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Добавлен: 05.08.2024
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tenté de l’enlever pour mettre la main sur le château et ses terres. Depuis il s’est moult repenti, revient de croisade, et veut vivre en bon chrétien, loin des tentations terrestres. Il vient demander à Florine de lui pardonner son crime d’antan. Florine l’épouse, laisse le château à son fils devenu grand et part vivre avec Tancrède sur ses terres. Chemin faisant, ils se réfugient dans une forêt du Poitou, dans la région de Melle, trouvent une chaumière, s’y installent et vivent en priant, en mangeant les légumes qu’ils cultivent, en buvant de l’eau de pluie, vêtus de fourrures, dormant auprès du feu. Ils sont heureux, s’aiment d’amour tendre jusqu’au jour où Tancrède en allant chercher de l’eau découvre de la galène argentifère. Un magnifique gisement d’argent ! De quoi fabriquer plein de deniers, pièce de monnaie inventée par Charlemagne. Ils vont devenir riches à crouler sous les pièces ! Florine est d’abord effondrée puis voit un signe de Dieu dans la répétition de son destin. Elle doit accepter son sort et cet argent. Elle se résout à sa nouvelle richesse, ouvre un refuge pour les déshérités et les sans-abri qu’elle dirigera avec Tancrède à qui elle donnera de nombreux enfants. Fin.
Il n’y avait plus qu’à l’écrire. Au moins, j’entrevois la fin. Un dernier effort et j’en aurai fini. Et alors… alors il faudra que je remettre le livre entre les mains d’Iris. Ce sera une épreuve. Je ne dois pas y penser, je ne dois pas y penser. J’ai accepté. Pour de mauvaises raisons, certes, mais j’ai accepté. Je dois me séparer de ce livre et ne plus m’en soucier.
Elle redoutait ce moment. Le livre était devenu un ami, les personnages du livre remplissaient sa vie, elle leur parlait, elle les écoutait, elle les accompagnait. Comment vais-je accepter de m’en séparer ?
Pour ne pas y penser, elle alla consulter ses mails. Il y en avait un d’Antoine. La dernière fois qu’ils s’étaient parlé, ils s’étaient presque disputés. À cause de madame Barthillet.
Ma chère Jo,
Un petit mot pour te donner des nouvelles. Tu seras heureuse d’apprendre que j’ai finalement suivi tes conseils et je me suis mis en grève. Ce fut un beau désastre ! Lee ne suffisait
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plus à la tâche. Il courait de partout, les yeux exorbités. Les crocodiles, affamés, ont démoli les barrières et ont dévoré deux ouvriers. Il a fallu les abattre, eux et tous ceux qui s’échappaient ! C’est pas facile de tirer sur des crocodiles. Ça ricochait de partout, il y a eu plusieurs blessés ! On a frôlé l’émeute. Tout le monde en a parlé, ça a fait la une du journal local et M. Wei m’a envoyé un chèque consistant, me payant enfin tout ce qu’il me devait !
Cela dit, je me suis rendu compte que Lee était du côté de Wei. Quand j’ai déclaré que je ne voulais plus travailler, il ne m’a pas cru. Il m’observait avec ses petits yeux jaunes en se demandant si c’était du lard ou du cochon. Il me suivait partout, surgissait derrière moi quand je ne m’y attendais pas, me suivait quand j’allais à la boutique de Mylène et je l’ai surpris plusieurs fois au téléphone, parlant à voix basse comme un conspirateur. Il cachait quelque chose. Sinon pourquoi murmurait-il alors que je ne comprends pas un mot de chinois ? Depuis, je m’en méfie. J’ai pris un chien et je lui fais goûter discrètement sous la table une bouchée de tout ce que je mange. Tu vas me dire que je suis parano mais j’ai l’impression de voir des crocodiles partout.
