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Добавлен: 05.08.2024

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Elle promena un regard attendri sur ses cousins et ses cousines, ses frères et ses oncles, ses tantes et ses nièces. Comme elle les aimait de lui avoir donné cette idée lumineuse ! Comme elle chérissait leur mesquinerie, leur médiocrité, leur tronche avinée ! Elle avait vécu trop longtemps à Paris. Elle avait pris des habitudes de ripolinée. Elle avait perdu la main. Oublié la lutte des classes, des sexes et du porte-monnaie. Je devrais venir ici plus souvent, suivre une formation continue. Retour à la bonne vieille réalité : comment garder un homme ? Avec un polichinelle dans le tiroir. Comment avait-elle pu oublier cette vieille recette millénaire qui engendrait les dynasties et remplissait les coffres-forts ?

Elle faillit leur sauter au cou mais se retint, prit un air de pucelle offensée, « non, non, je n’y ai jamais pensé », s’excusa de s’être emportée, « c’est le souvenir de maman qui m’a toute chamboulée ! J’ai les nerfs à vif », et comme le cousin Georges repartait sur Culmont-Chalindrey en voiture, elle lui demanda de l’y déposer, ça lui épargnerait un changement.

« Tu pars déjà ? On t’a à peine vue ? Reste dormir ici ! » Elle remercia d’un onctueux sourire, embrassa les uns et les autres, glissa un billet à ses neveux et nièces et s’éclipsa dans la vieille Simca du cousin Georges en vérifiant que personne n’avait eu la tentation de lui chaparder les bijoux de son amant pendant qu’elle rejouait la scène de l’Annonciation.

Le plus dur restait à faire, cependant : reconquérir Chef, le convaincre que son aventure avec Chaval avait été furtive, si furtive qu’elle ne s’en souvenait pas, un moment d’abandon, d’étourderie, de faiblesse féminine, inventer un bobard qu’elle ficellerait de vraisemblance – il l’avait forcée ? menacée ? tabassée ? droguée ? hypnotisée ? envoûtée ? –, reprendre sa place de favorite et happer un petit spermatozoïde grobzien pour se le mettre bien au chaud dans le tiroir.

En montant, à Culmont-Chalindrey, dans le compartiment de première classe du train pour Paris, Josiane réfléchit et se dit qu’il allait falloir la jouer finasse, avancer de profil et sur la pointe des arpions. Tout était à refaire : trimbaler patiemment chaque pierre sans renâcler, sans s’énerver, sans se trahir. Jusqu’à ce que la pyramide se dresse, irréfutable.

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Ce serait dur, c’est sûr, mais l’adversité ne lui faisait pas peur. Elle était sortie victorieuse d’autres naufrages.

Elle se cala confortablement dans le fauteuil, éprouva dans son séant les premières secousses du train qui quittait la gare et eut une pensée émue pour sa mère, grâce à laquelle elle repartait fringante et à nouveau guerrière.

On les retrouve à l’intérieur, t’es sûre ? Je ne louperais ça pour rien au monde. Un après-midi à la piscine du Ritz, le comble du luxe ! soupira Hortense en s’étirant dans la voiture. Je ne sais pas pourquoi, dès que je quitte Courbevoie, dès que je passe le pont, je me sens revivre. Je hais la banlieue. Dis, maman, pourquoi on est venus vivre en banlieue ?

Joséphine, au volant de sa voiture, ne répondit pas. Elle cherchait une place pour se garer. Ce samedi après-midi, Iris leur avait donné rendez-vous dans son club, au bord de la piscine. Ça te fera du bien, tu m’as l’air sous pression, ma pauvre Jo… et depuis trente minutes elle tournait, tournait en rond. Trouver une place dans ce quartier n’était pas chose aisée. La plupart des voitures attendaient en double file, faute de places de stationnement. C’était l’époque des courses de Noël ; les trottoirs étaient encombrés de personnes portant de lourds paquets. Elles se frayaient un chemin en les tendant comme des boucliers, puis soudain, sans crier gare, débordaient sur la chaussée. Il fallait klaxonner pour ne pas les écraser. Joséphine tournait, ouvrait grands les yeux, guettant une place pendant que les filles s’impatientaient. « Là, maman, là ! – Non ! c’est interdit et je ne tiens pas à avoir une contravention ! – Oh maman ! T’es rabat-joy ! » C’était leur nouvelle expression : rabat-joy ! Elles l’employaient à tout bout de champ.

J’ai encore des traces de mon bronzage de cet été. Je ne vais pas avoir l’air d’une endive, poursuivait Hortense en examinant ses bras.

