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Добавлен: 05.08.2024
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Il lui tendit le journal, accablé.
Elle le parcourut, le reposa et dit :
—Ça sert à rien de se mettre marteau en tête. Lui, il a nos résultats d’analyse et il nous dira ce qu’il en est…
—Je rêve d’un petit Hercule et c’est tout juste si on arrivera
àlui faire une bretelle de maillot.
—Arrête, Marcel ! Je t’interdis de parler en mal de ton fils. Elle s’écarta et referma les bras sur sa poitrine. Pinça les
lèvres pour ne pas pleurer. Dieu, qu’elle le désirait, cet enfant, elle aussi ! Elle avait avorté trois fois, sans la moindre hésitation, et maintenant qu’elle souhaitait plus que tout être enceinte, elle n’y arrivait pas. Elle faisait des prières tous les soirs, allumait une bougie blanche devant une statue de la Vierge, se mettait à genoux et récitait le Notre Père et le Je vous salue, Marie. Il avait fallu qu’elle les réapprenne parce qu’elle les avait oubliés. Elle s’adressait surtout à la Vierge : « Tu es une maman, toi aussi, tu sais ce que c’est, je t’en demande pas un comme le tien, un dont on parle encore aujourd’hui, juste un normal, en bonne santé, avec tout bien en place et une grande bouche pour rigoler. Un qui mette ses bras autour de mon cou et qui dise “je t’aime, mamounette”, un pour qui je me trouerai la peau ! Y en a qui te demandent des trucs plus compliqués, moi je veux juste un petit déclic dans mon ventre, c’est pas grand-chose, tout de même… » Elle était allée voir une voyante qui lui avait assuré qu’elle aurait un enfant. « Un beau petit garçon, je vous assure, je le vois… que je perde mon don si je me trompe ! » Elle lui avait pris cent euros, mais Josiane y serait bien retournée chaque jour pour être rassurée. Garçon ou fille, elle s’en moquait ! Pourvu qu’elle ait un bébé, un petit bébé à aimer, à choyer, à bercer dans ses bras. Plus il tardait à venir, cet enfant, plus elle s’y attachait. Ça lui était bien égal, maintenant, que Marcel quitte le Cure-dents ou pas ! Pourvu qu’elle ait son bébé…
Ils restèrent un moment silencieux jusqu’à ce que l’assistante vienne leur annoncer que le docteur allait les recevoir. Marcel se leva, resserra le nœud de sa cravate et passa la langue sur ses lèvres.
—Je crois que je vais avoir une attaque.
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—C’est pas le moment, le houspilla Josiane.
—Donne-moi le bras : je marche pas droit !
Le Dr Troussard les rassura tout de suite. Tout était en ordre. Chez Josiane et chez Marcel. Des bilans de jeunes parents ! Ils n’avaient plus qu’à retrousser leurs manches et à se mettre à la tâche.
—Mais on ne fait que ça ! s’écria Marcel.
—Et on n’y arrive pas ! Pourquoi ? gémit Josiane.
Le Dr Troussard écarta les bras en signe d’impuissance.
—Moi, je suis comme le mécanicien, je soulève le capot et je fais un diagnostic : tout est en ordre, tout fonctionne. Maintenant, c’est vous qui êtes au volant et qui conduisez !
Il se leva, leur tendit leur dossier et les raccompagna.
—Mais…, reprit Josiane.
Il l’interrompit aussitôt et lui dit :
—Arrêtez de réfléchir ! Sinon, c’est votre tête qu’il va falloir analyser. Et ça, croyez-moi, c’est beaucoup plus compliqué !
Marcel régla le prix de la consultation, cent cinquante euros, pendant que Josiane soupirait : mille balles pour savoir que tout va bien, c’est un peu cher tout de même !
Dans la rue, Marcel prit le bras de Josiane et ils avancèrent en silence. Puis Marcel s’arrêta et, regardant Josiane droit dans les yeux, il demanda :
—Tu es sûre de le vouloir, cet enfant ?
—Archisûre. Pourquoi ?
—Parce que…
—Parce que tu te disais que je faisais semblant, que j’en voulais pas ?
—Non. Je me demandais si tu n’avais pas peur… rapport à ta mère ?
—Je me suis déjà posé la question…
Ils reprirent leur marche. Puis Josiane agrippa le bras de Marcel.
—Faudrait peut-être que j’aille voir un psy ?
—Je n’aurais jamais imaginé que ce serait si compliqué de faire un bébé !