Pendant que je faisais grève, j’ai donné un coup de main à Mylène. C’est une fille bien, tu sais. Et pleine de ressources. Elle se tue à la tâche, travaille douze heures d’affilée tous les jours, même le dimanche ! Sa boutique ne désemplit pas. Elle gagne un fric fou. L’ouverture a été un triomphe et, depuis, le succès ne s’est pas ralenti. Les Chinoises claquent tout leur argent pour devenir aussi belles que les Occidentales. Elle fait des soins et vend des produits de maquillage. Elle a dû aller deux fois en France pour se ravitailler. Pendant qu’elle était absente, j’ai tenu la boutique et, ma foi, cela m’a donné des idées. Attendstoi à ce que je devienne riche et important, quitte, s’il le faut, à aller vivre en Chine ! Car il est évident que si les Chinois nous inondent de produits fabriqués à bas prix, on peut leur clouer le bec en leur vendant notre savoir-faire !
Ça y est ! se dit Joséphine, catastrophée. Il voit encore trop grand, trop rapidement. Il n’a rien compris.
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Je ne bois presque plus. Juste un whisky le soir quand le soleil se couche. Mais c’est tout, je te le promets… Bref, je suis un homme heureux et je touche enfin au but ! Je pense d’ailleurs que nous allons devoir divorcer. Ce serait plus pratique si je dois me lancer dans de nouvelles activités…
Divorcer ! Le mot porta un coup à Joséphine. Divorcer… Elle n’y avait jamais pensé. « Mais tu es mon mari, dit-elle à haute voix en regardant l’écran. On s’est engagés pour le meilleur et pour le pire. »
Je parle aux filles régulièrement et elles ont l’air d’aller très bien. Je suis très content. J’espère que les Barthillet sont enfin partis et que tu vas cesser de jouer les saint-bernards ! Ces genslà sont des parasites de la société. Et de très mauvais exemples pour nos filles…
Mais pour qui se prend-il ? Parce que sa copine fait fortune avec des points noirs et des fonds de teint, il me fait la leçon !
Il faudra qu’on discute des vacances de cet été. Je ne sais pas encore comment je vais m’organiser. Je ne pense pas pouvoir m’éloigner des crocodiles. Je devrais avoir mes premières portées. Dis-moi ce que tu as prévu et je m’alignerai. Je t’embrasse fort, Antoine.
P-S : Maintenant que je gagne de l’argent, je vais pouvoir payer mon emprunt. Tu n’as plus de souci à te faire. Je vais appeler Faugeron. Il va falloir qu’il me parle sur un autre ton, celui-là !
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P-S : Hier, à la télé, j’ai découvert que je pouvais suivre « Questions pour un champion » ! C’est retransmis avec un jour de décalage ! C’est pas génial ?
Joséphine haussa les épaules. La lecture du mail d’Antoine avait fait naître des sentiments si contradictoires qu’elle demeura bête devant son écran.
Elle regarda l’heure. Iris rentrerait avec les enfants. Madame Barthillet reviendrait de son rendez-vous avec Alberto. Hortense de sa journée de travail chez Chef. Fini la tranquillité ! Demain, elle recommencerait. Elle avait hâte de recommencer.
Elle ferma l’ordinateur et se leva pour préparer le dîner. Le téléphone sonna. C’était Hortense.
—Je vais rentrer un peu tard. Il y a un pot organisé à l’atelier…
—Qu’est-ce que tu appelles « un peu tard » ?
—Je ne sais pas… Ne m’attendez pas pour dîner. Je n’aurai pas faim.
—Hortense, comment vas-tu rentrer ?
—On me raccompagnera.
—C’est qui, « on » ?
—Je ne sais pas. Je trouverai bien quelqu’un ! Ma petite maman chérie, s’il te plaît… Ne me gâche pas ma joie ! Je suis si contente de travailler et tout le monde paraît enchanté de moi. On m’a fait plein de compliments.
Joséphine regarda sa montre. Il était sept heures du soir.
—D’accord, mais tu ne rentres pas après…
Elle hésita. C’était la première fois que sa fille lui demandait l’autorisation de sortir, elle ne savait pas ce qu’il convenait de dire.
