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Добавлен: 05.08.2024
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—Surtout, Shirley, je n’ai plus peur. Avant, j’avais peur de tout ! Je me cachais derrière Antoine. Derrière ma thèse. Derrière mon ombre. Aujourd’hui, je m’autorise des choses que je m’interdisais avant, je monte au filet !
Elle eut un rire de petite fille et se cacha derrière sa main.
—Il faut juste que je sois patiente, que je laisse la nouvelle Jo grandir et, un jour, elle prendra toute la place, elle me donnera toute sa force. Pour le moment j’apprends… J’ai compris que le bonheur, ce n’est pas de vivre une petite vie sans embrouilles, sans faire d’erreurs ni bouger. Le bonheur, c’est d’accepter la lutte, l’effort, le doute, et d’avancer, d’avancer en franchissant chaque obstacle. Avant, je n’avançais pas, je dormais. Je me laissais porter par un train-train paisible : mon mari, mes enfants, mes études, mon confort. Aujourd’hui, j’ai appris à me battre, à trouver des solutions, à désespérer momentanément puis à me reprendre et j’avance, Shirley. Toute seule ! Je me débrouille… Quand j’étais petite, je répétais ce que disait maman ; sa vision de la vie était la mienne ; puis j’ai écouté Iris. Je la trouvais si intelligente, si brillante… Après, il y a eu Antoine : je signais tout ce qu’il voulait, je modelais ma vie sur la sienne. Même toi, Shirley… Le fait de savoir que tu étais mon amie me rassurait, je me disais que j’étais quelqu’un de bien puisque tu m’aimais. Eh bien, tout ça est fini ! J’ai appris à penser toute seule, à marcher toute seule, à me battre toute seule…
Shirley écoutait Joséphine et pensait à la petite fille qu’elle avait été. Si sûre d’elle. Insolente, presque arrogante. Un jour que sa gouvernante l’avait emmenée se promener dans le parc, elle lui avait lâché la main et elle était partie. Elle devait avoir cinq ans. Elle avait erré, savourant la délicieuse sensation d’être libre, de courir sans que miss Barton lui dise que ce n’était pas bien, qu’une petite fille bien élevée devait marcher d’un pas régulier. Un policier lui avait demandé si elle était perdue. Elle avait répondu « non, mais vous devriez chercher ma gouvernante, elle s’est égarée » ! Je n’avais jamais peur. Je tenais debout toute seule. C’est après que ça s’est gâté. J’ai fait le chemin inverse de Jo.
—Tu ne m’écoutes plus !
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—Si…
—J’ai accepté le côté noir de la vie, il ne me rebute plus, il ne me fait plus peur.
—Et comment y es-tu arrivée ? demanda Shirley, attendrie.
—Tu vois, je crois que… cette lutte de tous les jours, elle repose sur l’amour. Pas sur l’ambition, le besoin d’avoir, de posséder, mais sur l’amour… Pas l’amour de soi, non plus. Ça, c’est le malheur, c’est ce qui nous fait tourner en rond. Non ! sur l’amour des autres, l’amour de la vie. Quand tu aimes, tu es sauvée. Voilà, en résumé, ce qui s’est passé ces derniers temps dans ma vie.
Elle esquissa un petit sourire comme si elle était étonnée d’avoir prononcé tous ces mots pompeux. Shirley la contempla et tout doucement ajouta :
—Moi, j’en suis encore à me débattre, pas à me battre pour avancer !
—Mais si, tu avances à ta manière. On a chacun sa manière d’avancer.
—Je n’ai pas su affronter, j’ai préféré prendre la fuite. Et depuis, je vis une éternelle cavale.
Elle poussa un soupir comme si elle ne devait pas en dire plus. Joséphine la considéra un instant et l’enlaça.
—Pour bien vivre, il faut se lancer dans la vie, se perdre et se retrouver et se perdre encore, abandonner et recommencer mais ne jamais, jamais penser qu’un jour on pourra se reposer parce que ça ne s’arrête jamais… La tranquillité, c’est plus tard que nous l’aurons.
—Quand nous serons morts ?
Jo éclata de rire.
—On est sur terre pour se battre. On n’est pas sur terre pour se la couler douce.
Elle marqua une pause, tendit sa tasse pour demander du thé, ferma les yeux et murmura tout bas, en gloussant :
—Elle est comment, la reine d’Angleterre ?
Shirley prit la théière, versa le thé et répondit « joker ! ».
