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Добавлен: 05.08.2024

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assista, médusée, à la raclée que leur infligea Shirley. Seule contre trois. En un éclair de coups de bras, de coups de pied, de coups de poing, elle les terrassa et les envoya à terre en s’acharnant sur eux avec une violence inouïe. Un des trois brandit un couteau et Shirley, de la pointe de sa jambe lancée à toute volée, l’envoya valser.

Ça vous va ou vous en voulez encore ? les menaça-t-elle en se baissant pour récupérer leurs sacs.

Les trois garçons se tenaient les côtes et se roulaient par terre.

Tu m’as pété une dent, connasse, lui lança le plus balèze.

Rien qu’une ? lança Shirley en lui balançant un nouveau coup de pied dans la bouche.

Il poussa un hurlement et se mit en boule pour se protéger. Les deux autres se relevèrent et déguerpirent, prenant leurs jambes à leur cou. Celui qui était resté à terre gémissait. Il se mit à ramper sur les coudes. « Salope, putain de ta race ! » bredouilla-t-il en constatant qu’il crachait du sang. Shirley se baissa, l’agrippa par le col de son blouson et, le forçant à rester à quatre pattes, le dépouilla entièrement. Lui arracha ses vêtements un par un comme on déculotte un enfant. Jusqu’à ce qu’il soit en slip et en chaussettes, accroupi, au milieu de l’esplanade. Elle lui arracha une plaque en métal qu’il avait autour du cou et lui ordonna de la regarder droit dans les yeux.

Maintenant, petit connard, tu vas m’écouter… Pourquoi tu nous as attaquées ? Parce qu’on est deux femmes seules, hein ?

Mais m’dame… C’était pas mon idée, c’est mon pote qui…

Trouillard, lâche, tu devrais avoir honte !

Rendez-moi ma plaque, m’dame, rendez-la-moi…

Tu nous aurais rendu nos sacs, toi, hein ? Réponds !

Elle lui frappa la tête contre le sol. Il cria, promit qu’il ne le ferait plus, qu’il toucherait plus à une femme seule. Il se tordait, nu et blanc sur le sol noir.

Shirley, maintenant la pression sur le gars à terre, s’approcha d’une grille d’aération et laissa tomber la plaque en métal. On entendit le bruit sourd de la plaque qui rebondissait au fond du soupirail. Le garçon lâcha une injure et Shirley lui donna un nouveau coup dans la nuque, du tranchant du coude

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cette fois. Plié en deux de douleur, il choisit de ne plus résister et s’étala sur le sol.

Tu vois : je viens de te faire à peu près ce que tu nous as fait tout à l’heure. Ta plaque, elle est perdue… Alors casse-toi et médite. T’as compris, trou-du-cul !

Le garçon, le bras toujours levé pour se protéger, se releva en titubant, fit un geste pour ramasser ses vêtements mais Shirley secoua la tête.

Tu vas repartir comme ça… en slip et en chaussettes. Allez, connard.

Il détala sans protester. Shirley attendit qu’il eût disparu. Elle fit une boule de ses vêtements et les balança dans une benne de chantier. Puis elle se rajusta, remonta son pantalon, remit en place son manteau et poussa un dernier juron en anglais.

Joséphine la fixait, stupéfaite par le déchaînement de violence auquel elle venait d’assister. Elle en avait le souffle coupé. Elle adressa un regard muet à Shirley qui haussa les épaules et laissa tomber :

Ça aussi ça fait partie du fait que je n’aie pas de fiancé… Deuxième indice !

Elle s’approcha de Jo, observa son nez qui saignait, sortit un Kleenex de sa poche et lui tamponna le visage. Joséphine grimaça de douleur.

Ça va…, dit Shirley. Il n’est pas cassé. Juste un gros choc ! Il va être de toutes les couleurs, demain. Tu diras que tu t’es pris la porte vitrée du salon en sortant. Pas un mot aux enfants ce soir, d’accord ?

Joséphine hocha la tête. Elle aurait bien demandé à Shirley où elle avait appris à se battre, mais elle n’osait plus poser de questions.

Shirley ouvrit son sac et vérifia qu’il ne manquait rien.

T’as tout ?

Oui…

Allez !

Elle la prit par le bras et la força à avancer. Joséphine avait les genoux qui tremblaient et demanda à s’arrêter pour reprendre ses esprits.