—Peut-être qu’on se complique trop la vie ! Que si on était plus décontractés, il arriverait comme une fleur ?
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Marcel déclara qu’il fallait arrêter d’y penser, supprimer le nom de Junior de leurs conversations, et faire comme si de rien n’était.
—On ne parle plus de rien, on fait la fête, on s’envoie en l’air et si, dans six mois, t’es toujours plate comme une sole normande… je te fais enfermer dans une éprouvette !
Josiane lui jeta les bras autour du cou et l’embrassa. Ils s’étaient arrêtés devant une grande vitrine Nicolas. Marcel s’approcha de la partie miroir, tira sur la peau de son cou, grimaça, « et si je me faisais faire un petit lifting, pour Junior ? Pour qu’on ne me prenne pas pour son grand-père à la sortie de l’école ? ».
Elle lui donna un grand coup de coude dans les côtes et hurla :
—On avait dit qu’on n’en parlait plus !
Il porta la main à sa bouche pour assurer qu’il ne dirait plus un mot sur le sujet. Lui donna une petite tape sur les fesses et lui reprit le bras.
—Mille balles pour lire un bilan, il se mouche pas avec les pieds, déclara Josiane. C’est remboursé par la Sécu, ça ?
Marcel ne répondit pas. Il s’était arrêté devant un kiosque à journaux et en détaillait la façade, les yeux écarquillés.
—Ben, Marcel, t’es où, là ? Tu penses à quoi ?
Il fit signe qu’il ne pouvait pas parler.
—T’as avalé ta langue ? Il secoua la tête.
—Ben alors ?
Elle se planta devant le kiosque à journaux, entreprit de regarder les unes affichées jusqu’à ce qu’elle tombât sur un numéro spécial consacré à Yves Montand. « Yves Montand, sa vie, ses amours, sa carrière. Yves Montand et Simone. Yves Montand et Marylin. Yves Montand, papa à soixante-treize ans… Son dernier amour s’appelait Valentin. »
Elle soupira, ouvrit son porte-monnaie, prit le journal et le tendit à Marcel qui la remercia en un salut muet.
Ils revinrent au bureau à pied. Il faisait beau. L’Arc de triomphe se détachait victorieux sur le ciel bleu, des petits drapeaux bleu-blanc-rouge flottaient sur les rétroviseurs des
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autobus, les femmes avaient les bras nus et les garçons leur pinçaient la taille. Marcel et Josiane se tenaient par le bras comme un couple de promeneurs qui a mis ses habits les plus chic pour se promener dans les beaux quartiers.
—On ne se promène jamais comme ça. En amoureux, fit remarquer Josiane. On a toujours peur de tomber sur quelqu’un.
—La petite Hortense va faire un stage dans la boîte en juin…
—Je sais. Chaval m’a prévenue… Il part quand, celui-là ?
—Fin juin. Il jubilait quand il m’a donné sa démission. Je l’aurais bien fait décaniller avant mais j’ai encore besoin de lui. Faut que je lui trouve un remplaçant…
—Bon débarras ! Je ne le supportais plus…
Marcel lui jeta un regard inquiet. Disait-elle vrai ou n’y avaitil pas un peu d’amour et de dépit dans sa voix ? Il aurait préféré garder Chaval dans l’entreprise pour le surveiller, avoir à l’œil son emploi du temps, ses déplacements.
— Tu n’y penses plus du tout ?
Josiane secoua la tête et donna un coup de pied dans une cannette qui alla rouler dans le caniveau.
— Tiens ! s’exclama Marcel. Quand on parle du loup…
Au feu de croisement, à l’angle de l’avenue des Ternes et de l’avenue Niel, un coupé décapotable rouge ronflait en attendant de redémarrer. Bruno Chaval était au volant. Lunettes de soleil, veste en daim clair, col de chemise ouvert, il chantonnait en poussant le volume de sa radio. Il vérifia son reflet dans le rétroviseur, passa et repassa la main dans ses cheveux noirs, dessina d’un doigt sa fine moustache, fit vrombir son moteur et laissa la trace de ses pneus sur le macadam en démarrant.
Le grand bal au château de Windsor était retransmis ce samedi soir ; ils étaient tous installés devant la télé de Shirley. Tous sauf Hortense qui avait refusé de venir voir les têtes couronnées défiler en grand tralala. Gary leur avait ouvert la porte en grognant « c’est quoi, cette connerie que vous allez regarder ? Moi, je reste dans ma chambre… ». Joséphine, Zoé, Max et Christine Barthillet s’étaient installés, par terre, dans le
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salon devant la télévision. Ils avaient répandu à même le sol des paquets de chips, des Coca, des fraises Tagada, deux baguettes et des rillettes qu’ils tartinaient avec leurs doigts.
