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Добавлен: 05.08.2024

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de bains, main dans la main avec son mari ou son ami, sous la tour Eiffel, est-ce que je sais ? Plein de choses qui n’ont rien à voir avec le livre mais qui en assurent le succès… Moi, je suis très bonne pour ça, toi tu es nulle ! Moi, je suis nulle pour écrire, toi tu excelles ! À nous deux, en réunissant le meilleur de chacune, on fait un malheur ! Je te répète : pour moi, ce n’est pas une question d’argent, tout l’argent te reviendra.

— Mais c’est une escroquerie ! protesta Joséphine.

Iris la regarda en sifflant d’exaspération. Ses grands yeux balayèrent Jo d’un coup de cils exaspéré, elle haussa les sourcils puis revint plonger à nouveau dans le regard de sa sœur comme un oiseau de proie.

J’en étais sûre. Et en quoi c’est une escroquerie puisque tout l’argent te revient ? Je ne garde pas un centime pour moi. Je te donne tout. Tu m’entends, Jo ? Tout ! Je ne t’escroque pas, je te donne le truc dont tu as le plus besoin en ce moment : de l’argent. Et, en échange, je te demande un tout petit mensonge… même pas un mensonge, un secret.

Joséphine fit une moue méfiante.

Je ne te demande pas de faire ça toute ta vie. Je te demande de faire ça une fois et après on oublie. Après chacune reprend sa place et continue sa petite vie tranquille. Sauf que…

Joséphine l’interrogea du regard.

Sauf qu’entre-temps tu auras gagné de l’argent, et moi j’aurai résolu mon problème…

Et c’est quoi, ton problème ?

Je n’ai pas envie de t’en parler. Tu dois me faire confiance.

Comme quand on était petites…

Exactement.

Joséphine regarda le paysage qui défilait et ne répondit pas.

Jo, je t’en supplie, fais-le pour moi ! Qu’est-ce que tu as à perdre ?

Je ne pense pas en ces termes-là…

Oh, arrête ! Ne me dis pas que tu es claire comme de l’eau de fontaine et que tu ne me caches rien ! J’ai appris que tu travaillais pour le bureau de Philippe, en cachette, sans me le dire. Tu trouves ça bien ? Tu fais des cachotteries avec mon mari !

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Joséphine rougit et bafouilla :

Philippe m’avait demandé de ne rien dire et comme j’avais besoin de cet argent…

Eh bien, moi, c’est pareil : je te demande de ne rien dire et je te donne l’argent dont tu as besoin…

Je n’étais pas fière de te cacher quelque chose.

Oui mais tu l’as fait ! Tu l’as fait, Joséphine. Alors tu veux bien le faire pour Philippe et pas pour moi ? Ta propre sœur !

Joséphine commençait à faiblir. Iris le sentit. Elle prit une voix plus douce, presque suppliante, et noya ses yeux, qui ne lâchaient plus sa sœur, d’une tendresse muette.

Écoute, Jo ! En plus, tu me rends service. Un immense service ! À moi, ta sœur… J’ai toujours été là pour toi, je me suis toujours occupée de toi, je ne t’ai jamais laissée dans le manque ou la misère. Cric et Croc… tu te souviens ? Depuis qu’on est toutes petites… Je suis ta seule famille. Tu n’as plus personne ! Plus de mère puisque tu ne la vois plus et qu’elle est vraiment mal disposée à ton égard, plus de père, plus de mari… Tu n’as plus que moi.

Joséphine frissonna et s’entoura de ses bras. Seule et abandonnée. Elle avait cru, dans l’euphorie du premier chèque, que les propositions allaient s’enchaîner, or elle était bien obligée de constater qu’il n’en était rien. L’homme qui l’avait félicitée pour son excellent travail ne l’avait pas rappelée. Le

15 janvier, il allait bien falloir payer. Le 15 février aussi et le 15 mars, le 15 avril et le 15 mai, le 15 juin et le 15 juillet… Les chiffres lui faisaient tourner la tête. La masse noire du malheur imminent fondit sur elle et un étau se referma sur sa poitrine. Elle eut le souffle coupé.

En plus, continua Iris qui constatait que le regard de Joséphine s’embuait d’inquiétude, je ne te parle pas de petite somme d’argent ! Je te parle d’au moins, au bas mot, cinquante mille euros !

Joséphine poussa une exclamation de surprise.

