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Добавлен: 05.08.2024
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—D’accord…
—Alors voilà… Gary, le fils de Shirley, c’est un « royal ».
Zoé raconta tout : la soirée devant la télé, les photos sur Internet, William, Harry, Diana, le prince Charles. Alexandre haussa les épaules en disant que c’était du bidon.
—Pas du bidon, du vrai, Alex, je te jure ! D’ailleurs, rien que pour te prouver que c’est la vérité : Hortense y croit. Elle est devenue toute gentille avec Gary maintenant. Elle lui parle plus de haut, elle le considère… Avant, elle le photographiait même pas !
—Tu parles aussi mal que lui, maintenant…
—C’est pas beau d’être jaloux.
—C’est pas beau de raconter des mensonges.
—Mais c’est pas des mensonges, hurla Zoé, c’est la vérité… Elle alla chercher Max et lui demanda de témoigner. Max
assura à Alexandre que tout était vrai.
—Mais lui, Gary, qu’est-ce qu’il dit ? demanda Alexandre.
—Il dit rien… Il dit qu’on s’est trompés. Il dit comme sa mère, qu’il a un sosie, mais nous, on y croit pas au coup du sosie, hein, Max ?
Max opina, sérieux.
—Et toi, tu crois que c’est vrai ? demanda Alexandre à Max.
—Ben oui… puisque je les ai vus. À la télé et sur Internet. J’ai peut-être pas de vocabulaire mais j’ai des yeux !
Alexandre sourit.
—Elle t’a vexé, ma mère ?
—Ben oui, grave… C’est pas parce qu’elle pète dans le blé qu’il faut tacler ceux qui n’en ont pas !
—Ça, c’est sûr. C’est pas de ta faute.
—C’est pas la faute de ma mère, non plus. Elle me gave avec ses discours de bourgeoise ! Bouffonne !
—Hé ! T’arrêtes, parce que c’est ma mère…
—Oh ! Vous allez pas vous disputer… Allez, faites la paix ! Alexandre et Max se donnèrent une bourrade. Ils
marchèrent un moment tous les trois. Iris les héla en leur demandant de l’attendre, elle avait vu un chemisier en vitrine. Ils s’arrêtèrent et Max demanda à Alexandre :
—T’as quoi comme portable, toi ?
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Alexandre sortit son portable et Max poussa un cri.
—Le même que moi, mec ! Le même ! Et comme sonnerie ?
—J’en ai plusieurs. Ça dépend qui m’appelle…
—Tu me les fais écouter ? On pourrait s’en échanger…
Les deux garçons se mirent à faire sonner leurs portables, laissant Zoé de côté.
— Moi, je sais ce que je veux, marmonna Zoé. Je veux un portable. J’irai au marché aux voleurs à Colombes et j’en volerai un !
Joséphine se réveilla la première et descendit préparer son petit-déjeuner. Elle appréciait ces matins où elle était seule dans la grande cuisine dont la baie vitrée donnait sur la plage. Elle glissait les tartines dans le toasteur, faisait chauffer l’eau du thé, sortait le beurre salé et les confitures. Parfois elle se faisait cuire un œuf sur le plat avec une saucisse ou du bacon. Elle déjeunait en regardant la mer.