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C’est normal, lâcha Shirley. C’est ta première bagarre. Après, tu t’habitues… Tu te sens capable d’affronter les enfants sans rien dire ?

Je boirais bien un petit verre d’alcool… J’ai la tête qui tourne !

Dans l’entrée de l’immeuble, elles aperçurent Max Barthillet, assis sur les marches près de l’ascenseur.

J’ai pas la clé et ma mère n’est pas rentrée…

Mets-lui un mot, dis-lui que tu l’attends chez moi, décida Shirley sur un ton si autoritaire que le gamin acquiesça. T’as de quoi écrire ?

Il dit oui de la tête en montrant son cartable. Et monta à pied les deux étages pour laisser le mot sur sa porte.

Jo et Shirley prirent l’ascenseur.

J’ai pas de cadeau pour lui ! dit Jo en regardant son nez dans la glace de l’ascenseur. Mince, je suis défigurée !

Joséphine, quand diras-tu merde comme tout le monde ! Je vais lui donner un billet dans une enveloppe, c’est ce dont ils ont le plus besoin les Barthillet en ce moment.

Elle tourna le visage de Jo vers elle, inspecta son nez longuement.

Je vais te mettre un peu de glace dessus… Et souviens-toi : tu t’es pris la porte vitrée du salon de coiffure. Pas de gaffe ! C’est Noël, pas besoin de gâcher la fête et de leur foutre la trouille !

Joséphine alla chercher les filles et les cadeaux qu’elle avait cachés sur la plus haute étagère de l’armoire de sa chambre. Elles s’esclaffèrent devant la maladresse de leur mère et son nez enflé. Quand elles sonnèrent chez Shirley, elles entendirent des chants de Noël anglais et Shirley ouvrit la porte avec un grand sourire. Jo eut du mal à reconnaître la furie qui avait mis trois voyous en déroute.

Hortense et Zoé poussèrent des cris de joie en ouvrant leurs cadeaux. Gary découvrit l’iPod offert par Jo et fit un bond de joie. « Yes, Jo ! rugit-il, maman ne voulait pas que j’en aie un ! T’es vraiment trop… ! Trop top ! » Il se jeta à son cou, lui écrasant le nez. Zoé regardait sans y croire les films de Disney et caressait le lecteur de DVD. Hortense était stupéfaite : sa mère

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lui avait acheté le dernier modèle de chez Apple, pas un truc au rabais ! Et Max Barthillet contemplait le billet de cent euros que Shirley avait glissé dans une enveloppe avec un petit mot.

Putain ! remercia-t-il avec un sourire émerveillé. T’es trop bien, Shirley, tu as pensé à moi ! C’est pour ça que maman est pas là… Elle savait que tu faisais une fête et elle m’a rien dit pour me faire la surprise.

Joséphine tourna la tête vers Shirley pour lui faire un signe de connivence. Elle tendit son cadeau à Shirley : une édition originale d’Alice au pays des merveilles, en anglais, qu’elle avait trouvée aux Puces. Et Shirley lui offrit un magnifique col roulé en cachemire noir.

Pour frimer à Megève !

Jo la serra dans ses bras. Shirley eut un mouvement d’abandon qui la rendit légère et douce. « On fait une sacrée équipe, toutes les deux », murmura Shirley. Jo ne sut que répondre et resserra son étreinte.

Gary s’était emparé de l’ordinateur d’Hortense et lui montrait comment s’en servir. Max et Zoé étaient penchés sur les films de Walt Disney.

— Tu regardes encore des dessins animés ? demanda Jo à Max.

Il leva vers elle le regard ébloui d’un tout petit garçon et Jo fut à nouveau au bord des larmes. Il faut que je fasse attention à ne pas finir en fontaine, se dit-elle. Cette fête qu’elle redoutait à cause de l’absence d’Antoine se déroulait comme elle n’avait pas osé l’imaginer. Shirley avait dressé et orné un sapin. La table était décorée de branches de houx, de flocons de neige en coton hydrophile, d’étoiles en papier doré. De hautes bougies rouges brûlaient dans des bougeoirs en bois, donnant l’apparence d’un rêve à toute la scène.

Ils débouchèrent du champagne, dévorèrent la dinde aux marrons, une bûche au chocolat et au café, selon une recette confidentielle de Shirley, puis, le repas fini, ils repoussèrent la table et dansèrent.

Gary entraîna Hortense dans un slow langoureux et les deux mères les regardèrent danser en sirotant leur champagne.