Cinquante mille euros !

Vingt-cinq mille euros dès que j’aurai rendu les vingt premiers feuillets et un plan de l’histoire…

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Cinquante mille euros ! répéta Joséphine qui n’en croyait pas ses oreilles. Mais il est fou, ton éditeur !

Non, il n’est pas fou. Il réfléchit. Il compte, il calcule. Un livre coûte huit mille euros à fabriquer ; à partir de quinze mille exemplaires, il se sera remboursé. Frais de fabrication et avance compris. Or il dit, et là il faut bien écouter, Jo… il dit qu’avec mes relations, mon allure, mes grands yeux bleus, mon sens de la repartie, je vais emballer les médias et que le livre surfera sur la vague du succès ! Il a dit ça : mot pour mot.

Oui mais…, protesta Joséphine de plus en plus faiblement.

Tu l’écris… Tu connais ton sujet par cœur, tu vas jongler avec les faits historiques, les détails de l’époque, le vocabulaire, les personnages… Tu vas te régaler ! Ça va être un jeu d’enfant pour toi. Et en six mois, écoute-moi bien, Jo, en six mois tu empoches cinquante mille euros ! Et tu n’as plus de souci à te faire ! Tu retournes à tes vieux parchemins, tes poèmes de François Villon, ta langue d’oïl et ta langue d’oc.

Tu mélanges tout ! la reprit Joséphine.

Je m’en fous de tout mélanger. Moi, je n’aurai à défendre que ce que toi, tu auras écrit ! On fait ça une fois et on n’en parle plus…

Joséphine sentit un chatouillement de plaisir au creux du plexus. Cinquante mille euros ! De quoi payer… Elle fit un rapide calcul… au moins trente échéances ! Trente mois de répit ! Trente mois où elle pourrait dormir la nuit, raconter des histoires le jour, elle aimait tant raconter des histoires aux filles quand elles étaient petites, elle savait faire apparaître Rollon et Arthur et Henri et Aliénor et Énide ! Les faire tourbillonner dans des bals, des tournois, des batailles, des châteaux, des complots…

Une seule fois, sûr de sûr ?

Une seule fois ! Que le grand Cruc me croque.

Quand le train entra en gare de Lyon, Lyon-Perrache, trois minutes d’arrêt, Joséphine soupira oui, mais une fois seulement… hein, Iris, tu me le promets ?

Iris promit. Pour une fois seulement. Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer…

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Troisième partie

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Il fallait donc qu’elle écrivît !

Elle ne pouvait plus reculer. À peine avait-elle dit oui en gare de Lyon-Perrache, Lyon-Perrache trois minutes d’arrêt, qu’Iris avait murmuré : « Merci, petite sœur, tu me sors d’un de ces bourbiers, tu n’as pas idée ! Ma vie est un gâchis, un immense gâchis, mais il est trop tard, je ne peux plus faire demi-tour, je peux sauver des restes, les accommoder de manière plus ou moins alléchante, mais il faut que je me rende à cette idée, je ne fais qu’accommoder des restes ! C’est peu glorieux, je te le concède, mais j’en suis là. »

Elle l’avait embrassée, puis s’était reprise en la noyant dans ses yeux bleus, assombris d’ombres noires, « tu deviens jolie, Joséphine, de plus en plus jolie, très bien ces petites mèches blondes, tu es amoureuse ? Non ? Ça ne saurait tarder, je te prédis la beauté, le talent, la fortune, avait-elle ajouté en claquant des doigts comme si elle défiait le sort. Tu vas prendre le relais. J’ai beaucoup reçu à la naissance, plus que toi, c’est vrai, mais j’ai pressé la vie comme un citron et il ne me reste plus qu’un vieux zeste auquel je tente de donner du goût. J’ai espéré un moment pouvoir mettre en scène, écrire. Tu te souviens, Jo… il y a longtemps, j’avais du talent… On disait, Iris est douée, c’est une artiste, elle ira loin, elle va réussir à Hollywood ! Hollywood ! – elle avait eu un ricanement amer –, je suis descendue à Bécon-les-Bruyères ! Il a fallu que je me rende à l’évidence : je suis peut-être douée mais impuissante. Entre l’idée et la réalisation, il y a un fossé que je ne peux franchir, je reste bête, sur le bord à scruter le vide. J’ai envie d’écrire, une envie forcenée, des débuts d’histoires qui clignotent, mais quand je me penche sur les mots, ils s’enfuient sur leurs petites pattes gluantes comme d’ignobles cafards ! Alors que toi… tu sauras les attraper, les aligner en belles phrases sans qu’ils fassent mine de déguerpir. Tu racontes si bien les histoires… Je me souviens des lettres que tu m’envoyais quand tu étais en colonie de vacances, je les lisais à mes copines, elles t’avaient baptisée Madame de Sévigné ! ».

