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Добавлен: 05.08.2024

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Harry ! qu’il est mignon ! Ça lui fait quel âge maintenant ? C’est un cœur à prendre et il a l’air plus rigolo que William…

Le lundi, Shirley ne revint pas. Ni le mardi, ni le mercredi, ni le jeudi. Gary venait prendre ses repas chez Joséphine. Quand les filles le pressaient de questions, il répondait : « Vous avez mal vu, vous vous êtes trompées ! – Mais enfin, Gary, tu l’as vue toi aussi ! – J’ai vu une femme qui lui ressemblait, c’est tout ! Y en a plein de blondes avec des cheveux courts ! Qu’est-ce qu’elle irait foutre là-bas ? – C’est vrai, ça, madame Joséphine, vous travaillez trop ! Ça vous monte à la tête. – Mais vous l’avez tous vue ! J’ai pas rêvé. – Gary a raison… On a vu quelqu’un qui lui ressemblait mais si ça se trouve, c’était pas elle ! »

Joséphine n’en démordait pas : c’était Shirley, en robe longue rose, dans l’ombre de la reine. Elle ressentit une colère terrible contre Shirley. Je lui dis tout, elle me tire les vers du nez et elle, elle se tait ! Je n’ai même pas le droit de lui poser des questions. Elle avait l’impression d’être dupée. Que tout le monde la dupait. Tout se mélangeait dans sa tête : Iris, Antoine, madame Barthillet et ses amants sur le Net, Shirley chez les Windsor, le mépris d’Hortense, Zoé qui se dévergondait… Ils la prenaient tous pour une pomme ! Et d’ailleurs, c’est exactement ce qu’elle était.

La colère lui donna des ailes. Elle mit fin aux jours du gentil troubadour qui rendit l’âme, empoisonné, après avoir eu la joie immense d’assister à la naissance de son fils. Florine n’avait plus besoin de se battre pour exister : elle avait un fils légitime, héritier du domaine, Thibaut le Jeune. Jo en profita pour faire mourir la belle-mère qui commençait à lui taper sur les nerfs avec ses jérémiades perpétuelles. Puis elle fit surgir le troisième mari, Baudouin, un chevalier, doux et fort pieux. Baudouin a belle figure, il rêve de cultiver ses terres, d’aller à la messe et de faire pénitence. Très vite, par ses mièvreries, il énerva Joséphine et succomba, victime de son courroux. Comment vais-je le faire périr, celui-là ? Il est jeune, en bonne santé, il ne boit pas, il ne ripaille pas, il pratique le coït avec componction… Elle repensa au bal de Charles et Camilla, à la silhouette furtive de Shirley, à une filiation possible avec les Windsor et sa colère s’abattit sur Baudouin le doux.

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Baudouin et Florine sont invités à un grand bal donné par le roi de France, qui chasse sur des terres voisines de Castelnau. Le roi, dans la foule d’invités aux tenues chatoyantes, aperçoit Baudouin. Il blêmit et lâche son sceptre qui roule sous le trône. Puis, d’un signe de sa main gantée, il convie les jeunes mariés à prendre place auprès de lui pour boire une coupe de vin. Baudouin rougit, dépose son épée aux pieds du souverain. Florine s’inquiète : elle redoute une nouvelle promotion. Va-t- elle encore connaître une bonne fortune qui l’éloignera du sixième échelon où elle patine depuis quelque temps ? Que nenni ! À la fin de la soirée, alors que le jeune couple, étonné par tant d’honneurs, regagne l’appartement que le roi a fait mettre à sa disposition, Baudouin est égorgé au détour d’un couloir sous les yeux de sa jeune femme, horrifiée. Trois soudards s’élancent, le maîtrisent, lui tranchent la gorge. Le sang coule à flots. Florine défaille et s’écroule sur le corps sans vie de son époux. On apprendra plus tard qu’il était un fils bâtard du roi de France et pouvait prétendre à la Couronne. De peur qu’il ne se pose en héritier, le roi a préféré le faire assassiner. Pour consoler la jeune veuve, il la couvre d’or, d’hermines, de pierres précieuses, la renvoie au château de Castelnau, escortée de quatre chevaliers chargés de la surveiller. Florine, veuve une nouvelle fois, supplie le Ciel d’éloigner d’elle son courroux afin qu’elle gravisse tranquillement les derniers échelons.

Et de trois ! soupira Joséphine, devenue sanguinaire. Ah ! grinça-t-elle en comptant le nombre de pages écrites en quelques jours, la colère est bonne muse et noircit la page blanche de milliers de signes.