Tandis que moi, pensa Jo, je vais être la reine des endives. Une voiture déboîta sous son nez, elle freina et mit son clignotant. Les filles se mirent à trépigner.

Vas-y, maman, vas-y… Fais-nous un créneau parfait.

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Jo s’appliqua et réussit à se glisser sans encombre dans la place laissée vacante. Les filles applaudirent. Jo, en nage, s’essuya le front.

Pénétrer dans l’hôtel, affronter le regard du personnel qui la jaugerait et se demanderait sûrement ce qu’elle venait faire là lui donna à nouveau des sueurs froides, mais elle se retrouva à suivre Hortense qui, parfaitement à l’aise, lui montrait le chemin en accordant des regards hautains aux livrées chamarrées du personnel de l’hôtel.

Tu es déjà venue ici ? chuchota Jo à Hortense.

Non, mais j’imagine que la piscine doit être par là… au sous-sol. Et puis si on se trompe, c’est pas grave. On fera demitour. Après tout, ce ne sont que des larbins. Ils sont payés pour nous renseigner.

Joséphine, confuse, lui emboîta le pas, remorquant Zoé qui détaillait les vitrines où s’étalaient bijoux, sacs, montres et accessoires de luxe.

Ouaou, maman, qu’est-ce que c’est beau ! Qu’est-ce que ça doit coûter cher ! Si Max Barthillet voyait ça, il viendrait tout piquer. Il dit que quand on est pauvre, on peut voler les riches, ils ne s’en aperçoivent même pas. Et ça équilibre !

Ben voyons, protesta Joséphine, je vais finir par croire qu’Hortense a raison et que Max est une très mauvaise fréquentation.

Maman, maman, regarde un œuf en diamants. Tu crois que c’est une poule en diamants qui l’a pondu ?

Àl’entrée du club, une jeune femme exquise leur demanda leurs noms, consulta un grand cahier et leur confirma qu’elles étaient attendues par madame Dupin au bord de la piscine. Sur le bureau brûlait une bougie parfumée. Des haut-parleurs diffusaient un air de musique classique. Joséphine regarda ses pieds et eut honte de ses chaussures bon marché. La jeune femme leur montra le chemin des cabines en leur souhaitant un bon après-midi et elles s’engouffrèrent chacune dans la sienne.

Joséphine se déshabilla. Frottant les marques de son soutien-gorge, le pliant soigneusement, enlevant ses collants, les roulant, rangeant son tee-shirt, son pull-over, son pantalon dans le placard qui lui était réservé. Puis elle sortit son maillot

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de bain de l’étui en plastique où elle l’avait rangé en août dernier et une angoisse terrible l’étreignit. Elle avait grossi depuis l’été, elle n’était pas sûre qu’il lui aille encore. Il faut absolument que je maigrisse, se sermonna-t-elle, je ne me supporte plus ! Elle n’osait pas regarder son ventre, ses cuisses, ses seins. Elle enfila son maillot à l’aveuglette, fixant un spot dissimulé dans le plafond en bois de la cabine. Tira sur les bretelles pour remonter ses seins, défit les plis du maillot sur les hanches, frotta, frotta pour effacer ce trop-plein de gras qui l’alourdissait. Enfin elle abaissa les yeux et aperçut un peignoir blanc suspendu à une patère. Sauvée !

Elle prit les mules en éponge blanche qu’elle trouva posées près du peignoir, referma la porte de la cabine et chercha ses filles des yeux. Elles étaient déjà parties rejoindre Alexandre et Iris.

Sur une chaise longue en bois, somptueuse dans son peignoir blanc, ses longs cheveux noirs tirés en arrière, Iris reposait, un livre posé sur les genoux. Elle était en grande conversation avec une jeune fille que Jo aperçut de dos. Une mince jeune fille en deux-pièces minuscule. Un maillot rouge incrusté de pierreries qui brillaient telles des poussières de Voie lactée. De belles fesses rebondies, un slip si étroit que Joséphine se fit la réflexion qu’il était presque superflu. Dieu, que cette femme était belle ! La taille étroite, les jambes immenses, le port parfait et droit, les cheveux relevés en un chignon improvisé… Tout en elle respirait la grâce et la beauté, tout en elle était en parfaite harmonie avec le décor raffiné de la piscine dont l’eau bleutée dessinait des reflets changeants sur les murs. Tous ses complexes resurgirent et Joséphine resserra le nœud de la ceinture de son peignoir. Promis ! À partir de tout de suite, j’arrête de manger et je fais des abdominaux tous les matins. J’ai été une longue et mince jeune fille autrefois.