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Émue par l’abandon subit d’Iris, émoustillée par ses prédictions, Joséphine s’était sentie importante. Importante, mais, ne pouvait-elle s’empêcher de penser, menacée. Le ton grandiloquent d’Iris la portait et, en même temps, faisait sonner une alarme : serait-elle assez forte pour remplir son rôle de nègre alerte ? Elle savait écrire une thèse, des conférences, des textes universitaires, elle aimait raconter des histoires, mais il y avait une grande différence entre les épopées qu’elle déroulait au chevet de ses filles et le roman historique qu’Iris avait promis à son éditeur. « Pour l’intendance, ne t’en fais pas, avait poursuivi Iris, la tirant de sa stupeur, je t’achèterai un ordinateur, je te ferai installer Internet. » Jo avait protesté : « Non, non, ne me donne rien tant que je n’ai pas fait mes preuves », Iris avait insisté et Jo, une fois de plus, s’était inclinée.

Et maintenant, il lui fallait passer à l’acte.

Elle regarda l’ordinateur, un très joli portable blanc qui l’attendait la gueule ouverte sur la table de la cuisine encombrée de livres, de factures, de feutres, de Bic, de feuilles de papier, des miettes du petit-déjeuner ; son regard effleura le rond jaune laissé par la théière, le couvercle du pot de confiture à l’abricot, une serviette roulée en couleuvre blanche… Il lui faudrait faire de la place pour écrire. Mettre son dossier d’habilitation de côté. Il faudrait tant de choses, tant de choses, elle soupira, soudainement lasse à l’idée de l’effort à fournir. Comment décider du sujet d’un livre ? Comment créer des personnages ? Une histoire ? Des rebondissements ? Proviennent-ils des événements extérieurs ou de l’évolution des personnages ? Comment commencer un chapitre ? L’ordonner ? Fallait-il fouiller dans ses travaux et ses recherches, convoquer le panache de Rollon, Guillaume le Conquérant, Richard Cœur de Lion, Henri II, demander à l’esprit de Chrétien de Troyes de descendre sur elle ? Ou s’inspirer de Shirley, d’Hortense, d’Iris, de Philippe, d’Antoine et de Mylène, les revêtir d’un heaume, d’un hennin, d’une paire de poulaines ou de sabots, les loger à la ferme ou au château ? Le décor change, les oscillations du cœur perdurent. Le cœur bat, identique, chez Aliénor, Scarlett ou Madonna. Les tournures des robes, les cottes de mailles

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tombent en poussière, mais les sentiments demeurent. Par où commencer ? se répétait Joséphine en observant l’intensité de la lumière de ce mois de janvier baisser doucement dans la cuisine, éclairer d’une lueur pâle le rebord de l’évier et mourir dans l’égouttoir. Existe-t-il un livre qui donne des recettes pour écrire ? Cinq cents grammes d’amour, trois cent cinquante grammes d’intrigues, trois cents grammes d’aventures, six cents grammes de références historiques, un kilo de sueur… laissez cuire à feu doux, à four chaud, remuez, faites sauter pour que ça n’accroche pas, évitez les grumeaux, laissez reposer trois mois, six mois, un an. Stendhal, à ce qu’on prétend, écrivit La Chartreuse de Parme en trois semaines, Simenon troussait ses romans en dix jours. Mais combien de temps auparavant les avaient-ils portés et nourris en se levant, en enfilant un pantalon, en buvant un café, en ramassant le courrier, en regardant la lumière du matin s’étaler sur la table du petitdéjeuner, en comptant les grains de poussière dans le rayon du soleil ? Laisser le temps infuser. Trouver son propre mode d’emploi. Boire du café comme Balzac. Écrire debout comme Hemingway. Cloîtrée comme Colette quand Willy l’enfermait. Faire des enquêtes comme Zola. Prendre de l’opium, du gros rouge, du haschich. Gueuler comme Flaubert. Courir, divaguer, dormir. Ou ne pas dormir comme Proust. Et moi ? La toile cirée de la table de cuisine, le face-à-face avec l’évier, la théière, le tictac de l’horloge, les miettes du petit-déjeuner et les échéances à payer ! Léautaud disait « écrivez comme si vous écriviez une lettre, ne vous relisez pas, je n’aime pas la grande littérature, je n’aime que la conversation écrite. » À qui pourrais-je envoyer une lettre ? Je n’ai pas d’amant qui m’attend dans le parc. Je n’ai plus de mari. Ma meilleure amie habite sur le palier.

