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Добавлен: 05.08.2024
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—Il faut que tu t’en ailles ! Que tu le menaces de t’en aller… Antoine la dévisagea, abasourdi.
—Mais je fais quoi si je pars ?
—Tu recommences ici ou ailleurs… tout petit… peu à peu…
—Je peux pas ! Je me suis investi là-bas. Et je suis trop vieux.
—Écoute-moi bien, Antoine : ces gens-là ne comprennent que les rapports de force. Si tu restes, si tu travailles sans être payé, comment veux-tu qu’il te respecte ? Alors que si tu le quittes en lui laissant les crocodiles sur les bras, il t’enverra un chèque illico ! Réfléchis… C’est évident. Il ne va pas prendre le risque de laisser mourir des milliers de crocodiles… C’est lui qui serait dans le pétrin !
—Tu as peut-être raison…
Il soupira comme si le bras de fer qu’il fallait engager avec monsieur Wei l’épuisait déjà, se reprit et répéta « tu as raison, je vais faire ça ». Joséphine se leva pour baisser le feu sous les oignons, sortit les morceaux de poulet qu’elle mit à rissoler dans la cocotte. L’odeur du poulet tira Antoine de sa rêverie.
—C’est si simple quand je parle avec toi. Si simple… Tu as changé.
Il tendit le bras et attrapa la main de Joséphine. Il l’étreignit et murmura « merci », plusieurs fois. Un coup de sonnette. C’étaient les filles.
—Reprends-toi, maintenant ! Souris, sois gai… Il ne faut pas qu’elles sachent. Ce n’est pas leur problème. D’accord ?
Il acquiesça en silence.
—Je pourrai t’appeler si ça ne va pas ?
Elle hésita un instant, mais, devant son air suppliant, accepta.
— Et ne laisse pas Hortense accaparer la conversation, ce soir… Fais parler Zoé. Elle s’efface toujours devant sa sœur.
Il lui sourit faiblement et hocha la tête.
Quand ils furent sur le point de partir, Antoine demanda « tu viens dîner avec nous ? ». Joséphine secoua la tête et répondit « non, j’ai du travail, amusez-vous et ne rentrez pas trop tard, il y a école demain ! ».
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Elle referma la porte d’entrée et sa première réaction la fit sourire. Il faut que j’écrive, se dit-elle, il faut que j’écrive cette scène et que je la mette dans mon livre. Je ne sais pas où exactement, mais je sais que je viens de vivre un beau moment, un moment où l’émotion d’un personnage fait progresser l’action. C’est magnifique quand l’action vient de l’intérieur, quand elle n’est pas plaquée de l’extérieur…
Elle alla s’asseoir derrière son ordinateur et se mit à écrire. Pendant ce temps, Mylène Corbier regagnait la chambre de
l’hôtel Ibis à Courbevoie. Antoine avait réservé au nom de monsieur et madame Cortès. Ce qui aurait ébloui Mylène il y a un an la laissait froide. Elle eut du mal à glisser la clé dans la porte de la chambre tant elle était chargée. Elle avait fait le tour des magasins, Monoprix, Sephora, Marionnaud, Carrefour, Leclerc, à la recherche de produits de maquillage bon marché. Depuis quelques semaines, une idée germait : apprendre aux Chinoises du Croco Park à se maquiller et en faire un commerce. Acheter en France du fond de teint, du rimmel, du vernis à ongles, des fards à joues et à paupières, des rouges à lèvres et les revendre là-bas en se réservant une marge de bénéfice. Elle avait remarqué que, chaque fois qu’elle se maquillait, les Chinoises la suivaient, chuchotaient dans son dos, puis l’abordaient en demandant dans un mauvais anglais comment se procurer du rouge, du vert, du bleu, du rose, de l’ocre crème, du beige rosé, du « cacao pour les cils ». Elles pointaient du doigt les yeux, les cils, les lèvres, la peau de Mylène, lui prenaient le bras pour respirer l’odeur de sa crème pour le corps, touchaient ses cheveux, les froissaient, poussaient des petits cris d’excitation. Mylène les observait, maigres et pitoyables dans leurs shorts trop grands, la peau mal soignée, le teint terne, brouillé. Elle avait remarqué aussi qu’elles raffolaient des produits où il y avait écrit Paris ou Made in France sur la boîte. Elles étaient prêtes à les lui racheter très cher. Cela lui avait donné une idée : ouvrir un cabinet d’esthéticienne à l’intérieur du Croco Park. Elle y ferait des nettoyages de peau et des soins de beauté. Elle vendrait les produits rapportés de Paris. Il faudrait qu’elle calcule
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soigneusement les prix pour amortir les frais du voyage et faire un bénéfice.