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Madame Barthillet était de retour du marché. Elle avait mal aux bras d’avoir porté les sacs en plastique et se frotta les paumes des mains que les poignées avaient meurtries. Elle pensa un instant laisser les courses sur la table de la cuisine puis se ravisa et décida de tout ranger. Tous ces légumes, tous ces légumes qu’elle m’a fait acheter et qui coûtent si cher ! Alors que c’est si simple d’ouvrir une boîte de conserve. Et puis, il faut les laver, les éplucher, les faire cuire, ça prend du temps. Même le pot-au-feu, on le trouve lyophilisé, maintenant. Il faut que je me tire d’ici ! Que j’entame une nouvelle vie peinarde. Ne plus faire d’efforts, me trouver un brave mec qui paie le loyer et me laisse regarder la télé toute la journée. Max saura se débrouiller. Élever un enfant, c’est trop de boulot. Quand ils sont petits, c’est facile mais, quand ils grandissent, il faut se dresser contre eux. Imposer des règles. Se battre pour qu’ils les respectent. J’ai pas envie, j’ai envie de calme plat. Les enfants sont des ingrats. Chacun pour soi ! À dix-sept heures, elle avait rendez-vous avec Alberto à la Défense. Prendre une douche, se préparer. Se faire belle. J’ai encore de beaux restes. Je peux encore faire illusion. Et puis ce n’est pas un perdreau de l’année, lui non plus ! Il m’a envoyé une photo floue où on ne voyait rien. Il ne sera pas trop regardant.
Quand Hortense rentra de la brocante, madame Barthillet l’attendait en peignoir sur le canapé du salon. Elle regardait Michel Drucker en mâchant son chewing-gum.
—Vous avez trouvé des trucs bien ? demanda-t-elle en se redressant.
—Oh ! des conneries, répondit Max, mais on s’est bien amusées. On est allés jouer au flipper et on a bu des Coca. C’est un type qui a payé pour tout… Pour les beaux yeux d’Hortense.
—Il était comment ? demanda Christine Barthillet.
—Nul à chier, répondit Hortense. Mais ça l’émoustillait de croire que j’allais tomber pour trois Coca et quelques pièces pour jouer. Pauvre mec !
—T’as tout compris, toi, rigola Christine Barthillet.
—C’est pas difficile à comprendre ce genre de mecs. Il bavait de convoitise, ça faisait une flaque par terre !
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—Moi, j’en ai marre d’être petite, personne me regarde, grogna Zoé.
—Ça viendra, ma poule, ça viendra… T’as pas oublié que t’avais promis de m’habiller pour mon rencard ? demanda Christine Bartillet à Hortense.
Hortense la dévisagea en la jaugeant.
—Vous avez quoi comme fringues mettables ?
Madame Barthillet soupira « pas grand-chose, je roule pas sur les marques, moi, je fais mon shopping dans les catalogues ».
—Va falloir la jouer décontracté, alors…, déclara Hortense d’une voix de professionnelle. Vous avez une saharienne ?
Madame Barthillet hocha la tête.
—Un modèle de La Redoute. De cette année…
—Un survêt ?
Madame Barthillet opina.
— Bon… Allez me les chercher !
Madame Barthillet revint avec des vêtements roulés en boule. Hortense les souleva du bout des doigts, les étala sur le canapé, les considéra un long moment. Max et Zoé la regardaient, subjugués.
— Alors… Alors…
Elle fronça le nez, tordit la bouche, palpa un pull, un débardeur, défroissa un chemisier blanc, le repoussa.
— Vous avez des accessoires ?
Madame Barthillet leva la tête, surprise.
—Des colliers, des bracelets, une écharpe, une paire de lunettes…
—J’ai quelques babioles de Monoprix…
Elle alla dans la chambre les chercher.
Zoé poussa Max du coude et susurra « tu vas voir, regarde bien ! Elle va transformer ta mère en bombe sexuelle ». Madame Barthillet déposa un tas de breloques à côté des vêtements dépliés qui semblaient attendre le coup de baguette magique d’Hortense. Cette dernière réfléchit puis, sur un ton docte, déclara :
— Déshabillez-vous !
Madame Barthillet eut l’air interloqué.
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— Vous voulez que je vous habille ou pas ?
Christine Barthillet obtempéra. Elle se retrouva en petite culotte et soutien-gorge devant Max et les filles. Elle cacha ses seins de ses mains et se racla la gorge, gênée. Max et Zoé piquèrent un fou rire.
—Le must : la saharienne. Règle numéro un : accompagnée d’un pantalon de jogging Adidas à bandes blanches, je dis oui. Ça tombe bien, vous en avez un. C’est d’ailleurs la seule façon d’avoir l’air chic en survêt !