Joséphine se disait qu’elle aurait mieux fait de rester chez elle et de travailler. Le deuxième mari était toujours vivant ! Elle s’était attachée à lui, avait du mal à le faire trépasser. Elle n’aurait jamais fini à temps. Le troisième, il allait falloir qu’il meure plus vite que ça ! Elle était allée en bibliothèque tous les jours et n’avait guère progressé. Elle avait trop de soucis en tête. Hortense ne lui adressait plus la parole, Zoé avait déserté deux fois l’école, en une semaine, pour suivre Max dans des expéditions troubles. « Mais on est juste allés récupérer le portable qu’une copine de Max s’était fait voler ! Mais Max avait laissé son cartable chez son copain et je suis allée avec lui le reprendre… – Et tu as besoin d’être maquillée comme une marchande foraine pour aller à l’école maintenant ? » L’adorable Zoé se métamorphosait en minette déchaînée. Elle s’enfermait dans la salle de bains. En ressortait en minijupe, les yeux charbonneux, la bouche rouge vampire ! Joséphine était obligée de la débarbouiller avec un gant et du savon pendant qu’elle se débattait et hurlait au harcèlement. Hortense haussait les épaules d’un air indifférent. Elle avait dû en parler à son père car Antoine avait appelé en demandant : « C’est quoi cette cohabitation avec les Barthillet ? Joséphine, je t’avais toujours dit de ne pas t’approcher d’eux, ce sont de mauvaises gens !
—Et alors ? avait dit Jo, que fallait-il que je fasse ? Que je les laisse sur le palier ?
—Oui, avait répondu Antoine. Tu dois penser aux filles d’abord… »
Christine Barthillet passait ses journées sur le canapé du salon, en survêtement, à surfer sur son ordinateur. Elle avait trouvé un site de rencontres et répondait aux mails de mâles en chaleur. Quand Jo rentrait de la bibliothèque, elle lui racontait les touches qu’elle avait faites durant la journée. « Vous en faites pas, madame Joséphine, je vais déguerpir bientôt. Je fais encore un peu monter la sauce et je me barre. J’en ai deux bien chauds qui me proposent de m’héberger. Un petit jeune qui renâcle à cause de Max, et un autre plus vieux, marié, quatre
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enfants, mais qui est prêt à me payer un studio pour avoir un peu de compagnie en fin d’après-midi. Il a une entreprise de plomberie et nettoyer la merde des autres, ça rapporte gros. » Joséphine l’écoutait, abasourdie. « Mais vous ne savez rien d’eux, Christine, vous n’allez pas vous embarquer dans une nouvelle galère ?
—Pourquoi pas ? répondait Christine Barthillet. Pendant des années j’ai joué réglo et regardez où ça m’a menée… J’ai plus rien, plus de toit, plus de sous, plus de mari, plus de boulot ! Maintenant je vais profiter ! M’inscrire à toutes les aides sociales, toucher le RMI et faire banquer un vieux ! » Quand elle ne répondait pas aux mails d’inconnus, elle jouait au poker sur Internet avec sa carte bleue. « Le stud poker, madame Joséphine, ça peut rapporter gros ! Pour le moment, j’apprends mais après je blinderai comme une dingue ! » En attendant de toucher le gros lot, elle multipliait les crédits express et courait droit à la banqueroute.
Joséphine était atterrée. Elle bafouillait des arguments qui faisaient éclater de rire Christine Barthillet. « Mais vous êtes adulte, responsable, vous devez donner l’exemple à votre enfant ! » Christine Barthillet répliquait : « C’est fini, ce tempslà ! Bien fini. On gagne rien à être honnête. Vive la débauche !
—Mais pas sous mon toit ! » avait protesté Joséphine.
Madame Barthillet avait bougonné quelque chose du genre « vous en faites pas, on va se tirer de là bientôt, Max et moi », et elle avait repris son pianotage. « Y en a un nouveau qui me demande si j’ai des accessoires ? Qu’est-ce qu’il entend par là, dites ? L’est malade celui-là ! »
Joséphine partait travailler en bibliothèque, la gorge serrée. Elle avait toujours un moment de panique quand elle mettait la clé dans la serrure, le soir en rentrant. Même l’homme au duffle-coat n’arrivait plus à la dérider.