Elle aperçut Alexandre et Zoé dans l’eau et leur fit signe de la main. Alexandre voulut sortir pour lui dire bonjour, mais Jo l’en dissuada et il replongea en attrapant les jambes de Zoé qui poussa un cri d’effroi.

La jeune fille en maillot rouge se retourna et Jo reconnut Hortense.

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Hortense, qu’est-ce que c’est que cette tenue ?

Enfin, maman… C’est un maillot de bain. Et ne crie pas si fort ! On n’est pas à la piscine de Courbevoie, ici.

Bonjour, Joséphine, articula Iris, se redressant pour s’interposer entre la mère et la fille.

Bonjour, éructa Joséphine qui revint aussitôt à sa fille. Hortense, explique-moi d’où vient ce maillot.

C’est moi qui le lui ai acheté cet été et il n’y a pas de quoi te mettre dans cet état. Hortense est ravissante…

Hortense est indécente ! Et jusqu’à nouvelle information, Hortense est ma fille et pas la tienne !

Oh là là ! Maman… ça y est ! Les grands mots.

Hortense, tu vas aller te changer immédiatement.

Il n’en est pas question ! Ce n’est pas parce que tu te caches dans un sac que je dois me déguiser en thon.

Hortense affrontait sans ciller le regard ivre de colère de sa mère. Des mèches cuivrées s’échappaient de la barrette qui retenait ses cheveux et ses joues s’étaient empourprées, lui donnant un air enfantin que contredisait sa tenue de femme fatale. Joséphine ne put s’empêcher d’être touchée par la pique de sa fille et perdit toute contenance. Elle balbutia une réponse qui n’en fut pas une, tellement elle était inaudible.

Voyons, les filles, du calme, dit Iris, souriant pour détendre l’atmosphère. Ta fille a grandi, Joséphine, ce n’est plus un bébé. Je comprends que ça te fasse un choc mais tu n’y peux rien ! À moins de la coincer entre deux dictionnaires.

Je peux l’empêcher de s’exhiber comme elle le fait.

Elle est comme la plupart des filles de son âge… ravissante.

Joséphine chancela et dut s’asseoir sur la chaise longue proche d’Iris. Affronter sa sœur et sa fille en même temps était au-dessus de ses forces. Elle détourna la tête pour ravaler les larmes de rage et d’impuissance qu’elle sentait monter en elle. Cela finissait toujours de la même façon quand elle s’opposait à Hortense : elle perdait la face. Elle avait peur d’elle, de son orgueil, du mépris qu’elle affichait à son endroit mais, en plus, elle devait le reconnaître, Hortense voyait souvent juste. Si elle était sortie de la cabine, fière de sa ligne, épanouie dans son

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maillot de bain, elle n’aurait sûrement pas réagi aussi violemment.

Elle resta un moment, défaite, tremblante. Fixant les reflets de l’eau de la piscine, détaillant sans les voir les plantes vertes, les colonnes de marbre blanc, les mosaïques bleues. Puis elle se redressa, respira un grand coup pour bloquer ses larmes, il ne manquerait plus que je sois ridicule et me donne en spectacle, et se retourna, prête à affronter sa fille.

Hortense était partie. Des marches de la piscine, elle tâtait l’eau du bout des pieds et s’apprêtait à se laisser glisser dans l’eau.

Tu ne devrais pas te mettre dans ces états-là devant elle, tu perds toute autorité, susurra Iris en se retournant sur le ventre.

Je voudrais t’y voir ! Elle se conduit de manière détestable avec moi.

C’est l’adolescence. Elle est en plein âge ingrat.

Il a bon dos, l’âge ingrat. Elle me traite comme si j’étais son inférieure !

Peut-être parce que tu t’es toujours laissé faire.

Comment ça, je me suis toujours laissé faire ?

Tu as toujours laissé les gens te traiter n’importe comment ! Tu n’as aucun respect pour toi, alors comment veuxtu que les autres te respectent ?

Joséphine, ébahie, écoutait sa sœur parler.

Mais si, rappelle-toi… Quand on était petites… je te faisais agenouiller devant moi, tu devais poser sur la tête ce que tu avais de plus cher au monde et me l’offrir en t’inclinant sans le faire tomber… Sinon t’étais punie ! Tu te rappelles ?

C’était un jeu !

Pas si innocent que ça ! Je te testais. Je voulais savoir jusqu’où je pouvais aller et j’aurais pu tout te demander. Tu ne m’as jamais dit non !

Parce que je t’aimais !

Joséphine protestait de toutes ses forces.