—Avec une saharienne ?
—Absolument. Règle numéro deux : sous la saharienne, mettre un pull en V et un débardeur qui pointe son nez sous le pull…
Elle fit signe à madame Barthillet d’enfiler les vêtements qu’elle lui tendait.
—Pas mal… Pas mal ! dit Hortense en la soupesant du regard. Règle numéro trois : saupoudrer le tout de quelques accessoires bon marché, on va prendre vos colliers et bracelets de Monoprix…
Elle la décora comme un mannequin de vitrine. Recula d’un pas. Retroussa une manche. Recula encore. Détendit l’encolure du pull. Ajouta un dernier collier et une paire de lunettes d’aviateur dans les cheveux.
—Aux pieds, des baskets… Et le tour est joué ! déclara-t-elle, satisfaite.
—Des baskets ! protesta Christine Barthillet. C’est pas très féminin.
—Vous voulez avoir l’air d’un tas ou d’une pro du style ? Faut choisir, Christine, faut choisir ! Vous m’avez demandé de vous aider, je vous aide, si ça vous plaît pas, mettez vos talons aiguilles et soyez pouff.
Madame Barthillet se tut et enfila ses baskets.
—Voilà…, dit Hortense, en tirant sur le pull et en faisant apparaître la bretelle du débardeur. Allez vous regarder dans la glace.
Madame Barthillet partit dans la chambre de Joséphine et en revint avec un grand sourire.
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—C’est génial ! Je me reconnais plus. Merci, Hortense, merci.
Elle tourbillonna dans le salon puis se laissa tomber sur le canapé en se tapant sur les cuisses de joie.
—C’est fou ce qu’on peut faire avec trois chiffons quand on a du goût ! Et ça te vient d’où ça ?
—J’ai toujours su que j’étais douée pour ça.
—Un vrai tour de passe-passe ! Comme si t’avais vu quelqu’un d’autre en moi ! Comme si je savais enfin qui j’étais.
Zoé se replia en boule sur le tapis et, tripotant ses lacets, elle bougonna :
—J’aimerais bien savoir qui je suis, moi. Tu me le fais à moi, dis, Hortense…
—Te faire quoi ? demanda Hortense, distraite, en observant un dernier détail dans la tenue de Christine Barthillet.
—Comme t’as fait à madame Barthillet…
—Je te le promets.
Zoé fit un bond de joie et vint se suspendre au cou d’Hortense qui se dégagea.
—Apprends d’abord à te tenir, Zoé. Ne jamais montrer tes émotions. Garder tes distances. C’est la règle numéro un pour avoir de la classe. Le dédain… Tu prends les gens de haut et ils te respectent. Si t’as pas compris ça, c’est pas la peine de sortir.
Zoé se reprit et fit trois pas en arrière, jouant la fière et l’indifférente.
—Comme ça ? Ça va ?
—Il faut que ce soit naturel, Zoé. Que tu sois dédaigneuse naturellement. C’est ce qu’il y a de plus dur dans « l’attitude ».
Elle avait prononcé ce mot en l’articulant soigneusement.
—L’attitude doit être naturelle…
Zoé tritura ses cheveux et poussa un soupir en se grattant le ventre.
—C’est trop dur…
—C’est du travail, c’est sûr, répliqua Hortense, du bout des lèvres.
Son regard retomba sur Christine Barthillet et elle lui demanda :
—Vous savez à quoi il ressemble, votre Alberto ?
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—Aucune idée. Il aura Le Journal du dimanche sous le bras ! Je vous raconterai… Allez, j’y vais. Ciao ! Ciao !
Elle prit son sac et s’apprêta à sortir. Hortense la rattrapa, lui fit remarquer que son sac n’allait pas du tout avec sa tenue.
—Tant pis, fit Christine Barthillet. Je sais qu’il faut être en retard mais si je traîne trop, y aura plus d’Alberto !
Elle était en train de descendre les escaliers quand Max et Zoé lui crièrent de prendre une photo afin qu’ils sachent à quoi ressemblait Alberto.