Elle ne pouvait plus compter sur Antoine. Il se délitait de jour en jour. Il s’était mis à boire. C’était un alcoolique doux et résigné. Bientôt, si elle ne prenait pas les choses en main, ils n’auraient plus un sou. Ce soir, il voyait sa femme et ses filles. Ce serait peut-être un déclic. Sa femme avait l’air gentille. C’était une femme bien. Une travailleuse. Elle ne se plaignait pas.
Mylène jeta les paquets sur le grand lit de la chambre, ouvrit un sac de voyage vide et commença à le remplir. D’ailleurs, poursuivit-elle en bourrant le sac de produits, à quoi bon gémir, ça ne fait pas avancer le schmilblick, on ne gémit que sur soi, sur le temps passé, et le temps passé, on ne peut pas le rattraper, alors à quoi ça sert ? Elle recompta une dernière fois les emballages, nota sur une feuille la quantité achetée pour chaque article et le prix qu’elle l’avait payé. Je n’ai pas pensé aux parfums ! Ni aux shampooings colorants ! Ni à la laque ! Zut ! se dit-elle, ce n’est pas grave, je verrai ça demain ou lors d’un prochain voyage. Et puis il vaut mieux commencer petit…
Elle se déshabilla, sortit sa chemise de nuit de la valise, défit l’emballage de la savonnette de la salle de bains et prit une douche. Elle avait hâte de repartir au Kenya pour ouvrir son salon de beauté.
Elle s’endormit en songeant à un nom de salon : Beauté de Paris, Paris Chic, Vive Paris, Paris Beauty, eut un bref accès d’angoisse, mon Dieu pourvu que tout ça ne me reste pas sur les bras, j’ai dépensé tout ce qu’il restait sur mon compte en banque, je n’ai plus rien ! Elle tâtonna à l’aveuglette dans le noir à la recherche d’un morceau de bois à toucher et s’endormit.
Joséphine considéra le calendrier de la cuisine et noircit d’un trait de feutre noir les deux semaines à venir. On était le 15 avril, les filles rentreraient le 30, elle avait deux semaines pour se consacrer à son livre. Deux semaines, soit quatorze jours, soit un minimum de dix heures de travail par jour. Douze peut-être si je bois beaucoup de café. Elle revenait de Carrefour où elle
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avait fait le plein de victuailles. Elle n’avait acheté que des aliments en boîte, en sachet, à tartiner. Du pain de mie, des bouteilles d’eau, du café en poudre, des barres d’Ovomaltine, des yaourts, du chocolat. Il allait falloir noircir des feuillets et des feuillets si elle voulait avoir terminé en juillet.
Quand Antoine avait proposé de prendre les filles pour les vacances de Pâques, elle avait hésité. Les laisser partir avec lui au Kenya sans autre chaperon que Mylène ne la rassurait pas. Et si les filles s’approchaient trop près des crocodiles ? Elle en avait parlé à Shirley qui avait lancé : « Je pourrais partir avec elles, j’emmènerais Gary… Je peux m’absenter deux semaines, il n’y a pas de cours au conservatoire et je n’ai pas de grosses commandes à livrer et puis j’adore les voyages et l’aventure ! Demande à Antoine s’il est d’accord. » Antoine avait dit oui. La veille, elle avait déposé les filles, Shirley et Gary à Roissy.
S’imposer des horaires. Ne pas laisser filer le temps. Manger entre deux chapitres. Boire beaucoup de café. Étaler ses livres et ses notes sur la table de la cuisine sans avoir peur de gêner. Et écrire, écrire…
D’abord planter le décor.
Je la mets où, mon histoire. Dans les brumes du Nord ou au soleil ?
Au soleil !
Un village dans le sud de la France, près de Montpellier. Au XIIe siècle. Il y a douze millions d’habitants en France et seulement un million huit cent mille en Angleterre. La France est partagée en deux : le royaume des Plantagenêts, avec à sa tête Henri II et Aliénor d’Aquitaine, et celui de Louis VII, le roi de France, père du futur Philippe Auguste. Le soc à reversoir de la charrue a remplacé le soc droit et les récoltes sont plus abondantes. Les moulins se substituent à la meule à bras. Les hommes sont mieux nourris, l’alimentation se diversifie et la mortalité infantile diminue. Le commerce se développe sur les marchés et dans les foires. L’argent circule et devient une valeur convoitée. Le juif, dans les bourgs, est toléré mais honni. Les chrétiens n’ayant pas le droit de prêter de l’argent avec intérêt, il fait office de banquier. C’est le plus souvent un usurier. Il est
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intéressé à la misère du peuple et on ne l’aime pas. Il doit porter l’étoile jaune.