— Dix heures ? D’accord, maman chérie, je serai là à dix heures, ne te fais pas de souci… Tu vois, si j’avais un portable, ce serait plus pratique. Tu pourrais me joindre tout le temps et tu serais rassurée. Enfin…
Sa voix était retombée et Joséphine pouvait imaginer la moue qu’elle faisait. Hortense raccrocha. Joséphine resta abasourdie. Téléphoner à Chef pour lui demander de veiller à
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mettre Hortense dans un taxi ? Hortense serait furieuse qu’elle fasse le gendarme derrière son dos. De plus, elle n’avait plus parlé à Chef depuis la brouille avec sa mère…
Elle demeura près du téléphone en se mordant les doigts. Elle sentait un nouveau danger se profiler : gérer la liberté d’Hortense. Elle esquissa un petit sourire ; deux mots qui n’allaient vraiment pas ensemble, « gérer » et « Hortense ». Elle n’avait jamais su « gérer » Hortense. Elle était toujours étonnée quand sa fille lui obéissait.
Elle entendit une clé tourner dans la serrure de la porte d’entrée, madame Barthillet entra dans la cuisine et se laissa tomber sur une chaise.
—Ça y est !
—Ça y est quoi ?
—Il s’appelle Alberto Modesto et il a un pied bot.
—C’est joli, Alberto Modesto…
—Oui mais un pied bot, c’est pas joli du tout. C’est bien ma chance ! Je tombe sur un infirme.
—Enfin, Christine, ce n’est pas grave !
—C’est pas vous qui serez obligée de marcher dans la rue à côté d’une chaussure géante ! Je vais avoir l’air de quoi, moi ?
Joséphine la considéra, stupéfaite.
—Et encore, je m’en suis aperçue parce que j’ai rusé ! Sinon il m’aurait encore flouée. Quand je suis arrivée au café, il était là, tout bien habillé, tout bien parfumé, assis sur sa chaise, le col de sa chemise ouverte et un petit paquet-cadeau… Tenez !
Elle tendit sa main, exhibant ce qui ressemblait à un petit diamant à son annulaire.
—On s’embrasse, il me fait des compliments sur ma tenue, il commande une menthe à l’eau pour lui et un café pour moi et on parle, et on parle… Il dit qu’il s’attache de plus en plus à moi, qu’il a bien réfléchi, qu’il va me louer cet appartement dont j’ai tant besoin. Alors je l’embrasse comme du bon pain, je me pends à son cou, je gigote, bref, je me rends ridicule ! Lui, il boit du petit-lait et il ne me propose toujours pas d’aller à l’hôtel. Le temps passe, je commence à me dire que c’est pas normal et je prétexte un rendez-vous pour lever le camp. Là, Alberto me baise la main et me dit la prochaine fois, on achète le journal et
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on fait les petites annonces ensemble. Je me lève et je vais me poster au coin de la rue en attendant qu’il décanille. C’est comme ça que je l’ai vu passer. Avec son pied bot ! On dirait qu’il a le pied pris dans une boîte à outils ! Il boite, madame Joséphine, il boite ! Il est tout de travers !
—Et alors ? Il a le droit de vivre, non ? Joséphine avait rugi son dégoût.
—Il a le droit d’avoir un pied bot puisque vous avez le droit de l’escroquer.
Christine Barthillet écoutait Joséphine, bouche bée.
—Ben, madame Joséphine… Faut pas vous mettre en colère.
—Vous voulez que je vous dise : vous me dégoûtez ! Si ce n’était pas pour Max, je vous mettrais à la porte ! Vous habitez chez moi, vous ne faites rien, absolument rien, vous passez votre temps à roucouler sur Internet ou à mâcher du chewing-gum devant la télé et vous râlez parce que votre amoureux n’est pas conforme à l’idée que vous vous en faisiez. Vous êtes lamentable… Vous n’avez ni cœur ni dignité.
—Oh ben alors…, grogna Christine Barthillet. Si on peut plus discuter.