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Ils sont mignons, dit Jo, un peu éméchée. T’as vu : Hortense ne s’est pas fait prier. Je trouve même qu’elle danse d’un peu trop près !

Parce qu’elle sait qu’il va l’aider à faire marcher son ordinateur.

Joséphine lui donna un coup de coude dans les côtes et Shirley poussa un petit cri de surprise.

Touche pas à la femme karaté ou il pourrait t’en cuire !

Et toi, arrête de voir le mal partout !

Joséphine aurait voulu suspendre le temps, s’emparer de ce moment de bonheur et le mettre en bouteille. Le bonheur, songea-t-elle, est fait de petites choses. On l’attend toujours avec une majuscule, mais il vient à nous sur ses jambes frêles et peut nous passer sous le nez sans qu’on le remarque. Ce soir-là, elle le saisit et ne le lâcha pas. Par la fenêtre, elle aperçut les étoiles dans le ciel et tendit son verre vers elles.

Il fallut rentrer et se coucher.

Ils étaient sur le palier quand madame Barthillet vint chercher Max. Elle avait les yeux rougis et prétendit qu’elle avait pris une poussière dans l’œil en sortant du métro. Max exhiba son billet de cent euros. Madame Barthillet remercia Shirley et Jo d’avoir pris soin de son fils.

Jo eut beaucoup de mal à coucher les filles. Elles faisaient des bonds sur leur lit et hurlaient de joie à l’idée de partir le lendemain pour Megève. Zoé voulut vérifier dix fois de suite que sa valise était bien pleine, qu’elle n’avait rien oublié. Jo réussit enfin à l’attraper, à lui faire enfiler son pyjama et à la coucher. « Je suis paf, maman, complètement paf ! » Elle avait bu trop de champagne.

Dans la salle de bains, Hortense se nettoyait le visage avec un lait démaquillant que lui avait acheté Iris. Elle passait et repassait le coton sur sa peau et inspectait les impuretés ramassées. Hortense se retourna et demanda :

Maman… Tous ces cadeaux, c’est toi qui les as payés ? Avec ton argent ?

Joséphine hocha la tête.

Mais alors, maman… on est riches maintenant ?

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Joséphine éclata de rire et vint s’asseoir sur le bord de la baignoire.

J’ai trouvé un nouveau travail : je fais des traductions. Mais chut ! c’est un secret, il ne faut en parler à personne… Sinon ça s’arrête ! Promis ?

Hortense étendit la main et répéta promis.

J’ai reçu huit mille euros pour la traduction d’une biographie d’Audrey Hepburn, et si ça se trouve, je vais en faire beaucoup d’autres…

Et on aura plein de sous ?

Et on aura plein de sous…

Et je pourrai avoir un portable ? demanda Hortense.

Peut-être, dit Joséphine, heureuse de voir briller la joie dans les yeux de sa fille.

Et on déménagera ?

Ça te pèse tellement d’habiter ici ?

Oh maman… c’est si plouc ! Comment veux-tu que je me fasse des relations ici ?

On a des amis. Regarde la soirée formidable qu’on vient de passer. Ça vaut tout l’or du monde !

Hortense fit la moue.

Moi j’aimerais aller vivre à Paris, dans un beau quartier… Tu sais, avoir des relations, c’est aussi important que les études qu’on fait.

Elle était fraîche, longue et belle dans son petit tee-shirt à bretelles, son pantalon de pyjama rose. Tout dans son visage indiquait le sérieux et la détermination. Jo s’entendit dire :

Je te promets, chérie, quand j’aurai gagné assez d’argent, on ira habiter Paris.

Hortense lâcha le coton et lança ses bras autour du cou de sa mère.

Oh, maman, ma petite maman chérie ! J’aime quand tu es comme ça ! Quand tu es forte ! Décidée ! Au fait, je ne t’ai pas dit : c’est très bien ta nouvelle coupe et ton balayage ! Tu es très jolie ! Belle comme un cœur…

Tu m’aimes un peu alors ? demanda Joséphine, en essayant d’être légère et de ne pas l’implorer.

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Oh, maman je t’aime à la folie quand tu es une gagnante ! Je ne supporte pas quand tu es une petite chose triste, effacée. Ça me fout le cafard… pire encore, ça me fait peur. Je me dis qu’on va se planter…

Comment ça ?

Je me dis qu’au premier gros pépin, tu vas flancher et j’ai la trouille.