—Tu comprends, souffla Zoé, soucieuse, il va peut-être devenir ton beau-père…
Dans la cuisine, les volets fermés pour la protéger de la chaleur, Joséphine écrivait. Le jour où elle devait rendre le manuscrit approchait. Plus que trois semaines et elle devait avoir fini. Iris venait chaque jour prendre les enfants et les emmenait au cinéma, se promener dans Paris ou au Jardin d’Acclimatation. Elle mangeait des glaces en payant des tours d’auto-tamponneuses et des parties de tir à la carabine. Le collège des filles étant un centre d’examens pour le bac, Max et Zoé étaient livrés à eux-mêmes. Joséphine avait fait comprendre à Iris qu’elle ne réussirait pas à terminer le roman si elle n’était pas entièrement délivrée de toute présence dans l’appartement et dégagée du souci de savoir ce qu’ils faisaient toute la journée. « Je ne peux pas laisser traîner Zoé avec Max Barthillet, elle va finir dans un trafic de portables volés ou de vente de cannabis ! » Iris avait râlé. « Mais comment je vais faire ? – Tu te débrouilles, avait répondu Jo, c’est ça ou je n’écris pas ! » Hortense faisait son stage chez Chef et vivait sa vie, mais il fallait occuper Zoé et Max.
Madame Barthillet poursuivait sa romance avec Alberto. Il lui donnait rendez-vous à des terrasses de café, mais ils n’avaient pas encore consommé. « Il y a un loup, disait Christine Barthillet, il y a un loup quelque part ! Pourquoi ne m’emmène-t-il pas à l’hôtel ? Il m’embrasse, me tripote, me fait des cadeaux mais rien d’autre. Je ne demande qu’à conclure, moi ! Au lieu de s’envoyer en l’air, on passe des heures à parler,
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assis, en buvant des cafés ! Je vais finir par connaître tous les bars de Paris. Il est toujours à l’heure, arrive toujours en premier et son grand truc est de me regarder marcher. Il dit que ma démarche l’inspire, qu’il adore me voir arriver, me voir m’éloigner ! Cet homme est sûrement impuissant. Ou détraqué. Il rêve d’avoir une liaison mais n’arrive pas à passer à l’acte. C’est bien ma chance ! C’est pas difficile, j’ai l’impression d’être avec un homme-tronc ! Je ne l’ai jamais vu debout ! – Mais non, avait dit Zoé, c’est un romantique, il prend son temps. – J’ai pas de temps à perdre. Je ne vais pas prendre racine chez vous. J’ai envie de m’installer et, là, on perd du temps, on perd du temps. Je ne sais même pas son nom de famille. Je vous dis que c’est louche ! »
Joséphine, elle, n’avait pas de temps à perdre. Le quatrième mari de Florine venait de rendre l’âme, brûlé sur le bûcher des hérétiques. Ouf ! pensa-t-elle en s’épongeant le front. Il était temps ! Quel homme malsain et malfaisant ! Il était arrivé au château, monté sur un grand destrier noir et portant avec lui les Saints Évangiles. Il avait demandé l’asile et Florine l’avait recueilli. La première nuit, il ne voulut point dormir dans un lit, mais à la dure, sous les étoiles, enveloppé dans sa grande cape noire. Guibert le Pieux était un homme magnifique. Les cheveux longs et bruns, le torse puissant, des bras de bûcheron, de belles dents blanches, un sourire de carnassier, des yeux bleus perçants… Florine avait senti le feu brûler ses entrailles. Il parlait en citant des versets de l’Évangile, récitait le texte du Decretum qu’il connaissait par cœur et pourfendait le péché sous toutes ses formes. Il s’était installé au château et réglementait la vie de tous. Il exigeait de Florine qu’elle porte des tenues austères, sans aucune couleur. Le Malin se loge dans le sein de chaque femme, professait-il en levant le doigt vers le ciel. Les femmes sont frivoles, bavardes, infanticides, avorteuses, luxurieuses, lubriques, prostituées. La preuve : il n’y a pas de femmes au Paradis. Il avait fait retirer les tapisseries et les tentures des murs du château, avait confisqué les fourrures, vidé les coffres à bijoux. De sa belle voix de mâle assuré, il lâchait des anathèmes. Les fards sont des vermillons adultérins, les filles laides des vomissures de la terre et les belles, il faut