Écrire à un homme que j’inventerais… Un homme qui m’écouterait. L’ordinateur avait toujours la gueule ouverte. Iris l’avait acheté le lendemain de leur arrivée à Megève. Si je pose mes doigts sur le clavier, il me les tranchera. Elle eut un petit rire nerveux et frissonna.

C’est avec l’argent des traductions que tu l’as acheté ? avait murmuré Philippe dans les cheveux de Jo qui avait rougi violemment. Iris était occupée à allumer le feu dans la

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cheminée. « Je suis enchanté de ma nouvelle collaboratrice, avait-il ajouté en se redressant, sur le contrat Massipov tu nous as évité une grosse bourde. » Je suis en train de devenir la reine du mensonge et de la dissimulation, avait pensé Jo. Traduire des contrats pour Philippe, passe encore, mais si la maison d’édition d’Audrey Hepburn lui proposait un livre à traduire, si son directeur de thèse demandait à lire son dossier, elle ne suffirait plus à la tâche, il faudra que je prenne un nègre. Elle avait pouffé de rire. Iris s’était retournée, « c’est si drôle ce que te raconte Philippe ? Tu devrais en faire profiter tout le monde… ». Jo avait bafouillé une excuse. Joséphine était de plus en plus à l’aise avec Philippe. Ils n’étaient pas encore intimes, et probablement ne le seraient jamais, Philippe n’inspirant ni l’abandon ni la confidence, mais ils s’entendaient très bien. Il y a des gens dont le regard vous améliore. C’est très rare, mais quand on les rencontre, il ne faut pas les laisser passer. Il y avait, chez Philippe, une étrange douceur dans le regard qu’il posait parfois sur elle, une tendresse étonnée. D’habitude, songea-t-elle, quand on me regarde, c’est pour me demander ou me prendre quelque chose. Philippe, lui, donne. Et sous son regard bienveillant, je grandis. Peut-être un jour deviendra-t-il mon ami ?

Le rayon de soleil s’était éteint et l’égouttoir ne luisait plus. La cuisine était plongée dans une lumière froide et triste de mois de janvier. Joséphine soupira, il lui fallait faire de l’ordre pour installer un espace de travail. Bientôt, elle serait à l’étroit.

C’est en poussant la table de la cuisine qu’elle retrouva le triangle rouge. Il avait glissé derrière le grille-pain. Elle se pencha, saisit la feuille de papier entre ses doigts, la tourna, la retourna, ferma les yeux et remonta le temps. Juillet dernier. Antoine vient chercher les filles pour les emmener en vacances. Elle croise les bras sur le pas de la porte. Se mord les lèvres pour ne pas montrer son émotion. Crie « bonnes vacances, mes chéries, amusez-vous bien ». Appuie fort sur ses lèvres avec ses doigts pour ne pas pleurer. Entend les pas qui dégringolent les escaliers. Tout à coup, elle s’élance, se précipite sur le balcon. Se penche. Aperçoit un coude rouge qui déborde de la voiture. Le coude rouge de Mylène… et Antoine qui place les valises dans le

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coffre, en pousse une, en déplace une autre avec l’attention d’un bon père de famille qui part en vacances. Un éclair tombe sur la tête de Jo qui comprend en une fraction de seconde que c’est fini. Un homme range des valises dans un coffre, un coude rouge dépasse, une femme sur un balcon regarde. Le couple éclate et la femme sur le balcon a envie de sauter dans le vide.

Joséphine déchira le triangle rouge et le jeta à la poubelle. C’est de ma faute aussi. Je l’ai ennuyé avec mon amour. J’ai

vidé mon cœur dans le sien. Jusqu’à la dernière goutte. Je l’ai rassasié. Il n’y a pas seulement l’amour, il y a la politique de l’amour, disait Barbey d’Aurevilly.

