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Добавлен: 05.08.2024

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Ça n’a pas marché. Il ne m’a pas inspirée du tout !

Fais-en un des maris et ça marchera.

Merci beaucoup, tu m’as dit qu’ils mouraient tous.

Pas le dernier !

Ah…, fit Joséphine d’une petite voix. C’est que je n’ai pas envie qu’il meure, moi !

Silly you ! Tu ne sais même pas qui il est.

Je l’imagine et c’est délicieux. C’est presque mieux de vivre un amour en rêve, on ne risque pas d’être déçue…

Et faire l’amour en rêve, c’est comment ?

Je n’en suis pas là, soupira Joséphine, les yeux rivés à l’écran où le cercueil du défunt mari avait échappé aux croquemorts et dévalait les marches de l’escalier pendant que Shirley MacLaine, imperturbable, continuait d’avancer sous son grand chapeau rose.

La nuit, il ne trouvait plus le repos. Le doigt menaçant de Faugeron le tirait de son sommeil ; il se réveillait, en sueur, l’oreiller et les draps trempés. Il étouffait, perdait le souffle, râlait, se tordait, s’asphyxiait jusqu’à ce que sa gorge se dénoue et que ses narines se remplissent de l’air frais de la nuit. Il se levait, allait prendre une douche, enfilait un bas de pyjama propre et sec, écoutait les bruits de la nuit africaine par la fenêtre grande ouverte de la chambre. Le cri des perroquets réfugiés sur le toit de la maison, le piaillement des singes se poursuivant de branche en branche dans les larges acacias, la course rapide d’un impala dans les herbes hautes, tout lui semblait étranger, menaçant. Dans la journée, il se sentait un intrus sur cette terre… mais la nuit, c’était comme si toute la nature lui criait de s’en aller, de repartir chez les Blancs, ces petits hommes frêles et transpirants qui ne supportent pas la chaleur de l’Afrique et se bourrent de quinine.

Il entendait le souffle calme de Mylène à ses côtés et ne parvenait pas à se rendormir. Alors il se levait, descendait dans le salon, se servait un whisky et sortait sur la terrasse en bois qui entourait la maison. Il s’asseyait sur les marches, buvait une gorgée d’alcool puis une autre et une autre ; ses yeux

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s’habituaient à l’obscurité. Peu à peu, se détachaient de l’ombre des taches jaunes, vacillantes, qui s’allumaient les unes après les autres et semblaient converger vers lui : les yeux jaunes des crocodiles. Affleurant le niveau de l’eau, posés comme des lucioles sur la surface moirée et noire des étangs, ils le regardaient. Il entendait leur queue agiter l’eau, leur corps s’ébranler lentement, pesamment, s’approcher du rivage et attendre. Face à la maison. Un, puis deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit… Ils fendaient l’obscurité comme des plongeurs silencieux. Parfois l’un d’eux ouvrait grande sa mâchoire et une rangée de dents blanches rayait la nuit noire. Puis la gueule se refermait d’un coup sec et il n’apercevait plus que les fentes jaunes qui le fixaient. Vingt millions d’années qu’ils sont sur terre, pensait-il, qu’ils résistent à toutes les catastrophes naturelles, la terre qui se fend, se plisse, se brise, brûle et coule, se glace et se fige. Ils ont vu passer des dinosaures, des primates, des hommes à quatre pattes, des hommes penchés, des hommes droits, des hommes foudroyés et ils sont toujours là, aux aguets. Je ne fais pas le poids face à eux. Je suis si seul ici. Plus personne à qui parler. Et toujours pas de nouvelles de mister Wei. Pas de nouvelles, pas de chèque, pas d’explication. Sa secrétaire me répond toujours que oui, oui, mister Wei is going to call you back, mais il ne rappelle jamais. Don’t worry, mister Tonio, he’ll call you, he’ll call you, everything’s all right, mais non ! Rien n’était all right, il n’avait pas touché un sou depuis qu’il était ici. Il vivait sur les économies de Mylène. Quand il appelait ses filles en France, il inventait des histoires, parlait de profits mirifiques, promettait de les faire venir bientôt, ce n’était qu’une question de jours maintenant. Elles devaient sentir la contrainte dans sa voix parce qu’elles ne répondaient plus que par monosyllabes pour ne pas l’offenser. Et Jo ? murmura-t-il en suivant un crocodile qui venait s’agglutiner au groupe, ajoutant deux lampes jaunes au parterre de lumières qui le contemplaient. Faugeron avait dû la mettre au courant. Elle n’avait pas appelé. Ne lui avait pas adressé le moindre reproche. Il eut honte. Ses yeux repartirent sur les taches jaunes dans l’obscurité, il eut envie de pleurer. Il se sentait si lâche. Plus forte que la honte, il sentait grandir en lui