Ça a l’air d’aller mieux, constata Luca, à la cafétéria de la bibliothèque.

Je suis en colère et ça me donne des ailes !

Il la dévisagea. Quelque chose de rebelle et d’ardent s’était posé sur son visage et lui donnait un air d’adolescente en guerre.

Vous avez un air… un air d’espiègle rouerie !

C’est vrai que ça fait du bien de se lâcher un peu. Je suis toujours si convenable ! Bonne amie, bonne sœur, bonne mère…

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Vous avez des enfants ?

Deux filles… Mais pas de mari ! Je n’ai pas dû être une bonne épouse. Il est parti avec une autre.

Elle rit, bêtement, et rougit. Elle venait de laisser échapper une confidence.

Ils avaient pris l’habitude de se retrouver à la cafétéria. Il lui parlait de son manuscrit. Je veux écrire une histoire des larmes pour mes contemporains qui confondent sensibilité et sensiblerie, qui pleurent pour s’exhiber, pour se vendre, pour se faire l’âme belle, pour vivre des émotions qu’ils ne ressentent pas. Je veux rendre aux larmes leur noblesse telle que l’a comprise jadis Jules Michelet ; vous savez ce qu’il écrivait ? « Le mystère du Moyen Âge, le secret de ses larmes intarissables et son génie profond. Larmes précieuses, elles ont coulé en limpides légendes, en merveilleux poèmes, et, s’amoncelant vers le ciel, elles se sont cristallisées en gigantesques cathédrales qui voulaient monter au Seigneur ! » Il citait, les yeux fermés, et le miel coulait de ses lèvres. Il citait Michelet, Roland Barthes et les Pères du Désert en croisant les doigts comme s’il disait une prière.

Un après-midi, il se tourna vers elle et demanda :

Ça vous dirait d’aller au cinéma samedi soir ? On donne un vieux film de Kazan qui ne passe jamais en France, Le Fleuve sauvage, dans un cinéma rue des Écoles. Je me disais…

D’accord, dit Joséphine. Tout à fait d’accord.

Il la regarda, étonné par son enthousiasme.

Elle venait de comprendre quelque chose de très important : quand on écrit, il faut ouvrir toutes grandes les portes à la vie afin qu’elle s’engouffre dans les mots et alimente l’imaginaire.

Le samedi soir, Luca et Joséphine allèrent au cinéma. Ils s’étaient donné rendez-vous devant le cinéma. Joséphine arriva en avance. Elle désirait avoir le temps de reprendre une contenance avant que Luca ne paraisse. Elle ne pouvait s’empêcher de rougir quand il la regardait et si, d’aventure, leurs mains se frôlaient, son cœur semblait vouloir sortir de sa poitrine. Il la troublait physiquement et cela la perturbait

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beaucoup. Jusqu’à présent son expérience sexuelle avait été assez fade. Antoine s’était montré doux et empressé, mais il ne faisait pas monter en elle la vague de chaleur qu’un seul regard de Luca provoquait. Ça la tourmentait. Elle voulait que rien ne la détourne de l’écriture du livre, mais en même temps, elle ne pouvait résister à l’envie d’être près de lui dans une salle obscure. Et s’il passait son bras autour de mes épaules ? Et s’il m’embrassait ? Ne pas m’abandonner trop vite, garder la tête froide. Il me reste encore un bon mois de travail acharné et je ne dois pas traîner en route. Ni m’égarer dans une amourette. Florine a besoin de moi.

Joséphine était étonnée de la facilité avec laquelle elle écrivait. Du plaisir qu’elle prenait à échafauder ses histoires. De la place que prenait le livre dans sa vie. Elle était tout le temps, en pensée, avec ses personnages et avait beaucoup de mal à s’intéresser à la vie réelle. Elle faisait de la figuration, disait oui, disait non, mais aurait été incapable de répéter ce qu’on venait de lui dire ou de lui demander. Elle regardait évoluer les filles, Max et madame Barthillet d’un œil distrait pendant qu’elle refaisait une phrase ou décidait d’une nouvelle péripétie. D’ailleurs, en acceptant l’invitation de Luca, ne s’était-elle pas dit qu’elle allait pouvoir utiliser son propre trouble pour traduire l’émoi amoureux de Florine, aspect qu’elle avait quelque peu négligé jusqu’ici ? Florine était une maîtresse femme, une perpulchra dévote et courageuse, mais elle n’en était pas moins femme. Il va bien falloir qu’elle tombe amoureuse d’un de ses cinq maris, songeait Jo en faisant les cent pas devant le cinéma, vraiment amoureuse, amoureuse à en perdre la tête, à en perdre le souffle… Elle ne peut pas se contenter de l’échelle de saint Benoît et de son Divin Époux. La tentation charnelle doit lui mordre les entrailles. Et comment est-on quand on est amoureuse à en perdre la tête ? Elle pouvait le deviner en se regardant agir avec Luca.