—Vous devriez chercher du travail, vous lever le matin, vous habiller, vous occuper de votre fils et me donner un coup de main. Ça ne vous est jamais venu à l’idée, ça ?
—Je croyais que vous aimiez bien vous occuper des gens. Je vous laissais faire…
Joséphine se reprit et, posant les coudes sur la table comme si elle s’installait pour mener des négociations, elle poursuivit :
—Écoutez… Je suis débordée de travail, je n’ai pas que ça à faire. Nous sommes le 10 juin, je veux qu’à la fin du mois vous soyez partie. Avec ou sans Alberto ! Je veux bien, parce que je suis bonne poire, garder Max le temps que vous trouviez une vraie solution mais je ne veux plus jamais, vous m’entendez, plus jamais m’occuper de vous.
—Je crois que j’ai compris…, murmura Christine Barthillet en poussant un soupir d’incomprise.
—Eh bien, c’est tant mieux parce que je n’étais pas prête à vous faire un dessin ! La gentillesse a ses limites et là, franchement, je crois que j’ai atteint les miennes…
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Josiane vit arriver la petite Cortès. Ponctuelle comme chaque matin. Elle entrait dans l’entreprise de sa démarche balancée, une hanche à droite, une hanche à gauche, se déplaçant avec l’élégance et l’allure d’une gravure de mode. Chaque geste était juste mais étudié. Elle disait bonjour à chaque employé, souriait, prenait un air attentif et se souvenait de tous leurs noms. Chaque jour, un détail vestimentaire changeait mais, chaque jour, on ne pouvait qu’admirer ses longues jambes, sa taille fine, ses seins haut placés comme si elle avait appris à mettre chaque partie de son corps en valeur sans qu’on puisse l’accuser de le faire exprès. Pour travailler, elle attachait ses longs cheveux auburn et les lâchait d’un geste théâtral quand la journée était finie, plaçant des mèches derrière ses oreilles pour qu’on remarque l’ovale gracieux de son visage, l’éclat nacré de sa peau et la délicatesse de ses traits. Mais elle travaillait ! On peut pas dire qu’elle vole son pain, celle-là, c’est sûr. Ginette l’avait prise sous son aile et lui avait montré la gestion des stocks. La petite savait se servir d’un ordinateur et elle avait vite compris. Elle avait envie de passer à autre chose et tournait autour de Josiane.
—Qui s’occupe des achats ici ? lui demanda-t-elle avec un grand sourire que démentait l’éclat métallique de son regard.
—Chaval, répondit Josiane en s’éventant.
Il faisait une chaleur étouffante et Marcel n’avait pas encore fait installer de climatiseur dans les bureaux. Ça va me bloquer l’ovulation, cette chaleur !
—Je crois que je vais aller travailler avec lui… Les stocks, j’ai compris, c’est pas passionnant, j’aimerais bien apprendre autre chose.
Et toujours ce sourire artificiel qui me prend pour une bernique ! râla Josiane. Même Ginette et René n’y voient que du feu. Quant aux manutentionnaires, leurs langues raclent le béton de convoitise.
—T’as qu’à lui demander… Je suis sûre qu’il sera enchanté d’avoir une stagiaire comme toi.
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—Parce que moi, ce qui m’intéresse, c’est de connaître les goûts des gens, et de les façonner. On peut vendre pas cher et vendre du beau !
—Parce que c’est moche ce qu’on vend ici ? ne put s’empêcher de demander Josiane, irritée par la condescendance de la gamine.
—Oh mais non, Josiane… j’ai pas dit ça.
—Non, mais tu l’as laissé entendre ! Va voir Chaval… Il te prendra sûrement mais dépêche-toi, il part à la fin du mois. Son bureau est à l’étage du dessus.
Hortense la remercia en lui décochant un nouveau sourire tout aussi fabriqué qui laissa Josiane de glace. Ça va être intéressant le choc entre ces deux-là ! pensa-t-elle. Je me demande qui va manger l’autre.