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une peur froide et tenace. Elle ne le lâchait plus. La peur avait remplacé sa belle assurance d’autrefois quand il faisait le beau, le soir, après les safaris, sous les tentes de toile, en buvant des whiskies. Il n’avait personne à qui dire qu’il avait peur. Les crocodiles le savent, eux. Ils sentent ma peur du fond de l’étang et viennent s’attrouper face à moi pour s’en repaître. Ils attendent. Ils ont le temps pour eux, tout le temps, qu’importe qu’on les trucide, ils savent qu’ils auront le dessus, que la force brute l’emporte toujours. Ils attendaient en braquant sur lui des lampes jaunes. Pour accroître sa peur. Sa peur… grande comme une caverne qui le dévorait.

Joséphine. Mylène. Elles se sont endurcies tandis que je me ramollissais, elles ont la tête vissée sur les épaules alors que la mienne tourne comme une girouette. Mylène affichait calme et sérénité quand Pong apportait le courrier. Elle ne disait rien, elle n’avait même pas besoin de demander si le chèque était arrivé, elle le regardait ramasser les enveloppes sur l’assiette en bois que présentait Pong, puis déchirait son escalope de buffle en rayant l’assiette. Antoine en avait des frissons dans le dos. Elle demandait : « C’est bon ? Tu aimes ? » Elle avait appris à cuisiner le buffle en le faisant mariner dans une sauce à la menthe et à la verveine sauvages qui lui donnait un goût délicieux. Ça changeait du poulet.

Elle faisait des projets car elle ne comptait pas rester oisive. Apprendre le chinois, la cuisine chinoise, faire des bracelets, des colliers comme les femmes sur le marché, les vendre en France peut-être, fabriquer des produits de maquillage avec les graines et les colorants locaux, monter un ciné-club, un atelier de dessin. Chaque jour, elle avait une nouvelle idée. Joséphine n’avait même pas pris la peine de décrocher le téléphone pour l’insulter, le traiter de lâche, de voleur. Deux femmes dans une cuirasse. Une peau de crocodile, songea-t-il en souriant du rapprochement qu’il osait faire. Les femmes ont si bien appris à être fortes qu’elles se sont cuirassées. Parfois cruelles tellement elles semblent impitoyables. Elles ont raison, il faut être impitoyable aujourd’hui. Il voyait les rivages, les blocs de pierre qui délimitaient les étangs, les grillages qui empêchaient les crocodiles de vagabonder. Il sentit une petite brise se lever et

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rabattit ses cheveux sur le sommet du crâne. Un crocodile tentait de se hisser hors de l’eau. Il avait sorti son corps de la mare et avançait sur ses pattes trapues et courtes, des pattes d’infirme, songea Antoine. Le crocodile resta un moment le museau contre le fil barbelé, chercha à le tordre, poussa une sorte de cri rauque et referma plusieurs fois ses mâchoires sur le grillage. Puis il se coucha et referma ses yeux jaunes comme des volets qu’on descend à regret.

Hier soir, Mylène avait dit qu’elle aimerait bien faire un tour à Paris. Pour une semaine. Comme ça, tu pourrais voir tes filles. Et le grand trou s’était creusé dans son ventre, le remplissant de peur. Il s’était mis à suer, à dégouliner ; affronter Joséphine et les filles, leur avouer qu’il s’était trompé, que ce n’était pas une si bonne idée d’élever des crocodiles. Qu’il s’était fait avoir une fois de plus…

Il regarda devant lui l’herbe haute et les grands acacias qui frissonnaient dans la brise du matin. J’aime le petit matin et la rosée qui brille sur l’herbe encore grasse, avant que le soleil ne la dessèche. J’aime l’odeur de verveine, les troncs d’arbre qui se dessinent dans le jour naissant, la brume humide qui s’évapore aux premiers rayons du soleil. Est-ce vraiment moi, Antoine Cortès, assis sur les marches du perron ? Le crocodile avait recommencé à donner des coups dans le grillage. Il ne renonçait pas. Ses grands yeux jaunes semblaient rétrécis par la colère et ses griffes labouraient le sol comme s’il voulait creuser un souterrain pour s’échapper. Ce doit être un mâle, songea Antoine, un sacré mâle ! Il me fera des dizaines de petits, celuilà. Il faut qu’il me fasse des petits. Il faut que ce foutu élevage marche ! J’ai quarante ans, bordel de merde, si je ne réussis pas maintenant, je suis foutu ! Plus personne ne voudra de moi, je ferai partie des vieux, des perdants, et ça il n’en est pas question, bordel de bordel de merde ! Il se mit à jurer pour encourager la haine qu’il sentait monter en lui, haine de mister Wei, haine des crocodiles, haine de ce monde où, si on n’avait pas réussi à son âge, on était bon à être jeté, haine de ses deux femelles que rien n’abattait ! Dégoût de lui, aussi. Ça ne fait pas six mois que tu es ici et tu es déjà prêt à baisser les bras…