Elle sortit un petit carnet pour noter son idée. Elle ne se déplaçait plus sans son carnet ni son stylo.

Elle venait de refermer son carnet lorsque, relevant la tête, elle aperçut Luca, penché sur elle. Il la regardait avec l’assurance nonchalante, le détachement affectueux qui

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caractérisait leur relation. Elle fit un bond, son sac se renversa et ils s’accroupirent pour en ramasser le contenu.

Ah ! Je vous retrouve comme je vous ai connue, dit-il malicieusement.

J’étais repartie dans mon livre…

Vous écrivez un livre ? Vous me l’aviez caché !

Euh… Non… je veux dire ma thèse et je…

Ne vous excusez pas. Vous êtes une bosseuse. Y a pas de honte à ça.

Ils se placèrent dans la file pour acheter les billets. Au moment de payer, Joséphine ouvrit son porte-monnaie, mais Luca lui fit signe qu’elle était son invitée. Elle rougit et détourna la tête.

Vous préférez vous mettre au fond, au milieu ou devant ?

Ça m’est complètement égal…

Alors un peu devant ? J’aime bien en avoir plein les yeux… Il enleva son duffle-coat et le posa sur le siège vide à côté de

Joséphine. Elle fut émue en voyant le vêtement replié près d’elle, eut envie de le toucher, de respirer l’odeur, la chaleur de Luca, d’enfoncer ses mains dans les manches abandonnées et pendantes.

Vous allez voir, c’est une histoire d’eau…

De larmes ?

Non, un barrage… Vous avez le droit de pleurer, si vous êtes sincère. Pas des larmes de crocodile, de vraies larmes d’émotion !

Il lui sourit de ce sourire qui semblait sortir d’une solitude immense. Il lui sembla que si elle pouvait le voir lui sourire ne serait-ce que quelques minutes chaque jour, elle serait la plus heureuse des femmes. Tout chez cet homme était unique et rare. Rien n’était mécanique ni joué. Elle n’avait toujours pas osé lui parler de son activité de mannequin. Elle remettait toujours à plus tard.

Les lumières de la salle s’éteignirent et le film commença. Tout de suite, il y eut de l’eau, une eau jaune, une eau puissante, une eau boueuse qui lui fit penser aux étangs des crocodiles. Des lianes qui pendaient, des arbustes desséchés par le soleil et Antoine surgit devant elle. Sans qu’elle l’ait invité. Elle croyait

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entendre sa voix, elle revoyait son dos voûté quand il s’était assis dans sa cuisine, sa main qui était venue prendre la sienne, son invitation à venir dîner avec les filles. Elle cligna des yeux pour le faire disparaître.

Le film était si beau que Joséphine fut bientôt transportée sur l’île avec les fermiers. Emportée par la beauté blessée de Montgomery Clift, ses yeux remplis d’une résolution douce et sauvage. Quand les fermiers lui cassèrent la figure, elle étreignit le bras de Luca qui lui tapota la tête… « Il va s’en sortir, il va s’en sortir », murmura-t-il dans le noir… elle oublia tout pour ne retenir que cet instant-là, sa main sur sa tête, son ton rassurant. Elle attendit, suspendue dans l’obscurité à cette main, attendant qu’il l’attire vers elle, passe son bras autour de ses épaules, mêle son souffle au sien. Attendit, attendit… Il avait remis sa main le long de son corps. Elle replaça sa tête, droite, et les larmes lui montèrent aux yeux. Être si près de lui et ne pas pouvoir se laisser aller. Son coude touchait son coude, leurs épaules s’effleuraient, mais il semblait réfugié sur la muraille de Chine.

Je peux pleurer, il croira que c’est l’eau du film. Il ne saura pas que c’est à cause de ce tout petit moment de suspension, ces quelques secondes où j’ai attendu qu’il m’attire à lui, qu’il m’embrasse peut-être, ce tout petit moment gorgé d’attente qui s’est rompu, me signifiant que j’étais juste une bonne copine, une médiéviste avec qui parler des larmes, du Moyen Âge, du sacré et des chevaliers.