Je te fais une promesse, ma chérie douce, on ne se plantera pas. Je vais travailler comme une folle, gagner plein de sous et tu n’auras plus jamais peur !

Joséphine referma ses bras sur le corps chaud et doux de sa fille et se dit que ce moment-là, ce moment d’intimité et d’amour avec Hortense, était son plus beau cadeau de Noël.

Le lendemain matin, sur le quai F de la gare de Lyon, le quai où stationnait le train 6745 en direction de Lyon, Annecy, Sallanches, Zoé avait mal à la tête, Hortense bâillait et Joséphine arborait un nez violet, vert et jaune. Elles attendaient sur le quai, les billets compostés à la main, qu’Iris et Alexandre les rejoignent.

Elles attendaient, les mains vissées à la poignée de leur valise de peur de se faire détrousser, et se faisaient bousculer par des voyageurs pressés. Elles attendaient en surveillant la grande aiguille de l’horloge qui progressait inexorablement vers l’heure du départ.

Dans dix minutes, le train allait partir. Joséphine se dévissait la tête dans tous les sens, espérant attraper au vol l’image de sa sœur flanquée du petit Alexandre, courant vers elles. Ce n’est pas cette image rassurante qui lui sauta aux yeux, mais une autre, qui la figea dans une attitude de chien à l’arrêt.

Elle détourna la tête en priant le ciel que ses filles ne voient pas ce qu’elle venait de voir : Chef sur le même quai qu’elles, embrassant à pleine bouche Josiane, sa secrétaire, puis l’aidant à monter dans le train avec mille recommandations, bruits de baisers, mignardises. Il est ridicule, se dit Joséphine, on dirait qu’il porte le saint sacrement ! Elle fit un dernier aller-retour de la tête pour vérifier qu’elle n’avait pas la berlue et surprit à

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nouveau son beau-père en train d’escalader le marchepied du train derrière la plantureuse Josiane.

Elle ordonna alors une ruée générale, pressant les filles de gagner au plus vite la voiture 33 qui était en tête de quai.

On n’attend pas Iris et Alexandre ? demanda Zoé en grognant. J’ai mal à la tête, maman, j’ai bu trop de champagne.

On les attendra à l’intérieur. Ils ont leurs places, ils nous retrouveront. Allez, on y va, commanda Jo d’une voix ferme.

Et Philippe, il ne vient pas ? s’enquit Hortense.

Il nous rejoint demain, il a du travail.

Traînant leurs valises, déchiffrant le numéro des wagons qu’elles dépassaient, elles s’éloignèrent de l’endroit fatal où Chef enlaçait Josiane.

Jo se retourna une dernière fois pour apercevoir au loin Iris et Alexandre qui arrivaient ventre à terre.

Ils s’installèrent à leurs places alors que le train partait. Hortense ôta sa doudoune qu’elle plia soigneusement et la déposa bien à plat sur l’espace réservé aux manteaux. Zoé et Alexandre entreprirent aussitôt de se raconter leur soirée de la veille avec force mimiques, ce qui énerva Iris qui les rabroua sévèrement.

Ils vont finir idiots, je te jure. Mais qu’est-ce que tu t’es fait ? T’es défigurée ! T’as fait du judo ? T’as passé l’âge, tu sais.

Quand le train eut démarré, elle prit Jo à part et lui dit :

Viens, on va prendre un café.

Maintenant, tout de suite ? interrogea Jo qui craignait de tomber sur Josiane et Chef au wagon-restaurant.

Il faut absolument que je te parle. Et le plus vite possible !

Mais on peut parler et rester à nos places.

Non, ordonna Iris entre ses dents. Je ne veux pas que les enfants entendent.

Jo se rappela alors que Chef et sa mère passaient Noël à Paris. Il n’était donc pas monté dans le train. Elle se résigna à suivre Iris. Elle allait manquer le passage qu’elle préférait : quand le train traversait la banlieue parisienne, s’enfonçait telle une flèche d’acier dans un paysage de pavillons et de petites gares et prenait de plus en plus de vitesse. Elle essayait de déchiffrer le nom des arrêts. Au début, elle y parvenait, puis elle

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sautait une lettre sur deux, la tête lui tournait et elle ne lisait plus rien. Alors elle fermait les yeux et se laissait aller : le voyage pouvait commencer.

Accoudées au bar de la voiture-restaurant, Iris tournait et retournait sa petite cuillère en plastique dans son café.