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Il se leva pour se servir un verre, décida de prendre la bouteille et de boire au goulot. S’il allait à Paris, il mettrait au point une stratégie avec Faugeron pour se faire payer. Faugeron avait toujours été bienveillant. Sûrement à cause de l’argent de Chef et des relations de Philippe, ricana-t-il en approchant une nouvelle fois le goulot de ses lèvres, n’empêche, il est gentil, je parlerai avec lui et on trouvera un moyen pour faire payer le vieux Chinois. Se prend pour qui, celui-là ? L’empereur de Chine ? C’est fini, ce temps-là !

Il aurait cru qu’au nom de mister Wei, la peur lui aurait encore noué les tripes, mais il n’en fut rien. Non seulement il n’avait plus peur mais il exultait. Il était rempli d’une joie folle, une joie d’homme qui sait exactement comment il va casser la gueule au mec qui l’entube depuis des mois. Il voyait très précisément ce qu’il allait faire : aller à Paris, discuter avec Faugeron, mettre un plan sur pied et se faire payer. Il y avait sûrement un moyen de tirer du blé de ce Croco Park à la mords- moi-le-nœud ! Qui c’est qui la fait tourner cette plantation à la con ? C’est moi, Tonio Cortès… Personne d’autre. Et pas un gamin en culottes courtes qui a peur de lâcher la main de sa maman, non ! Un vrai gars qui en a une belle paire ! Un gars qui pourrait même aller faire un bisou au crocodile hargneux… Il éclata de rire et leva sa bouteille à la santé du crocodile.

La lueur du petit matin avait effacé les taches jaunes des crocodiles. Le soleil se levait derrière le toit de la maison avec une lenteur majestueuse qui emplit Antoine d’un respect ému. Il s’inclina profondément, mima une révérence puis une autre, perdit l’équilibre et s’étala dans la poussière.

Il se releva, but une gorgée au goulot puis, fixant chaque paire d’yeux jaunes, il ouvrit sa braguette et lâcha un jet chaud, doré, sonore face aux reptiles. Il allait leur montrer que non seulement il n’avait plus honte, mais qu’il n’avait plus peur et qu’ils avaient intérêt à se tenir à carreau.

Tu as quelque chose à prouver pour pisser ainsi face à ces sales bêtes ? demanda une voix ensommeillée derrière lui.

Il se retourna et vit Mylène qui descendait les marches en serrant un tissu en coton sur ses hanches. Il la regarda, hébété.

Quelle allure ! s’esclaffa-t-elle.

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Il se demanda s’il rêvait ou s’il n’y avait pas une pointe de mépris dans sa voix. Il éclata d’un rire énorme qu’il voulait naturel et s’inclina à nouveau en disant :

The new Tonio is facing you !

Parle français, s’il te plaît ! J’aimerais bien tout comprendre…

T’occupe ! Mais moi je sais ce que je sais et je sais que ça ne va pas durer longtemps comme ça…

C’est bien ce que craignais, soupira Mylène en resserrant le pagne autour de ses reins. Allez, viens, on va prendre le petitdéjeuner, Pong est déjà en cuisine…

Et comme Antoine se dirigeait en titubant vers la maison, elle éleva la voix suffisamment haut pour qu’il l’entende et lâcha d’un ton sec :

J’aimerais bien que tu sois aussi brave et déterminé face à cet escroc de Wei. Quand je pense qu’on est en train de dépenser toutes mes économies, ça me file vraiment les boules !

Antoine n’entendit pas. Il avait raté la marche du perron, s’était étalé de tout son long sur le sol de la véranda. La bouteille de whisky roula sur les marches, descendit jusqu’à la dernière où elle finit de répandre sur le sol une flaque de liquide ambré qui accrocha les plus hauts rayons du soleil.

Alors je lui ai dit que vous devriez vous revoir, que c’était stupide que vous ne vous parliez plus et elle m’a dit non, pas tant qu’elle ne m’a pas fait des excuses, des excuses pensées, des excuses venues du cœur, pas des excuses bâclées, c’est elle qui m’a agressée, elle est ma fille, elle me doit le respect ! Je lui ai dit que je te ferais la commission et…

C’est tout vu, je ne lui ferai pas d’excuses.