Elle pleura. Elle pleura de tristesse de ne pas être une femme qu’on attire à soi dans le noir. Elle pleura de déception. Elle pleura de fatigue. Elle pleura en silence, elle pleura toute droite sans que son corps tremble. Elle s’étonna de pleurer si dignement, attrapant du bout de la langue l’eau qui coulait sur ses joues, la goûtant comme un grand cru salé, comme l’eau qui coulait sur l’écran, qui allait emporter la maison des fermiers, qui emportait l’ancienne Joséphine, celle qui n’aurait jamais imaginé pleurer à côté d’un autre garçon qu’Antoine dans le noir d’un cinéma. Elle lui disait adieu ; elle pleurait de lui dire adieu. Cette Joséphine sage, raisonnable, douce, qui s’était mariée en blanc, avait élevé ses deux enfants, tâchait de faire de

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son mieux, toujours juste, toujours raisonnable. Elle s’effaçait devant la nouvelle. Celle qui écrivait un livre, allait au cinéma avec un garçon et attendait qu’il l’embrasse ! Elle ne savait plus si elle devait rire ou pleurer.

Ils marchèrent dans les rues de Paris. Elle regardait les vieux immeubles, les portes cochères majestueuses, les arbres centenaires, les lumières des cafés, les gens qui entraient et sortaient, l’énergie des gens qui se bousculaient, s’apostrophaient, riaient. Les nerfs de la vie nocturne. Antoine revenait en surimpression. Ils avaient si longtemps rêvé de venir vivre à Paris ; leurs rêves semblaient reculer toujours et toujours, comme un leurre. Il y avait dans tous ces gens qu’elle croisait une envie de vivre, de faire la fête, de tomber amoureux qui la poussait à entrer dans la danse. Elle, la nouvelle Joséphine. Aurait-elle assez d’énergie pour tendre la main ou se contenterait-elle de rester là, au bord de la danse, comme une enfant qui a peur de rentrer dans la mer ? Elle leva le visage vers Luca. Il semblait à nouveau une tour solitaire et sauvage qui avançait, murée dans son silence.

À combien de vies a-t-on droit lors de notre passage sur terre ? On dit que les chats ont sept vies… Florine a cinq maris. Pourquoi n’aurais-je pas droit à un deuxième amour ? Ai-je assez expliqué comment marchait le commerce à cette époque ? J’ai oublié de parler des finances. On payait en monnaie ou en nature : blé, avoine, vin, chapons, poules, œufs. Chaque ville d’importance frappait sa monnaie, certaines monnaies avaient plus de valeur que d’autres. C’était selon la ville.

Elle sentit Luca l’attraper par le bras.

Oh ! sursauta-t-elle comme s’il la réveillait.

Si je ne vous avais pas arrêtée, vous passiez sous la voiture. Vous êtes vraiment très distraite… J’ai l’impression de marcher à côté d’un fantôme !

Je suis désolée… Je pensais au film.

Vous me le ferez lire votre livre quand vous l’aurez fini ?

Elle bafouilla « mais je ne, mais je ne… », il sourit, ajouta : « C’est un mystère c’est toujours un mystère l’écriture d’un livre, vous avez bien raison de ne pas en parler, on peut le défigurer en le livrant quand il n’est pas fini, et puis il change tout le

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temps, on croit écrire une histoire et on en écrit une autre, personne ne peut savoir tant que la dernière phrase n’a pas été posée. Je sais tout ça et je le respecte. Surtout ne me répondez pas ! »

Il la raccompagna jusqu’à sa porte. Jeta un regard sur l’immeuble, lui dit « on recommencera, n’est-ce pas ? ». Il lui tendit la main, la serra doucement, longuement ? comme s’il trouvait impoli de la lâcher trop vite.

Alors bonsoir…

Bonsoir et merci mille fois. Le film était très beau, vraiment…

Il partit d’un pas vif en homme content d’avoir échappé au piège de l’au revoir devant la porte de l’immeuble. Elle le regarda s’éloigner. Une sensation affreuse de vide grandit en elle. Elle savait maintenant ce que signifiait « être seule ». Pas

«être seule » pour payer des factures ou élever des enfants, mais « être seule » parce qu’un homme dont on avait espéré qu’il vous prenne dans ses bras s’éloignait en vous tournant le dos. Je préfère la solitude avec les factures, soupira-t-elle en appuyant sur le bouton de l’ascenseur, au moins on sait où on en est.

Les lumières du salon étaient allumées. Les filles, Max et Christine Barthillet, autour de l’ordinateur, poussaient des cris, s’esclaffaient, criaient « et celle-ci ! et celle-là ! » en montrant du doigt l’écran.