C’était de l’amour, Iris. Du pur amour. Je te vénérais !

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Ben… t’aurais pas dû. T’aurais dû te défendre, m’insulter ! Tu ne l’as jamais fait. Étonne-toi maintenant que ta fille te traite comme ça.

Arrête ! Bientôt tu vas dire que c’est de ma faute.

Bien sûr que c’est de ta faute !

C’en était trop pour Joséphine. Elle laissa les lourdes larmes qu’elle retenait couler sur ses joues et pleura, pleura en silence pendant qu’Iris, allongée sur le ventre, la tête enfouie dans ses bras, continuait à évoquer leur enfance, les jeux qu’elle inventait pour maintenir sa sœur en esclavage. Me voilà renvoyée à mon cher Moyen Âge, songeait Joséphine à travers ses larmes. Quand le pauvre serf était contraint de verser un impôt au seigneur du château. On appelait ça le chevage, quatre deniers que le serf posait sur sa tête inclinée et qu’il offrait au seigneur en gage de soumission. Quatre deniers qu’il n’avait pas les moyens de donner mais qu’il trouvait quand même, sans quoi il était battu, enfermé, privé de terres à cultiver, de soupe… On a beau avoir inventé le moteur à piston, l’électricité, le téléphone, la télévision, les rapports des hommes entre eux n’ont pas changé. J’ai été, je suis et je serai toujours l’humble serve de ma sœur. Et des autres ! Aujourd’hui, c’est Hortense, demain, ce sera quelqu’un d’autre.

Estimant que le chapitre était clos, Iris avait repris sa position sur le dos et continuait la conversation comme si rien ne s’était passé.

Qu’est-ce que tu fais pour Noël ?

Je ne sais pas…, déglutit Jo en ravalant ses larmes. Pas eu le temps d’y penser ! Shirley m’a proposé de partir avec elle en Écosse…

Chez ses parents ?

Non… elle ne veut pas y retourner, je ne sais pas pourquoi. Chez des amis, mais Hortense fait la tronche. Elle trouve ça

«nul à chier », l’Écosse…

On pourrait passer Noël ensemble dans le chalet…

C’est sûr qu’elle préférerait. Elle est heureuse chez vous !

Et moi je serais heureuse de vous avoir…

Tu n’as pas envie de rester en famille ? Je vous colle tout le temps… Philippe va en avoir marre.

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Oh, tu sais, on n’est plus un jeune couple !

Il faut que je réfléchisse. Le premier Noël sans leur père ! Elle soupira. Puis une idée, cinglante et désagréable, lui traversa l’esprit et elle demanda : « Est-ce que Madame mère sera là ? »

Non… Sinon je ne te l’aurais pas proposé. J’ai bien compris qu’il ne fallait plus vous mettre en présence l’une de l’autre à moins d’appeler les pompiers.

Très drôle ! Je vais réfléchir…

Puis, se ravisant, elle demanda :

Tu en as parlé à Hortense ?

Pas encore. Je lui ai simplement demandé, comme je l’ai fait avec Zoé, ce qu’elle voulait comme cadeau pour Noël…

Et elle t’a dit ce qu’elle voulait ?

Un ordinateur… mais elle a ajouté que tu t’étais proposée pour le lui acheter, et qu’elle ne voulait pas te faire de peine. Tu vois qu’elle peut être délicate et attentive aux autres…

On peut dire ça comme ça. En fait, elle m’a pratiquement soutiré la promesse de lui en acheter un. Et comme d’habitude, j’ai cédé…

Si tu veux, on l’offre à deux. Ça coûte cher, un ordinateur.

Ne m’en parle pas ! Et si je fais un cadeau aussi cher à Hortense, qu’est-ce que j’offre à Zoé ? Je déteste les injustices…

Là aussi, je peux t’aider… (Puis se reprenant :) Je peux participer… Tu sais, ce n’est pas grand-chose pour moi !

Et après ça va être un portable, un iPod, un lecteur de DVD, une caméra… Tu veux que je te dise ? Je suis dépassée ! Je suis fatiguée, Iris, si fatiguée…

Justement, laisse-moi t’aider. Si tu veux, je ne dirai rien aux filles. Je leur ferai un petit cadeau à côté et te laisserai assumer toute la gloire.

C’est très généreux de ta part, mais non ! Ça me gênerait

trop.

Allez, Joséphine, laisse-toi aller… T’es trop rigide.

Non, je te dis ! Et cette fois-ci, je ne m’inclinerai pas.

Iris sourit et capitula.