— Ça ne va pas ? Vous ne laissez plus rien tomber, lui avait-il dit, la veille.
Il l’avait invitée à prendre un café. Il était passionné d’histoire sacrée. Il lui avait longuement parlé des larmes saintes, des larmes profanes, des larmes d’extase, des larmes de
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joie, des larmes d’offrande… et toutes ces larmes avaient rempli le cœur de Joséphine qui s’était mise à pleurer.
—J’avais raison, ça ne va pas du tout… Vous voulez un autre
café ?
Joséphine avait souri à travers ses larmes.
—Ce n’est pas très gai ce que vous racontez…, avait-elle reniflé en cherchant un Kleenex dans ses poches.
—Mais vous devez connaître ça. Le XIIe siècle est un siècle très religieux, très mystique. Les couvents pullulaient. Les prêcheurs parcouraient les campagnes en annonçant le châtiment éternel si on ne se lavait pas de tous ses péchés.
—C’est vrai, avait-elle soupiré, ravalant ses larmes car elle n’avait pas de Kleenex.
Il l’observait, attentif. Parfois elle se disait que c’était peutêtre ce qu’il y avait de plus lourd dans son travail : le secret. Toute l’énergie qu’elle dépensait, toutes les idées qui lui venaient la nuit et l’empêchaient de dormir, toutes les histoires qu’elle inventait, elle ne pouvait pas les partager. Elle avait l’impression d’être une clandestine. Pire : une criminelle ; plus Iris parlait de leur « combine », plus elle se convainquait qu’elle avançait sur le chemin du crime. Tout cela va mal finir, supputait-elle quand elle n’arrivait pas à trouver le sommeil. On va être démasquées, et je finirai comme madame Barthillet, ruinée et chassée de chez moi.
—Faut pas vous laisser impressionner comme ça par ce que je vous raconte, avait repris l’homme au duffle-coat. Vous êtes trop sensible…
C’est à ce moment-là qu’elle avait bredouillé « je ne connais même pas votre nom ». Il avait souri et avait dit : « Luca, italien d’origine, trente-six ans, toutes mes dents et un grand amour des livres. Je suis un moine de bibliothèque. » Elle lui avait souri, pitoyable, songeant qu’il ne lui disait pas tout, songeant aussi que trente-six ans, c’était un peu vieux pour faire le mannequin. Mais moi, je fais bien le nègre à quarante ans ! Elle n’osait pas lui parler des photos de mode. Elle ne savait pas pourquoi mais ça lui paraissait saugrenu qu’il puisse faire ce métier.
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—Et votre famille, elle est en France ou en Italie ? s’était-elle enhardie.
Il fallait qu’elle sache s’il était marié.
—Je n’ai pas de famille, avait-il répliqué, sombre.
Elle n’avait pas insisté.
Shirley n’était pas là pour qu’elle lui raconte. Elle avait appelé trois fois de Londres. Elle devait rentrer lundi. « Je serai là lundi, promis, et je t’emmènerai faire la fête !
—C’est pas une fête qu’il me faudrait mais une cure de sommeil ! Je suis fatiguée, si fatiguée… »
L’émission avait commencé et Christine Barthillet se léchait les doigts en engouffrant une nouvelle fraise Tagada. On apercevait les lumières du château de Windsor, Charles et Camilla, sur le haut des marches, recevant amis et famille.
—Que c’est beau ! Comme ils sont mignons ! Vous avez vu comme ça brille, vous avez vu les bouquets, les musiciens, les décorations ! C’est beau, ça, un amour qui attend tout ce temps ! Trente-cinq ans, madame Joséphine, trente-cinq ans ! C’est pas tout le monde qui peut en dire autant.
Sûrement pas vous ! pensa Joséphine. Trente-cinq secondes sur le Net et vous êtes prête à vous installer avec le premier venu !
—Il s’appelle comment l’homme marié avec quatre enfants ? chuchota-t-elle à l’oreille de Christine Barthillet.
—Alberto… Il est portugais…
—Il ne divorcera jamais ! Les Portugais sont très croyants. Pourquoi je lui dis ça, je m’en fiche totalement qu’il divorce
ou pas.
—Je tiens pas à me marier. Je veux juste un logement et voir venir !
—Alors… bien sûr…
—Tout le monde n’est pas sentimental comme vous !