Donc vous n’êtes pas près de vous revoir…

Je vis très bien sans elle. Je n’ai besoin ni de ses conseils, ni de son argent, ni de l’amour qu’elle croit donner et qui n’est en fait qu’abus d’autorité. Tu crois qu’elle m’aime, ma chère mère ? Tu le crois vraiment ? Moi, je ne le crois pas, je pense qu’elle a fait son devoir en nous élevant mais qu’elle ne nous aime pas. Elle n’aime qu’elle et l’argent. Toi, elle te respecte

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parce que tu as fait un beau mariage, qu’elle parade en parlant de son gendre merveilleux, de ton grand appartement, de tes amis, de ton train de vie mais moi… elle me méprise.

Jo, ça fait près de huit mois que tu ne l’as pas vue. Imagine qu’il lui arrive quelque chose… C’est ta mère tout de même !

Il ne lui arrivera rien : la méchanceté conserve ! Papa est mort à quarante ans d’une crise cardiaque, elle, elle finira centenaire.

Là, tu es carrément méchante.

Non, pas méchante, vivante ! Depuis que je ne la vois plus, je me porte à merveille…

Iris ne répondit pas. Elle jeta un regard aiguisé sur une ravissante blonde qui entrait en éclatant de rire.

Tu changes, Jo, tu changes. Tu t’endurcis… fais attention !

Dis-moi, Iris, tu ne m’as pas donné rendez-vous dans ce café porte d’Asnières pour me parler de notre mère et me faire la morale ?

Iris haussa les épaules et soupira.

Je suis passée chez Chef avant de venir, Hortense était dans ses bureaux : elle cherche un stage pour le mois de juin, pour son école ; je peux te dire que les petits gars de l’entrepôt avaient le sang en ébullition. La vie s’est arrêtée quand Hortense est arrivée…

Je sais, elle fait cet effet-là à tout le monde…

Àl’intérieur du Café des Carrefours, Jo et Iris déjeunaient. Les camions faisaient trembler les parois vitrées de l’établissement en freinant juste avant de tourner et de se lancer sur le périphérique ; des habitués entraient en faisant battre les portes. Des jeunes, pour la plupart, qui devaient travailler dans les bureaux avoisinants. Ils arrivaient en se poussant, criaient qu’ils mouraient de faim et choisissaient le menu à dix euros, quart de vin compris. Iris avait demandé des œufs au platjambon, Joséphine une salade verte avec un yaourt.

J’ai vu Serrurier… l’éditeur, commença Iris. Il a lu… et…

Et ? souffla Joséphine, nouée d’angoisse.

Et… Il est enchanté par ton idée, enchanté par les vingt feuillets que tu m’as donnés, il m’a noyée sous les compliments et… et…

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Elle prit son sac, l’ouvrit, en sortit une enveloppe qu’elle agita dans l’air.

Il m’a donné une première avance. La moitié des cinquante mille euros… le reste viendra quand je lui remettrai la totalité du manuscrit. Je t’ai aussitôt rédigé un chèque de vingtcinq mille euros, comme ça ni vu ni connu, tu l’empoches.

Elle tendit l’enveloppe à Joséphine qui la prit avec infiniment de respect. Soudain, alors qu’elle refermait son sac, une question vint la tarauder.

Comment tu vas faire pour les impôts ? demanda-t-elle à

Iris.

Tu as de la salade sur les dents de devant, l’interrompit Iris en faisant le geste de se nettoyer les dents.

Joséphine obtempéra et posa à nouveau sa question.

Ne t’inquiète pas, Philippe n’y verra que du feu. De toute façon, ce n’est pas lui qui fait sa déclaration, c’est un comptable, et il paie tellement d’impôts que ce n’est pas ça qui changera beaucoup les choses !

T’es sûre ? Et moi, si on me demande d’où vient cet argent ?

Tu diras que c’est un cadeau de ta sœur qui est pleine aux

as.

Joséphine fit une moue dubitative.

Arrête de te miner, Jo. Profite, profite… Ce n’est pas merveilleux ? Notre projet est accepté, et avec les félicitations du jury.

Je n’en reviens pas. Et tu me parlais de notre poison de mère ! Mais tu te rends compte, Iris ? Il a aimé ! Il a aimé mon idée ! Il a fait un chèque de vingt-cinq mille euros rien que sur mon idée !

Et sur les vingt feuillets que tu as écrits… Très astucieux, ton plan. Il donne envie de lire la suite…

Joséphine eut, un instant, la tentation de commander une choucroute pour fêter l’événement, mais résista.