Elle regarda par la fenêtre pour voir si la voiture de Chaval était dans la cour. Elle y était. Garée comme un mercredi, en plein milieu ! Les autres n’avaient qu’à se débrouiller pour se trouver une place.
Le voyant du téléphone s’alluma et elle décrocha. C’était Henriette Grobz qui cherchait son mari.
—Il n’est pas encore arrivé, répondit Josiane. Il avait un rendez-vous aux Batignolles et devrait être là vers dix heures…
En fait, il faisait son jogging comme tous les matins. Il arrivait trempé de sueur au bureau, prenait une douche chez René, avalait ses vitamines, se changeait et attaquait la journée avec l’énergie d’un jeune homme.
Henriette Grobz grommela qu’il la rappelle dès qu’il serait arrivé. Josiane promit de lui faire la commission. Henriette raccrocha sans dire au revoir ni merci et Josiane eut un pincement au cœur. Elle aurait dû être habituée après toutes ces années mais elle ne s’y faisait pas. Il y a des petites humiliations qui vous marquent plus sûrement qu’une grande baffe dans la gueule et elle, elle me fait des pinçons depuis trop longtemps. Ah ! tout ça va changer bientôt et alors… Alors, rien du tout, se reprit-elle, je m’en fous du Cure-dents, elle aura fait son malheur toute seule.
Pendant qu’Hortense faisait ses armes dans l’entreprise de Chef, Zoé, Alexandre et Max traînaient dans les salles du musée
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d’Orsay. Iris les y avait emmenés, de bon matin, espérant que les chefs-d’œuvre impressionnistes auraient raison de la turbulence des enfants. Elle ne supportait plus le Jardin d’Acclimatation, les queues devant les attractions, les cris, la poussière, les peluches minables qu’il fallait trimbaler parce qu’ils les avaient gagnées et les exhibaient comme des trophées. Il est temps que Jo termine et que je retrouve ma vie d’avant. Je n’en peux plus de ces ados en chaleur ! Alexandre, passe encore, mais les deux autres ! Qu’est-ce qu’ils sont mal élevés ! La petite Zoé, autrefois charmante, est devenue un monstre. Ce doit être l’influence de Max. Après la visite du musée, elle les emmènerait déjeuner au café Marly et les interrogerait sur ce qu’ils avaient vu. Elle leur avait demandé de choisir chacun trois tableaux et d’en parler. Celui qui s’exprimerait le mieux aurait droit à un cadeau. Comme ça, je pourrai, moi aussi, faire un peu de shopping. Ça me détendra. C’est Philippe qui avait eu l’idée du musée. Hier soir, en se couchant, il lui avait dit : « Pourquoi tu ne les emmènes pas à Orsay, j’y suis allé avec Alexandre et il a beaucoup apprécié. » Un peu plus tard, avant d’éteindre, il avait ajouté : « Et ton livre à toi, il avance ?
—À pas de géant.
—Tu me le feras lire ?
—Promis, dès que j’aurai fini.
—Eh bien ! Finis-le vite comme ça j’aurai de la lecture, cet
été. »
Elle avait cru déceler une pointe d’ironie dans la voix de Philippe.
En attendant, ils déambulaient dans les salles du musée d’Orsay. Alexandre regardait les tableaux, avançant, reculant, pour se faire une idée, Max traînait les pieds en raclant la pointe de ses baskets sur le parquet et Zoé hésitait entre imiter son copain ou son cousin.
—Depuis que Max habite chez vous, tu me parles plus, se plaignit Alexandre à Zoé qui était venue se placer à ses côtés alors qu’il regardait une toile de Manet.
—C’est pas vrai… Je t’aime tout pareil.
—Non. T’as changé… J’aime pas ce vert que tu mets sur tes yeux… Je trouve ça vulgaire. Ça te vieillit. C’est consternant !
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—Tu choisis quoi comme toiles ?
—Je sais pas encore…
—Moi, j’aimerais bien gagner. Je sais ce que je demanderai comme cadeau à ta mère !
