a trouvé ce boulot au Croco Park, je me suis dit qu’il allait s’en sortir. Qu’il avait trouvé un truc où il pourrait réaliser ses rêves de grandeur. Les crocodiles ont eu sa peau. Je l’aimais tellement… C’est lui qui m’a appris à me tenir droite, à être jolie, différente, c’est lui qui m’emmenait dans les magasins et m’habillait si bien, après on allait dans un bar de palace parisien et on buvait un verre de champagne en écoutant un orchestre de jazz. Avec lui j’étais unique, j’étais magnifique… Il m’a donné ce petit truc en plus, cette force qu’il n’avait pas. Il me l’a donnée à moi, il n’a pas su se la donner à

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lui. Il n’avait pas de force, papa. Il était faible, fragile, un petit garçon mais pour moi, il était magique !

Il t’a aimée à la folie, Hortense. J’en suis témoin. Parfois même j’ai été jalouse de ce lien entre vous deux. Je me sentais rejetée sur le côté, avec Zoé. Il n’a jamais regardé Zoé comme il t’a regardée, toi.

Il ne se supportait plus à la fin. Il buvait, il se laissait aller, il croyait que je ne le voyais pas, mais je voyais tout ! Il ne supportait plus ce qu’il était devenu : un échec ambulant. Déjà, cet été, il avait des moments où il était pitoyable. Alors ça vaut mieux comme ça !

Elle se tenait toute droite, au bord du lit. Joséphine restait à distance, la laissant évacuer son chagrin comme elle le pouvait, avec les mots qu’elle voulait bien mettre sur sa peine.

Soudain elle se retourna et fit face à sa mère.

Mais c’est hors de question, hors de question, tu entends bien, qu’on revive ce qu’on a connu quand il était au chômage. Je ne veux plus connaître ça, plus jamais ! Il te donnait de l’argent ?

Oh, tu sais…

Il te donnait de l’argent ou pas ?

Non.

Donc on peut vivre sans lui ?

Oui.

À condition qu’elle empoche l’argent du livre, songea Hortense en regardant sa mère. Ce n’est pas sûr qu’elle le fasse, qu’elle revendique, qu’elle réclame.

On ne va pas redevenir pauvres ?

Non, ma chérie, on ne va pas redevenir pauvres, je te le promets. Je me sens la force de me battre pour vous deux. J’ai toujours eu cette force-là. Jamais pour moi mais pour vous, oui.

Hortense lui lança un regard plein de doutes.

Il ne faut pas que Zoé sache, c’est sûr. Il ne faut pas que Zoé sache… Zoé n’est pas comme moi. Il faudra lui dire les choses en douceur. Mais ça, je te laisse faire, c’est ton rayon…

Elle demeura un long moment, emmurée dans son chagrin et sa colère.

Joséphine attendit et dit :

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On lui dira petit à petit, ça prendra le temps qu’il faudra, elle apprendra à vivre sans lui.

On vivait déjà sans lui, conclut Hortense en se levant. Bon, c’est pas tout ça mais j’ai mon bac à réviser, moi.

Joséphine quitta la chambre sans rien dire et revint à la cuisine où Mylène, Gary et Zoé l’attendaient.

Mylène… elle peut rester dîner avec nous ? Dis oui, maman, dis oui…

Je crois que je vais rentrer à l’hôtel, chérie, dit Mylène en déposant un baiser sur les cheveux de Zoé, on est tous très fatigués. Demain, j’ai une dure journée…

Elle remercia Joséphine, elle embrassa Zoé. Elle paraissait bouleversée. Elle les regarda une dernière fois, se disant : Si ça se trouve je ne les verrai plus jamais, plus jamais.

Début juin, Hortense et Gary passèrent les épreuves du bac. Joséphine s’était levée tôt pour leur préparer leur petit-

déjeuner. Elle demanda à Hortense si elle voulait qu’elle les accompagne et Hortense lui répondit que non, ça lui saperait le moral.

Hortense revint, le premier jour, satisfaite, le deuxième jour aussi, et la semaine passa sans qu’elle tremble ni s’angoisse. Gary était plus flegmatique mais ne semblait pas se faire de souci. Il allait falloir attendre le 4 juillet pour connaître les résultats.

Shirley ne vint pas tenir compagnie à son fils. Elle avait décidé de s’installer à Londres et cherchait un appartement. Elle appelait tous les soirs. Gary partit la rejoindre dès que les épreuves furent terminées.

Zoé passait dans la classe supérieure avec le tableau d’honneur. Alexandre aussi. Philippe les emmena tous les deux faire du cheval à Évian. Il croisa Joséphine le jour du départ sur le quai de la gare, et l’émotion qu’elle lut sur son visage la bouleversa. Il lui prit la main et lui demanda « ça va ? ». Elle comprit : tu es toujours amoureuse ? et répondit oui. Il lui baisa la main et murmura : « Forget me not ! »

Elle eut une terrible envie de l’embrasser.

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Zoé n’avait plus demandé de nouvelles de son père. Hortense avait rappelé la journaliste de Gala et obtenu un

stage de trois semaines comme accessoiriste lors des prises de vues. Elle partait travailler tous les matins, pestant contre les transports en commun qui lui prenaient tout son temps, répétant « mais quand va-t-on déménager, maintenant que Shirley n’est plus là, qu’est-ce qu’on attend pour s’installer à Paris ? ». Joséphine y pensait de plus en plus. Elle commença à visiter des appartements du côté de Neuilly pour que Zoé ne perde pas tous ses amis. Hortense avait déclaré que Neuilly lui allait très bien. « Il y a des arbres, un métro et des autobus, des gens bien habillés et bien élevés, je n’aurai plus l’impression de vivre dans une réserve, de toute façon je vais partir, dès que j’aurai mon bac, j’irai faire ma vie loin d’ici. »

Elle ne parlait plus de son père. Chaque fois que Joséphine demandait « ça va, ma chérie, tu es sûre que ça va ? Tu ne veux pas en parler ? », elle haussait les épaules, exaspérée, et ajoutait « on s’est tout dit, non ? ». Elle avait demandé à ce qu’on ressorte la télé de la cave, maintenant que les examens étaient passés. Elle voulait regarder les magazines de mode sur les chaînes câblées. Joséphine prit l’abonnement que lui demandait Hortense, ravie de voir sa fille se changer les idées.

C’est là, un dimanche de mi-juin, alors qu’elle était seule chez elle, qu’Hortense était sortie, qu’elle attendait qu’elle rentre, que Joséphine alluma la télévision. Hortense lui avait dit : « Regarde la Trois, ce soir, il se peut que tu m’aperçoives… Ne me loupe pas, ça ne durera pas longtemps. »

Il devait être onze heures et demie du soir et elle dressait l’oreille à chaque bruit dans l’escalier. Elle lui avait donné de l’argent pour prendre un taxi, mais c’était plus fort qu’elle, elle n’aimait pas la savoir seule, le soir. Seule dans le taxi, seule dans la banlieue, seule dans la cage d’escalier. Quand Gary l’accompagnait, c’était différent. Rien que pour ça, songea-t-elle, c’est bien qu’on déménage. Neuilly est calme, si calme. Je me ferai moins de souci quand elle sortira le soir…

Elle regardait, distraite, l’écran, appuyant sur la télécommande pour changer de chaîne, revenant sur la Trois pour y guetter Hortense. Luca avait proposé : « Je peux venir

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