Dans la haute société, la seule valeur de la femme est sa virginité qu’elle apporte le jour de son mariage. Le futur mari la considère comme un ventre à féconder. Des garçons. Il ne doit pas montrer son amour. Comme l’enseigne la loi de l’Église : celui qui aime sa femme avec trop d’ardeur est considéré comme coupable d’adultère. C’est pour cette raison que de nombreuses femmes rêvent de se retirer dans un couvent. Les couvents se multiplient aux XIe et XIIe siècles.
« L’œuvre d’enfantement est permise dans le mariage mais les voluptés à la manière des putains sont condamnées », dit le prêtre dans ses sermons. Très important, le curé ! Il fait la loi. Même le roi lui obéit. Une fille qui, sortant de chez elle sans escorte, est violée devient une « aubaine ». On la montre du doigt et elle ne peut plus se marier. Des bandes de garçons, des soldats sans chefs, des chevaliers sans château, sans maître, sans armée, écument les campagnes à la recherche d’un tendron à trousser ou de vieux à dévaliser. C’est une période de grande violence sociale.
Florine a compris tout cela. Elle ne veut pas faire partie de ces femmes qu’on conduit au mariage comme à l’abattoir. Bien que l’amour courtois commence à se répandre dans les ballades des troubadours, elle n’en entend guère parler dans son village. Quand on parle de mariage, on dit que le jeune chevalier veut « jouir et s’établir, une femme et une terre ». Elle refuse d’être un objet. Elle préfère se donner à Dieu.
Florine commençait à exister. Joséphine la voyait physiquement. Grande, blonde, bien faite de sa personne, une blancheur de neige, le cou long et délié, les yeux verts en amande, bordés de cils noirs, un front haut et bombé, un teint admirable, la bouche dessinée et rose, les joues vermeilles, les mèches blondes relevées dans un bandeau brodé, tombant en cascade sur son visage. Entre autres perfections, elle a des mains d’ivoire, des mains longues, douces, aux doigts fuselés comme des cierges et terminés par des ongles brillants. Des mains d’aristocrate.
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Pas comme les miennes, se dit Joséphine en jetant un œil navré sur ses ongles envahis de petites peaux.
Ses parents sont des nobles ruinés qui vivent dans une maison bourgeoise qui prend l’eau et le vent. Ils rêvent de retrouver leur splendeur passée en mariant leur fille unique. Ils appartiennent au monde de la campagne et du bourg. Ils vivent du maigre revenu de leurs terres. Ils n’ont plus qu’un cheval, une carriole, un bœuf, des chèvres et des moutons. Mais les armoiries de leur blason, reproduites sur une grande tapisserie, ornent le mur de la salle commune où ils se rassemblent lors des veillées.
L’histoire commence lors d’une veillée…
Une veillée, dans un petit bourg d’Aquitaine, au XIIe siècle. Il faudra que j’invente un nom pour le bourg. Le soir, on se
reçoit entre gens de la même famille ou entre voisins. Un soir donc, alors que les grands-parents, les enfants, les petitsenfants, les cousins et les cousines sont rassemblés, on apprend que le comte de Castelnau est revenu d’une croisade. Guillaume Longue Épée est un noble vaillant, riche et beau.
Là, je fais le portrait de Guillaume…
Sa chevelure d’or flamboie au soleil et ses soldats le repèrent dans les batailles à sa crinière déployée tel un étendard. Le roi l’a remarqué et lui a donné des terres que Guillaume a ajoutées à son comté. Il possède un très beau château que sa mère, veuve, a gardé en son absence, des terres étendues et fertiles. Il cherche à se marier et chacun se perd en conjectures sur l’identité de la future comtesse. C’est ce soir-là que Florine compte annoncer à ses parents qu’elle a choisi d’obéir à la règle de saint Benoît et d’entrer au couvent.
Je commence donc par la veillée. Florine cherche l’occasion de parler à sa mère. Non, à son père… C’est le père qui est important.