—Tu demanderas quoi ?
—Tout un attirail pour me faire belle. Comme Hortense.
—Mais t’es belle déjà !
—Non, pas comme Hortense…
—T’as pas de personnalité ! Tu veux tout faire comme Hortense.
—Et toi, t’as pas de personnalité, tu fais tout comme ton père ! Tu crois que j’ai pas remarqué ?
Ils se séparèrent, vexés, et Zoé alla retrouver Max qui était tombé en arrêt devant une femme nue de Renoir.
—La meuf à oilpé ! Savais pas qu’ils avaient des trucs comme ça dans les musées.
Zoé gloussa et le poussa du coude.
—Dis pas ça à ma tante, elle va tourner de l’œil.
—Je m’en fous. J’ai marqué trois tableaux déjà !
—T’as marqué où ?
—Là…
Il lui montra la paume de sa main où il avait noté trois tableaux de Renoir.
—Tu peux pas choisir trois fois le même peintre, tu triches.
—Moi, j’aime bien ses gonzesses à ce mec-là. Elles sont confortables et elles ont l’air gentilles et heureuses de vivre.
Pendant le déjeuner, Iris eut beaucoup de mal à faire parler Max.
—Tu n’as vraiment pas beaucoup de vocabulaire, mon chéri, ne put-elle s’empêcher de dire. Ce n’est pas de ta faute, note, c’est une histoire d’éducation !
—Ouais… mais je sais des choses que vous savez pas, moi ! Des choses où on n’a pas besoin de vocabulaire. Ça sert à quoi le vocabulaire ?
—Ça sert à t’aider dans ta pensée. À mettre des mots sur des émotions, des sensations… Tu clarifies ta tête en sachant mettre le bon mot sur la bonne chose. Et en te clarifiant la tête, tu te
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fais une personnalité, tu apprends à penser, tu deviens quelqu’un.
—Mais j’ai pas peur, moi ! On me respecte, moi ! On me marche pas sur les pieds, moi !
—Ce n’est pas ce que je voulais dire…, commença Iris qui décida d’abandonner la conversation.
Il y avait un fossé entre ce garçon et elle et elle n’était pas sûre de vouloir le combler. Pour ne pas faire de jaloux, elle décida d’accorder aux trois gamins le choix d’un cadeau et ils partirent dans le Marais regarder les boutiques. Vivement que cette corvée finisse, que Jo termine le livre, que je le porte à Serrurier et qu’on se retrouve, en famille, à Deauville. On attendra ensemble qu’il l’ait lu et qu’il donne son avis. Là-bas, il y aura Carmen ou Babette et je n’aurai pas à supporter l’humeur de ces gamins tous les jours. Elle avait réussi à convaincre Joséphine de passer le mois de juillet avec eux. « S’il y a des modifications à faire, tu seras sur place, ce sera plus pratique. » Joséphine avait accepté, de mauvaise grâce. « Tu n’aimes pas notre maison ?
—Si, si, avait répondu Joséphine, c’est juste que j’aimerais bien ne pas passer toutes mes vacances avec vous. J’ai l’impression d’être une enfant attardée. »
En déambulant dans les rues du Marais, Zoé, prise de remords, se rapprocha à nouveau d’Alexandre et glissa sa main dans la sienne.
—Qu’est-ce que tu veux ? bougonna Alexandre.
—Je vais te dire un secret…
—Je m’en fiche, de tes secrets !
—Non mais celui-là, c’est un énorme secret.
Alexandre faiblit. Il était triste de devoir partager sa cousine avec ce Max Barthillet qu’on lui imposait à chaque sortie. Je peux pas le saquer, celui-là, en plus il fait comme si j’existais pas ! Tout ça parce qu’il vit en banlieue et moi, à Paris. Il me prend pour un petit bourge et il me méprise. C’était bien mieux quand j’avais Zoé pour moi tout seul.
—C’est quoi ton secret ?
—Ah, tu vois que ça t’intéresse ! Mais tu le dis à personne, promis, juré ?
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