C’est pas génial, petite sœur ? demanda Iris, une lueur jaune dans ses yeux écarquillés. On va devenir riches et célèbres !

Riche pour moi, célèbre pour toi !

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Ça t’ennuie ?

Non… Au contraire. Je peux écrire ce que je veux : personne ne saura que c’est moi. Ça m’enlève une tonne de trac, je te jure ! Et puis j’en serais bien incapable ! Quand je vois ce qu’il faut faire et dire pour passer à la télé, j’ai envie de me faufiler sous mon lit.

Moi, c’est ce qui va m’amuser. Je n’en peux plus de mon image de femme si correcte, Jo, je n’en peux plus…

Iris resta un moment rêveuse, faisant écho au silence de Joséphine qui couvait son sac des yeux. Puis ses mâchoires reprirent leur mastication, et elle se frappa le front.

J’ai failli oublier. Je voulais te montrer un article de journal que j’ai découpé pour toi…

Elle plongea la main dans son sac et en sortit un journal plié en deux qu’elle ouvrit délicatement, cherchant le passage qui l’intéressait.

Voilà ! C’est un portrait de Juliette Lewis, tu sais, l’ancienne actrice de cinéma… enfin quand je dis ancienne, elle doit avoir une petite trentaine, on ne lui propose plus de rôles, alors elle s’est reconvertie dans la chanson. Écoute bien ce qui est écrit dans ce journal ! « Juliette Lewis est aujourd’hui à la tête d’un groupe de rock, Juliette and the Licks, en français Juliette et les Léchouilles, un nom qui provoque l’émotion à lui tout seul, surtout quand le jeune homme qui s’occupe des relations de presse des Léchouilles confirme que Juliette Lewis porte sur scène ces slips assez légers qu’on est en droit d’appeler strings. “Oui, il arrive qu’on lui voie une bonne partie des fesses”, affirme le dénommé Chris au moment même où Juliette revient vers nous en disant Here, we go, man, de cette voix rauque qu’on lui connaît si bien… »

Je trouve ça nul…

Et moi, je suis prête à jouer le jeu !

À montrer ton string ?

À fabriquer des images comme celles-là pour vendre le

livre.

Joséphine regarda sa sœur et se demanda si elle n’était pas en train de faire une grosse bêtise en devenant sa complice.

Iris, tu parles sérieusement ?

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Mais oui, petite cruche. Je vais faire un show… Un vrai show que je réglerai au détail près, et j’ai bien l’intention de crever l’écran. Il n’arrête pas de me le dire, Serrurier, « avec vos yeux, vos relations, votre beauté »… Tout ça, c’est mieux que tes petits doigts sur ton clavier et toute ton érudition ! Pour vendre, je veux dire, pour vendre…

Elle rejeta ses longs cheveux noirs en arrière, étendit les bras au ciel comme si elle ouvrait une voie royale et soupira :

Je m’ennuie tellement, Jo, je m’ennuie tellement…

C’est pour ça que tu le fais ? demanda Jo timidement.

Iris ouvrit grands les yeux et n’eut pas l’air de comprendre.

Ben oui… Pour quelle autre raison ?

Justement. J’aimerais bien savoir. L’autre jour, dans le train, tu m’as dit que je te sortais d’un mauvais pas… Tu as même employé le mot « bourbier », alors je me demandais…

Ah ! Je t’ai dit ça !

Elle fit la moue comme si Joséphine venait de lui rappeler un mauvais souvenir.

Tu m’as dit ça exactement… et je pense que j’ai le droit de savoir.

Comme tu y vas, Jo. Le droit de savoir !

Ben oui… Je m’embarque avec toi dans une galère et il me semble juste que j’aie les mêmes cartes que toi en main.

Iris soupesa sa petite sœur du regard. Elle changeait, Joséphine ! Plus vindicative, plus hardie. Elle comprit qu’elle ne pourrait pas se taire, poussa un long soupir et lâcha, sans regarder Jo :

C’est à cause de Philippe… J’ai l’impression qu’il se détourne de moi, que je ne suis plus la dernière merveille du monde… J’ai peur qu’il me lâche et je me dis qu’en écrivant ce livre, je le séduirai à nouveau.

Parce que tu l’aimes ? demanda Joséphine, de l’espoir dans la voix.

Iris lui jeta un regard mêlé de pitié et d’exaspération.

On peut dire ça comme ça. Je ne veux pas qu’il me quitte. J’ai quarante-quatre ans, Jo, je n’en retrouverai pas un autre comme lui. J’ai la peau qui va friper, les seins qui vont tomber, les dents qui vont jaunir, les cheveux se clairsemer. Je tiens à la

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