On les voit écosser les pois, gratter les bettes, ravauder les vêtements, nettoyer, raccommoder, chacun s’occupe à des tâches utiles tout en causant. On rumine le quotidien, les derniers scandales du bourg (les hommes accusés de bigamie, une fermière qui a fait disparaître son nouveau-né, le curé qui tourne autour des filles…), on se gausse, on soupire, on parle
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des moutons, du blé, du bœuf qui a la fièvre, de la laine à carder, de la vigne et des semences à acheter ; puis la conversation passe aux sujets éternels : les bâtisses à retaper, les enfants à marier, les impôts trop nombreux, les naissances trop rapprochées, ces enfants qui « ne font que manger »…
Je mets alors l’accent sur la mère de Florine. Une femme avide, sèche de cœur, intéressée, et le père plutôt bonhomme et bon mais dominé par sa femme.
Florine essaie d’attirer l’attention de son père et de se placer dans la conversation. En vain. Les enfants n’ont pas le droit de parler si on ne les y encourage pas. Florine doit faire la révérence quand elle s’adresse à ses parents. Alors elle se tait et guette le moment où elle pourra parler. Une vieille tante maugrée et affirme qu’il ne faut pas parler de choses futiles mais de choses magnifiques. Florine lève les yeux sur elle avec l’espoir qu’elle va parler de Dieu et qu’elle pourra alors s’exprimer. Hélas ! personne n’écoute la vieille tante et Florine reste silencieuse. Enfin, le maître des lieux, celui que tout le monde est tenu de respecter, s’adresse à sa fille et lui demande de lui apporter sa pipe.
Comme quand j’étais petite ! C’est moi qui tendais sa pipe à mon père. Maman lui interdisait de fumer à la maison. Il allait fumer sur le balcon et je le suivais. Il me montrait les étoiles et m’apprenait leurs noms…
Le père de Florine fume à la maison ; c’est Florine qui lui bourre sa bouffarde. Elle en profite pour lui annoncer son projet. Sa mère entend et se récrie. Il n’en est pas question : elle épousera le comte de Castelnau !
Florine se rebiffe. Assure que Dieu est son promis. Son père lui ordonne de gagner sa chambre, d’y rester enfermée et de méditer le premier commandement de Dieu : Tu honoreras ton père et ta mère.
Florine se retire dans sa chambre.
Là, je décris la chambre : ses coffres, ses tentures, ses icônes, ses bancs et escabeaux, son lit. Les coffres et les bahuts sont munis de serrures multiples. Avoir les clés des coffres est signe d’importance domestique. De sa chambre, quand tout le monde est reparti, Florine entend ses parents dans la chambre voisine.
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Parfois sa mère se plaint : « Je n’ai rien à me mettre, tu me négliges… Une telle est mieux habillée que moi, une autre plus honorée, tout le monde me trouve ridicule… » Elle gémit tout le temps et son mari reste silencieux. Ce soir-là, ils parlent d’elle, de son rôle de fille. Une fille de bonne famille fait le pain, fait les lits, lave, cuisine, s’occupe à tous les travaux de toile et d’aiguille, brode des aumônières. Tout est réglé par les parents : elle leur doit obéissance en tout.
« Elle épousera Guillaume Longue Épée, assure la mère, et je n’en démordrai point. »
Son père se tait.
Le lendemain, Florine arrive dans la cuisine et sa nourrice s’évanouit. Sa mère accourt et s’évanouit à son tour ! Florine s’est rasé la tête et répète, butée : « Je n’épouserai pas Guillaume Longue Épée, je veux entrer au couvent. »
Sa mère retrouve ses esprits et l’enferme dans sa chambre. C’est l’indignation générale : reproches et brimades
pleuvent. On la prive de serrure, de liberté, on l’expédie comme une souillon à la cuisine. Florine est très belle. Florine est parfaite. Aucun ragot ne court sur son compte, le curé en répond. Elle va à confesse trois fois par semaine. Elle fera une épouse idéale. Tout permet aux parents d’espérer un beau mariage.
Elle est bouclée chez elle. Surveillée par sa mère, son père et les servantes. Un travail domestique solitaire et silencieux aura raison des songes ridicules que peut nourrir cette écervelée. On la tient éloignée des fenêtres. On surveille beaucoup les fenêtres car elles sont dangereuses pour la vertu des filles. Ouvertes sur la rue, abritées par les persiennes, elles autorisent les pires libertinages. On épie, on regarde, on converse d’une baie à l’autre.
La réputation de Florine est allée jusqu’aux oreilles de Guillaume Longue Épée. Il demande à la voir. La mère la couvre d’un voile brodé et de mille breloques pour cacher son crâne rasé.
L’entrevue a lieu. Guillaume Longue Épée est fasciné par la beauté silencieuse de Florine et par ses longues mains d’ivoire.