Après avoir pris un café, ils s’étaient dirigés naturellement vers l’arrêt d’autobus et, naturellement, elle était montée avec lui. Quand il était descendu, il lui avait dit au revoir et avait ajouté « à demain », en lui faisant un petit signe de la main. Elle avait pensé au chemin qu’il allait lui falloir faire pour revenir sur ses pas. Les filles à affronter, le dîner à préparer… Madame
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Barthillet ignorait la cuisine. Elle n’achetait que des soupes en poudre, des légumes en boîtes, des crevettes sous plastique ou des poissons rectangulaires. Elle s’étonnait quand Joséphine préparait le dîner et la regardait en posant du vernis rouge sur ses ongles. Zoé s’emparait du pinceau, Joséphine le lui ôtait des mains. « Mais pourquoi ? C’est joli ! – Non, pas à ton âge ! – Mais je suis grande ! – Non, c’est non ! – Vous avez tort, madame Joséphine, ça plaît aux garçons. – Zoé n’a pas l’âge de plaire aux garçons ! – C’est vous qui le dites, une petite fille, c’est coquet très tôt ! Moi, à son âge, j’avais déjà deux amoureux… – Maman, elle dit toujours que je suis trop petite » geignait Zoé en louchant sur les ongles rouges de madame Barthillet.
—Regardez, madame Joséphine, regardez ! C’est la reine et le prince Philip ! Qu’est-ce qu’il est beau ! Il a la poitrine musclée et bombée ! Un vrai prince de conte de fées !
—Un peu vieux, non ? lança Joséphine, agacée.
La reine Élisabeth avançait, vêtue d’une longue robe du soir turquoise, un sac noir pendant à son bras. Suivait le prince Philip, en queue-de-pie.
— Mais, mais…, hoqueta Joséphine. Juste derrière la reine, là, à trois pas d’elle, dans l’ombre, regardez, regardez !
Elle se dressait, l’index tendu vers l’écran, répétant « regardez, mais regardez », et, comme personne ne réagissait, elle se leva et alla poser le doigt sur l’écran, sur une jeune femme qui avançait tête baissée, en robe rose, pourvue d’une longue traîne, silhouette que l’on repérait aux boucles d’oreilles scintillantes comme gouttes au soleil.
—Vous avez vu ?
—Non, répondirent-ils en chœur.
—Là, je vous dis, là !
Joséphine martelait l’écran du doigt. « Là, cette femme aux cheveux tout courts ! » La jeune femme avançait en tenant sa traîne. Elle cherchait à l’évidence à rester dans l’ombre de la reine, mais la suivait de près.
— Ben oui… Elle a un sac noir, la reine. Et c’est pas joli avec sa robe turquoise.
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—Non, pas la reine. Juste à côté ! Gary, hurla Joséphine en direction de la chambre de Gary. Gary, viens ici !
La jeune femme apparaissait maintenant à l’écran, à moitié cachée par la reine qui souriait derrière ses lunettes.
—Là ! Juste derrière la reine !
Gary entra dans le salon et demanda « qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi vous criez comme ça ? ».
—Ta mère ! Chez les Windsor ! À côté de la reine ! hurla Joséphine.
Gary s’ébouriffa les cheveux, vint se planter devant l’écran de télévision et marmonna « ah oui ! m’man… » avant de repartir dans sa chambre, en traînant les pieds.
—Mais qu’est-ce qu’elle fait là-bas ? cria Joséphine en direction de la chambre de Gary. Vous faites partie de la famille royale ?
Il n’y eut pas de réponse.
—Madame Shirley ! éructa Christine Barthillet, suspendant l’absorption d’une fraise Tagada. C’est vrai, ça, qu’est-ce qu’elle fout là-bas ?
—J’aimerais bien le savoir…, dit Joséphine en suivant la longue silhouette rose qui se fondait maintenant dans la foule des invités.
—Alors ça ! gloussa Christine Barthillet. C’est fort comme le roquefort.
—Ou la moutarde anglaise, émit finement Zoé.
—Va falloir qu’elle m’explique, murmura Joséphine.
Elle repéra Shirley dans la foule des invités, l’aperçut une nouvelle fois dans le sillage de la reine et resta stupéfaite. Se pouvait-il vraiment que Shirley soit apparentée à la famille royale ? Mais alors que faisait-elle dans une banlieue parisienne à donner des cours de musique, des cours d’anglais, à cuire des gâteaux ?
Joséphine passa la soirée à s’interroger pendant que Christine Barthillet, Max et Zoé finissaient les chips, le Coca, les fraises Tagada en bavant devant la beauté du spectacle et le défilé des princes et des princesses. Oh ! William, il a grossi ! Il paraît qu’il a une fiancée et que Charles va l’inviter à dîner ! Et
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