— Je n’insiste pas… Mais je te rappelle que Noël est dans trois semaines et que tu n’as plus beaucoup de temps devant toi pour gagner des millions… À moins de jouer au Loto.

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Je le sais, ragea Joséphine en silence. Je ne sais que ça. J’aurais dû rendre ma traduction depuis une semaine déjà, mais la conférence à Lyon m’a pris tout mon temps. Je n’ai plus le temps de travailler sur mon dossier d’habilitation à diriger des recherches, je manque une réunion de travail sur deux ! Je mens à ma sœur en lui cachant que je travaille pour son mari, je mens à mon directeur de thèse en prétendant que je n’ai pas la tête à travailler depuis qu’Antoine est parti ! Ma vie autrefois réglée comme une partition de musique ressemble à un horrible brouhaha.

Pendant que, assise sur le bout d’une chaise longue, Joséphine poursuivait son monologue intérieur, Alexandre Dupin attendait impatiemment que sa petite cousine ait fini de s’ébattre dans l’eau et soit revenue à des activités plus calmes pour lui poser les questions qui bourdonnaient dans sa tête. Zoé était la seule qui pouvait lui répondre. Il ne pouvait se confier ni à Carmen, ni à sa mère, ni à Hortense qui le traitait toujours en bébé. Aussi, quand Zoé consentit à s’accouder sur le bord de la piscine et à se reposer, Alexandre vint se placer à côté d’elle et commença à lui parler.

Zoé ! Écoute-moi… C’est important.

Vas-y. J’écoute.

Tu crois que les grandes personnes quand elles dorment ensemble, c’est qu’elles sont amoureuses ?

Maman, elle a déjà dormi avec Shirley et elles ne sont pas des amoureuses…

Oui, mais un homme et une femme… Tu crois que quand ils dorment ensemble, ils sont amoureux ?

Non, pas toujours.

Mais quand ils font l’amour ? Ils sont amoureux quand même ?

Ça dépend ce que tu appelles être amoureux.

Tu crois que les grandes personnes, quand elles ne font plus l’amour c’est qu’elles ne s’aiment plus ?

… Je sais pas. Pourquoi ?

Parce que papa et maman ils ne dorment plus ensemble… Depuis quinze jours.

Alors c’est qu’ils vont divorcer.

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Tu en es sûre ?

Pratiquement… Max Barthillet, son papa il est parti.

Il est divorcé, lui aussi ?

Oui. Eh bien, il m’a raconté que juste avant que son papa parte, il ne dormait plus avec sa mère. Il ne dormait plus du tout

àla maison, il dormait ailleurs, il ne sait pas très bien où mais…

Ben moi, il dort dans son bureau. Dans un lit tout petit…

Oh là là ! Alors là, c’est sûr, ils vont divorcer tes parents ! Et si ça se trouve, on t’enverra voir un pschi… C’est un monsieur qui ouvre ta tête pour comprendre ce qu’il se passe dedans.

Moi, je sais ce qui se passe dans ma tête. J’ai tout le temps peur… Juste avant qu’il parte dormir dans son bureau, je me levais la nuit pour aller écouter derrière la porte de leur chambre et y avait que du silence et ça me faisait peur, ce silence ! Avant, parfois, ils faisaient l’amour, ça faisait du bruit mais ça me rassurait…

Ils font plus du tout l’amour ?

Alexandre secoua la tête.

Et ils dorment plus du tout ensemble ?

Plus du tout… depuis quinze jours.

Alors tu vas te retrouver comme moi : divorcé !

T’es sûre ?

Ouais… C’est pas gai. Ta maman, elle sera tout le temps énervée. Maman, elle est triste et fatiguée depuis qu’elle est divorcée. Elle crie, elle s’énerve, c’est pas drôle, tu sais… Eh ben, tes parents, ça va être pareil !

Hortense, qui s’entraînait à faire toute la longueur de la piscine en gardant la tête sous l’eau, surgit à leur côté au moment même où Alexandre répétait « papa et maman ! divorcés ! ». Elle décida de faire celle qui n’écoutait pas pour mieux entendre. Alexandre et Zoé se méfiaient et ils se turent dès qu’ils la virent faire la planche devant eux. S’ils se taisent, c’est que c’est sérieux, pensa Hortense. Divorcés, Iris et Philippe ? Si Philippe quitte Iris, Iris aura beaucoup moins d’argent et elle ne pourra plus me gâter comme elle le fait. Ce maillot de bain rouge, il a suffi que je le regarde, cet été, pour qu’aussitôt Iris me l’offre. Elle songea à l’ordinateur. Elle avait été stupide de refuser celui qu’Iris se proposait de lui acheter : il

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