Ça va pas ? demanda Jo, surprise de la voir aussi sombre et nerveuse.

Je suis dans la merde, Jo, dans une de ces merdes !

Jo ne dit rien mais songea qu’elle n’était pas la seule. Moi je serai dans la mouise, dans une quinzaine de jours. À partir du 15 janvier exactement.

Et y a que toi qui puisses m’en sortir !

Moi ? articula Joséphine, ahurie.

Oui… toi. Alors écoute-moi et ne m’interromps pas. C’est suffisamment difficile à expliquer, alors si tu m’interromps…

Joséphine acquiesça de la tête. Iris but une gorgée de café et, posant ses grands yeux bleu-violet sur sa sœur, commença :

Tu te souviens de ce coup de bluff d’un soir où j’ai prétendu que j’écrivais un livre ?

Joséphine, muette, hocha la tête. Les yeux d’Iris lui faisaient toujours le même effet : elle était hypnotisée. Elle aurait voulu lui demander de détourner légèrement la tête, de ne pas la fixer de cette manière, mais Iris enfonçait son regard profond et presque noir d’intensité dans celui de sa sœur. Ses longs cils ajoutaient une touche de gris ou d’or selon la lumière qu’ils captaient en s’abaissant ou en s’écarquillant.

Eh bien, je vais écrire !

Joséphine sursauta, étonnée.

Ben, c’est plutôt une bonne nouvelle.

Ne me coupe pas, Jo, ne me coupe pas ! Crois-moi, j’ai besoin de toutes mes forces pour te dire ce que j’ai à te dire parce que ce n’est pas facile.

Elle prit une profonde inspiration, recracha l’air avec irritation comme s’il lui avait brûlé les poumons et continua :

Je vais écrire un roman historique sur le XIIe siècle comme je m’en suis vantée ce soir-là… J’ai téléphoné à l’éditeur, hier. Il est enchanté… Je lui ai filé, pour l’appâter, les quelques anecdotes que tu m’avais gracieusement soufflées, l’histoire de

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Rollon, de Guillaume le Conquérant, de sa mère lavandière, les « banalités », patin couffin, j’ai fait une sorte de salmigondis de tout ça et il a eu l’air subjugué ! Tu peux me faire ça pour quand ? il a demandé… J’ai dit que je n’en savais rien, mais rien du tout. Alors il m’a promis une grosse avance si je lui filais une vingtaine de pages à lire le plus vite possible. Pour voir comment j’écris et si je tiens la longueur… Parce que, m’a-t-il dit, pour ces sujets-là, il faut de la science et du souffle !

Joséphine écoutait et opinait en silence.

Le seul problème, Jo, c’est que je n’ai ni science ni souffle. Et c’est là que tu interviens.

Moi ? dit Jo en posant le doigt sur sa poitrine.

Oui… toi.

Je vois pas très bien comment, sans vouloir te vexer…

Tu interviens parce que, toutes les deux, on passe un contrat secret. Tu te souviens… quand on était petites et qu’on faisait le serment du sang mêlé ?

Joséphine fit oui de la tête. Et après, tu faisais ce que tu voulais de moi. J’étais terrorisée à l’idée de rompre le serment et de mourir sur-le-champ !

Un contrat dont on ne parle à personne. Tu m’entends ? Personne. Un contrat qui sert nos intérêts à toutes les deux. Toi, tu as besoin d’argent… Ne dis pas non. T’as besoin d’argent… Moi, j’ai besoin de respectabilité et d’une nouvelle image… je ne t’explique pas pourquoi, ça deviendrait trop compliqué et puis je ne suis pas sûre que tu comprendrais. Tu ne pigerais pas l’urgence dans laquelle je suis.

Je peux essayer si tu m’expliques, proposa timidement Joséphine.

Non ! Et puis je n’ai pas envie de t’expliquer. Alors ce qu’on va faire, c’est très simple : toi tu écris le livre et tu récoltes l’argent, moi je le signe et je vais le vendre à la télévision, à la radio, dans les journaux… Tu produis la matière première, moi j’assure le service après-vente. Parce que aujourd’hui, un livre, ce n’est pas tout de l’écrire, il faut le vendre ! Se montrer, faire parler de soi, avoir les cheveux propres et brillants, être bien maquillée, avoir une allure, laquelle, je ne sais pas encore, se faire photographier en train de faire son marché, dans sa salle

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