Ses personnages lui manquaient. Florine, Guillaume, Thibaut, Baudouin, Guibert, Tancrède, Isabeau et les autres. J’ai été injuste avec ce pauvre Baudouin. À peine était-il entré en scène que je l’ai exécuté. Tout ça parce que j’étais en colère contre Shirley. Guibert la faisait frissonner. Elle était comme Florine : subjuguée. Parfois, la nuit, elle rêvait qu’il venait l’embrasser, elle sentait son odeur, ses lèvres chaudes et douces sur les siennes, elle répondait à son baiser et il posait un poignard sur sa gorge. Elle se réveillait en frissonnant. Les hommes étaient si violents à l’époque ! Elle se souvenait d’une scène qu’elle avait lue dans un manuscrit ancien. Un mari qui assiste à l’accouchement de sa femme. « Plus de cent kilos de chair, de sang et d’irascibilité. Dans une main un long et gros tisonnier, dans l’autre une cafetière énorme plein de liquide bouillant. Le bébé était un garçon et le père se décrispa, il se mit à pleurer, à prier et à rire. » Les femmes n’étaient bonnes qu’à enfanter. Isabeau chante une comptine qui en dit long : « Ma mère prétend qu’elle m’a donnée à un homme de cœur. Quel cœur est-ce donc là ? Il m’enfonce son dard dans le ventre et me bat comme sa mule. » Elle avait rendu son manuscrit à Iris qui
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l’avait porté à Serrurier. Chaque fois que le téléphone sonnait, les deux sœurs sursautaient.
Ce matin-là, Philippe la rejoignit dans la cuisine. Lui aussi se levait tôt. Il allait acheter le journal et les croissants, prenait un premier café dehors et revenait finir son petit-déjeuner à la maison. Il ne venait que le week-end. Arrivait le vendredi soir et repartait le dimanche. Il prenait ses vacances au mois d’août. Il emmenait les enfants à la pêche. Sauf Hortense qui préférait rester sur la plage avec ses amis. Il faudrait que je fasse leur connaissance, pensa Jo. Elle n’osait pas lui demander de les lui présenter. Hortense sortait souvent le soir. Elle disait : « Oh ! maman ! je suis en vacances, j’ai travaillé toute l’année, je ne suis plus un bébé, je peux sortir… – Mais tu fais comme Cendrillon, tu rentres à minuit », avait décrété Joséphine, sur un ton de plaisanterie qui cachait mal son anxiété. Elle craignait qu’Hortense ne se rebiffe. Hortense avait acquiescé. Joséphine, soulagée, n’avait plus abordé le sujet et Hortense rentrait, ponctuelle, à minuit. Après le dîner, on entendait un coup de klaxon bref, Hortense finissait d’avaler son dessert et quittait la table. Les premières fois, Joséphine avait veillé jusqu’à minuit, guettant le bruit des pas de sa fille dans l’escalier. Puis, rassurée par l’exactitude d’Hortense, elle céda au sommeil. C’était le seul moyen d’avoir la paix ! Je n’ai pas le courage de l’affronter tous les soirs. Si son père était là, on se répartirait les rôles, mais toute seule, je ne me sens pas de taille à livrer bataille et elle le sait.
Au mois d’août, les filles partaient retrouver leur père au Kenya et ce serait à Antoine de faire le gendarme. Pour le moment, Joséphine désirait plus que tout ne pas s’épuiser en interminables disputes avec sa fille.
—Tu veux un croissant chaud ? demanda Philippe en posant les journaux et le sachet de la boulangerie sur la table.
—Oui. Avec plaisir…
—Tu pensais à quoi quand je suis rentré ?
—À Hortense et à ses sorties nocturnes…
—Elle est dure ta fille. Elle aurait besoin d’un père à poigne de fer…
Joséphine soupira.
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—C’est vrai… En même temps, elle est si dure que je ne me fais pas de souci pour elle. Je ne crois pas qu’elle se laissera embarquer dans de sales histoires. Elle sait exactement ce qu’elle veut.
—Tu étais comme elle à son âge ?
Joséphine manqua de s’étouffer en avalant son thé.
—Tu plaisantes, j’espère ? Tu vois comme je suis aujourd’hui ? Eh bien, j’étais la même, en encore plus gourde.
Elle s’arrêta, regrettant d’avoir dit ces mots ; elle avait l’impression de quémander de la pitié.
—Tu as manqué de quoi, enfant ?