Vous n’êtes pas couchés ? Il est une heure du matin !

Ils relevèrent à peine la tête, subjugués par ce qu’ils voyaient

àl’écran.

Viens voir, m’man, cria Zoé en faisant signe à Joséphine de s’approcher.

Elle n’était pas sûre de vouloir participer à l’excitation générale. Elle était encore pénétrée de la douceur triste de sa soirée. Elle défit la ceinture de son imperméable, se laissa tomber dans le canapé et enleva ses chaussures.

Que se passe-t-il exactement ? Vous avez l’air au bord de l’explosion !

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Enfin, m’man, viens voir. On peut pas te dire, il faut que tu regardes avec tes yeux à toi, déclara Zoé avec le plus grand sérieux.

Joséphine se rapprocha de l’ordinateur posé sur la table.

T’es prête ? demanda Zoé.

Joséphine acquiesça. Le doigt de Christine Barthillet cliqua sur l’écran.

Vous feriez mieux de prendre une chaise, madame Joséphine, vous allez être drôlement secouée…

C’est pas des photos porno ? demanda Jo, doutant du discernement de Christine Barthillet.

Mais non, maman ! dit Hortense. C’est bien plus intéressant.

Madame Barthillet alla cliquer sur une icône et des photos de petits garçons apparurent à l’écran.

J’avais dit pas de pornographie mais aussi pas de pédophilie, gronda Joséphine. Et je ne plaisante pas !

Attendez, dit Max. R’gardez-y de plus près !

Joséphine se pencha sur l’écran. Il y avait bien deux garçons, tout blonds, et un autre, bien plus jeune, aux cheveux brun foncé. Ils jouaient dans un parc, dans une piscine, ils étaient aux sports d’hiver, ils faisaient du cheval, ils découpaient un gâteau d’anniversaire, ils étaient en pyjama, ils mangeaient des glaces…

Et alors ? demanda Joséphine.

Tu ne les reconnais pas ? pouffa Zoé. Joséphine regarda de plus près.

C’est William et Harry…

Oui, et le troisième ?

Joséphine se concentra et reconnut le troisième enfant. Gary ! Gary en vacances avec les petits princes, Gary tenant la main de Diana, Gary sur un poney tenu en longe par le prince Charles, Gary jouant au foot dans un grand parc…

Gary ? murmura Joséphine.

En personne ! clama Zoé. Tu te rends compte : Gary est royal !

Gary ? répéta Jo. Vous êtes sûrs que ce n’est pas un montage ?

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On les a trouvées en surfant dans des photos de famille mises sur le Net par un valet peu attentionné…

C’est le moins qu’on puisse dire ! dit Joséphine.

Ça troue le cul, pas vrai ? fit remarquer madame Barthillet.

Joséphine regardait l’écran, cliquait sur une photo puis sur une autre.

Et Shirley ? Il n’y a pas de photo de Shirley ?

Non, répliqua Hortense. En revanche, elle est rentrée. Elle est arrivée tout à l’heure quand tu étais au cinéma… C’était bien, le cinéma ?

Joséphine ne répondit pas.

C’était bien le cinéma avec Luca ?

Hortense !

Il a téléphoné, tu venais de partir. Pour dire qu’il serait un peu en retard. Pauvre maman, tu étais en avance ! Il ne faut jamais être en avance. Je parie qu’il ne t’a même pas embrassée. On n’embrasse pas les femmes qui sont à l’heure !

Elle mit la main devant sa bouche pour arrêter un bâillement et signaler son ennui devant le peu de savoir-faire de sa mère.

Et on ne se fait pas belle de manière évidente ! On la joue subtile. On se maquille sans se maquiller ! On s’habille sans s’habiller ! Ce sont des choses qu’on sait ou pas, et toi, apparemment, t’es pas douée pour ça.

En l’humiliant devant madame Barthillet, Hortense savait que Joséphine ne pourrait pas réagir violemment. Elle serait obligée de se retenir. Ce qu’elle fit. Joséphine serra les dents, cherchant une contenance.

Il a un beau nom… Luca Giambelli ! Est-il aussi beau que son nom ?

Elle bâilla et, relevant ses cheveux comme un lourd rideau, elle ajouta :

Je ne sais pas pourquoi je te pose cette question. Comme si ça m’intéressait ! Ce doit être un de ces rats de bibliothèque que tu aimes tellement… Il a des pellicules et les dents jaunes ?

Elle avait éclaté de rire en prenant à parti du regard Christine Barthillet, qui tentait de rester à l’écart, un peu gênée.

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