Elle leva les yeux sur l’horloge et s’exclama : sept heures ! elle réfléchissait depuis quatre heures. Quatre heures envolées à la vitesse de dix minutes ! Les filles allaient rentrer de l’école. L’étude finissait à six heures et demie.

Elle n’avait pas préparé le dîner.

Elle sortit une casserole, la remplit d’eau, y plongea des pommes de terre, je les éplucherai quand elles seront cuites, prit une salade dans le frigidaire, la fit tremper, mit la table, se raisonna, ne panique pas, tu vas y arriver, un écrivain n’a pas besoin d’être intelligent, il doit savoir traduire ce qu’il ressent, trouver les mots qui habillent les émotions, à qui aurais-je envie d’écrire une lettre ? Séduire en écrivant, séduire un homme, je ne veux séduire personne, c’est là mon problème, je me trouve moche, grosse, pourtant j’ai perdu du poids… Elle commença une vinaigrette, huile de tournesol ou huile d’olive, avec l’argent du livre je ne prendrai plus que de la bonne huile d’olive, de la première pression à froid, celle qui coûte le plus cher, qui a gagné plein de concours, l’argent, je ne vais plus en manquer, cinquante mille euros tout de même, ils sont fous ces éditeurs, est-ce que j’ai vraiment maigri ou est-ce que j’ai mal lu la balance, je me repèserai demain, Érec et Énide, quelle belle histoire, quelle bonne idée de commencer un roman avec un mariage et d’explorer ensuite la survivance du désir, le contraire de ce qu’il se passe habituellement dans les contes de fées, pourquoi faut-il être mince pour plaire aux hommes, au XIIe siècle les femmes étaient des armoires à glace, elles se devaient d’être grasses, est-ce que mon héroïne sera solide ou la

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ferai-je fragile, en tous les cas, elle sera belle et luisante d’onguents, soigneusement épilée par des bandelettes de poix car le poil était mal vu, et comment vais-je l’appeler, ne pas mettre trop de moutarde dans la vinaigrette, Hortense n’aime pas, y aura-t-il des enfants dans mon histoire ? Quand on s’est mariés avec Antoine, on en voulait quatre, on s’est arrêtés à deux, aujourd’hui, je le regrette, il exagère d’avoir pris cet emprunt sans me le dire, il aurait pu m’en parler ! Et moi, bonne pomme, j’ai signé, les yeux fermés, ça ne lui portera pas bonheur ! Et l’autre, Mylène, je parie qu’elle dépense mon argent, je la déteste celle-là, je voudrais qu’elle perde ses cheveux, qu’elle perde ses dents, qu’elle perde sa ligne, qu’elle perde… Et comment trouve-t-on des noms et des prénoms ? Aliénor ? non… trop prévisible… Emma, Adèle, Rose, Gertrude, Marie, Godelive, Cécile, Sibylle, Florence… Et lui ? Richard, Robert, Eustache, Baudouin, Arnoud, Charles, Thierry, Philippe, Henri, Guibert… Et pourquoi n’aurait-elle qu’un amoureux, elle n’est pas aussi nunuche que moi ! Ou alors, c’est une nunuche qui réussit… malgré elle ! Ce serait drôle, ça, une fille qui n’aspire qu’à un bonheur tout simple et qui se trouve aspirée par le succès, la gloire et la fortune car tout ce qu’elle approche se transforme en or ! Quand l’histoire commence, elle veut être religieuse, mais ses parents s’y refusent… elle doit se marier. Avec un riche noble car elle appartient à une famille de petite noblesse, ruinée par les guerres locales, qui ne peut entretenir ses terres et est dépossédée. Elle doit se marier avec Guibert le félon à la barbe fourchue, mais…

Une goutte d’eau bouillante jaillit de la casserole et lui brûla la main, elle poussa un cri et fit un bond. Piqua les pommes de terre avec la pointe d’un couteau, vérifia qu’elles étaient cuites.

Maman, maman ! On est rentrées avec madame Barthillet, elle est maigre comme un clounichon ! Maman, si je deviens une grosse dondon, tu me feras faire le régime de madame Barthillet ?

Bonsoir, maman, dit Hortense, on nous a informés qu’il n’y avait pas cantine demain, tu peux me donner cinq euros que je puisse m’acheter un sandwich ?

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