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s’en méfier car ce n’est qu’une apparence dissimulant un sac d’ordures. Tu prétends vouloir suivre la règle de saint Benoît et tu trembles quand je t’ordonne de dormir au sol, en chemise ? Mais ne vois-tu pas que c’est le diable qui t’enferme dans ce confort de reine, le diable qui a rempli tes caisses d’argent et de pierres précieuses, le diable qui te murmure de soigner ta beauté et la douceur de ta peau pour te détourner de ton Époux divin ? Florine écoutait et se disait que cet homme lui avait été envoyé pour la remettre sur le droit chemin. Elle s’était égarée avec ses précédents maris. Elle avait oublié sa vocation. Sa voix l’ensorcelait, sa stature la troublait, son regard la transperçait. Elle tremblait si fort de désir pour lui qu’elle consentit à tout. Isabeau, sa fidèle servante, effrayée par le fanatisme de Guibert, s’enfuit une nuit en emmenant le jeune comte. Florine demeura seule, parmi des domestiques terrorisés. Ceux qui n’obéissaient pas étaient enfermés dans les cachots du château. Personne n’osait s’opposer à lui. Un soir, pourtant, il passe le bras autour des épaules de Florine et lui demande de l’épouser. Défaillant de joie, Florine remercie Dieu et accepte. Ce sera une noce triste et austère. La mariée est pieds nus, le marié la tient à distance. Lors de la nuit de noces, alors que Florine se glisse dans la couche conjugale en tremblant de joie, il s’enveloppe de son manteau et s’allonge à côté d’elle. Il n’entend pas consommer le mariage. Ce serait céder au péché de luxure. Florine sanglote, mais serre les dents pour qu’il ne l’entende pas. Il lui fait répéter en prière je ne suis rien, je suis moins que rien, je suis une mauvaise femme, plus mauvaise que la plus mauvaise des bêtes. J’ai rencontré mon Sauveur en prenant cet homme pour époux et je dois lui obéir en tout. Elle s’incline. Le lendemain, il coupe ses longs cheveux d’or avec son poignard et lui barre le front de deux grands traits de cendre. Cendre tu es et cendre tu retourneras, énonce-t-il en glissant le pouce sur son front. Florine défaille de plaisir en sentant son doigt sur sa peau nue. Elle avoue son plaisir et il redouble de cruauté. Il l’épuise à la tâche, lui inflige un jeûne perpétuel, lui ordonne de faire ellemême toutes les tâches ménagères, de boire l’eau sale du ménage. Renvoie un à un les domestiques en les couvrant de cadeaux pour qu’ils ne parlent pas. Il ordonne qu’elle lui livre
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son argent et lui indique où elle a caché son or, l’or que t’a donné le roi de France après avoir trucidé ton mari et que tu as dissimulé. Cet argent est maudit, tu dois me le donner que je le jette à la rivière. Florine résiste. Ce n’est pas son argent, c’est celui de son fils. Elle ne veut pas déshériter Thibaut le Jeune. Guibert la soumet alors à une véritable torture. Lui impose les fers, l’enchaîne dans une geôle jusqu’à ce qu’elle parle. Parfois, pour l’amadouer, il la prend dans ses bras et ils prient ensemble. Dieu m’a envoyé à toi pour te purifier. Elle le remercie, remercie Dieu qui la conduit sur la voie de la soumission et de l’obéissance.
Elle est sur le point de renoncer à tout, de livrer sa fortune lorsque la fidèle Isabeau revient avec une troupe de chevaliers pour la délivrer. En fouillant le château pour venir la secourir, Isabeau découvre un véritable trésor : celui de Guibert et de toutes les veuves qu’il a ensorcelées avant de rencontrer Florine. Elle le remet à Florine qui a repris ses esprits. Florine décide alors de ne plus poursuivre la perfection et de reprendre une vie normale, sans atteindre la sainteté sur terre, car c’est péché d’orgueil de se croire l’égale de Dieu en pureté. Elle regarde Guibert brûler sur son bûcher et ne peut s’empêcher de pleurer en voyant cet homme qu’elle a tant aimé partir en torche brûlante sans crier ni demander pardon. Il ira tout droit en enfer et c’est bien fait ! déclare Thibaut le Jeune. La voilà veuve une nouvelle fois et encore plus riche qu’avant.
Un peu comme moi, songea Joséphine en se levant pour s’étirer. Je vais bientôt toucher vingt-cinq mille euros de plus et je n’ai pas d’homme dans ma vie. Plus ça va, plus je suis riche et seule ! Luca avait encore disparu. Elle n’avait pas de nouvelles depuis dix jours. Il ne venait plus en bibliothèque. Il a dû partir faire des photos à l’autre bout du monde. Elle soupira, se massa les reins et revint s’asseoir devant son ordinateur. Il ne restait plus qu’un mari à Florine… Le dernier. Celui-là, décida-t-elle, ce sera le bon. Je veux une fin heureuse. Elle avait sa petite idée. Il s’appelle Tancrède de Hauteville. Florine le connaît depuis longtemps. C’est un seigneur voisin. Un débraillé, un sans foi ni loi, un cupide. Il faisait partie du complot ourdi contre elle par Étienne le Noir au moment de la mort de son premier mari. Il a
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