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Il la demande en mariage. Florine doit s’incliner. Elle décide que ce sera là son premier degré d’humilité.
Le mariage. Guillaume désire un grand mariage. Il fait dresser une immense estrade, couverte de tables où festoient pendant huit jours jusqu’à cinq cents personnes. L’estrade est décorée de tapisseries, de meubles précieux, d’armures, d’étoffes rapportées d’Orient. Des parfums brûlent dans des vasques. Pour protéger les dîneurs, un immense vélum de drap bleu clair a été tendu, brodé et festonné de guirlandes de verdure mêlées de roses. Une crédence d’argent ciselé trône sur l’estrade. Le sol est jonché de verdure. Cinquante cuisiniers et gâte-sauces s’affairent dans les cuisines. Les plats succèdent aux plats. La mariée porte une coiffure de plumes de paon qui coûte cinq à six ans de salaire d’un bon maçon. Pendant toute la journée du mariage, elle garde les yeux baissés. Elle a obéi. Elle a promis devant Dieu d’être une bonne épouse. Elle tiendra sa promesse.
Et là, pense Joséphine, je brosse les premiers jours de femme mariée de Florine. Sa nuit de noces. La terreur de la nuit de noces ! Ces femmes-enfants qu’on livrait à des soudards qui revenaient des guerres et ne connaissaient rien au plaisir féminin. Elle tremble, nue, sous sa chemise. Peut-être que Guillaume est doux… Je verrai bien le degré de sympathie qu’il m’inspire ! Pendant son mariage avec Florine, Guillaume Longue Épée prospère et devient très riche. Comment ? Il faut que je réfléchisse…
Le deuxième mari, elle le…
À ce moment-là, on sonna à sa porte. Joséphine, d’abord, ne voulut pas ouvrir. Qui pouvait bien venir la déranger chez elle ? Elle se déplaça sur la pointe des pieds jusqu’à l’œilleton de la porte. Iris !
— Ouvre, Jo, ouvre. C’est moi, Iris.
Joséphine ouvrit à contrecœur. Iris éclata de rire.
—Mais t’es habillée comment ? On dirait une souillon !
—Ben… Je travaille…
—Je suis venue te rendre une petite visite pour voir où tu en étais de mon livre et comment va notre héroïne.
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—Elle s’est rasé la tête, bougonna Joséphine qui aurait bien rasé celle de sa sœur.
—Je veux lire ! Je veux lire !
—Écoute, Iris, je ne sais pas si… Je suis en plein travail.
—Je ne reste pas, je te le promets. Je ne fais que passer. Elles pénétrèrent dans la cuisine et Iris se pencha sur
l’ordinateur. Elle commença à lire. Son portable sonna et elle répondit. « Non, non, tu me déranges pas, je suis chez ma sœur. Oui ! À Courbevoie ! T’imagines ! J’ai pris une boussole. Et mon passeport ! Ah ! ah ! ah ! Non ! C’est vrai ? Raconte… Il a dit ça ! Et elle, qu’est-ce qu’elle a dit ? »
Joséphine sentit son sang bouillir. Non seulement elle me dérange mais, en plus, elle s’arrête en pleine lecture pour babiller au téléphone. Elle arracha l’ordinateur des mains de sa sœur en la foudroyant du regard.
—Oh ! oh ! Je vais être obligée de te quitter, Joséphine me mitraille des yeux ! Je te rappelle.
Iris fit claquer le clapet de son portable.
—Tu es fâchée ?
—Oui. Je suis fâchée. D’abord tu te pointes sans prévenir, tu me déranges en plein boulot, et ensuite tu t’interromps alors que tu lis ma prose, pour parler à une crétine et te moquer de moi ! Si ça ne t’intéresse pas ce que j’écris, ne viens pas me déranger, d’accord ?
La colère de Florine bouillait en elle.
—Je croyais t’aider en venant te donner mon avis.
—Je n’ai pas besoin de ton avis, Iris. Laisse-moi écrire en paix et quand moi, je l’aurai décidé, tu liras.
—D’accord, d’accord. Calme-toi ! Je peux lire un peu tout de même ?
—À condition que tu ne répondes plus au téléphone.
Iris opina et Joséphine lui rendit l’ordinateur. Iris lut en silence. Son téléphone sonna. Elle ne répondit pas. Quand elle releva la tête, elle fixa sa sœur et dit « c’est bien. C’est très bien ».
Joséphine sentit le calme revenir en elle. Jusqu’à ce qu’Iris sourie et dise :
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