Elle réfléchit un instant et lui fut reconnaissante de lui poser cette question. Elle ne se l’était jamais posée et pourtant, depuis qu’elle écrivait, il y avait des morceaux de son enfance qui revenaient et lui mettaient les larmes aux yeux. Comme cette scène dans les bras de son père criant à sa mère « tu es une criminelle ! ». Une fin de journée avec un ciel lourd, des nuages noirs et le bruit fracassant des vagues. Je deviens d’une sensibilité un peu niaise, il faut que je me reprenne. Elle essaya de faire un constat sans sensiblerie.
—Je n’ai manqué de rien. J’ai reçu une bonne éducation, j’avais un toit sur la tête, un père et une mère, un équilibre certain. J’ai même perçu plusieurs fois l’amour de mon père pour moi. Mais j’ai manqué de… C’était comme si je n’existais pas. On ne me considérait pas. On ne m’écoutait pas, on ne me disait pas que j’étais jolie, intelligente, drôle. Ça ne se faisait pas, à l’époque.
—Mais on le disait à Iris…
—Iris était tellement plus belle que moi. Je me suis vite effacée derrière elle. Maman la citait toujours en exemple. Je sentais bien qu’elle était fière d’elle et pas de moi…
—Et ça dure encore, n’est-ce pas ?
Elle rougit, mordit dans son croissant, attendit qu’il ait fondu dans sa bouche.
—On n’a pas suivi le même chemin. Mais c’est vrai qu’elle est plus…
—Mais aujourd’hui, Jo ? l’interrompit Philippe. Aujourd’hui…
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—Mes filles me donnent un sens, un but dans la vie mais elles ne me font pas exister, c’est vrai. Écrire me donne un début d’existence. Quand je suis en train d’écrire, parce que quand je me relis… non ! Je pourrais tout jeter !
—Écrire pour ton dossier d’habilitation à diriger des recherches ?
—Oui…, balbutia-t-elle, comprenant qu’elle venait, une nouvelle fois, de faire une gaffe. Tu sais, je suis de ces êtres qui se développent lentement. Je me demande si je ne vais pas m’éveiller trop tard, si je ne vais pas laisser passer ma chance et, en même temps, je ne sais pas ce que peut être cette chance que j’appelle de toutes mes forces…
Philippe éprouva le désir de la rassurer, de lui dire qu’elle prenait les choses trop à cœur, qu’elle se faisait des reproches sans raison. Son attitude rigide, ses yeux fixes exprimaient quelque chose de trop intense et il ajouta comme s’il lisait dans ses pensées :
—Ainsi, tu crois que tu as laissé passer ta chance ? Que ta vie est finie…
Elle le regarda avec beaucoup de sérieux puis sourit pour s’excuser d’avoir été si sérieuse.
—En un sens, oui… Mais, tu sais, ce ne sera pas grave. Ce ne sera pas un renoncement déchirant, juste un tout petit glissement vers le plus rien du tout. Le désir de vie s’effrite et, un jour, on s’aperçoit qu’il se réduit à presque rien. Tu ne connais pas ça, toi. Tu as toujours pris ta vie en main. Tu n’as jamais laissé personne te dicter sa loi.
—Personne n’est vraiment libre, Joséphine. Et moi, pas plus qu’un autre ! Et peut-être, en un sens, es-tu plus libre que moi… Mais tu l’ignores, c’est tout. Un jour, tu pourras toucher du doigt ta liberté et, ce jour-là, tu auras de la pitié pour moi…
—Comme tu en as pour moi en ce moment…
Il sourit et ne voulut pas mentir.
— C’est vrai… j’ai éprouvé de la pitié pour toi, et même de l’agacement parfois ! Mais tu as changé. Tu es en train de changer. Tu t’en apercevras quand la métamorphose aura eu lieu. On est toujours les derniers à réaliser le chemin parcouru.
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Mais je suis sûr qu’un jour, tu auras le genre de vie qui te plaît et, cette vie-là, tu te la seras faite toute seule !
— Tu le crois vraiment ?
Elle eut un sourire bref et triste.
— Tu es ta plus terrible ennemie, Jo.
Philippe prit le journal, sa tasse de café et demanda :
—Ça ne t’ennuie pas si je vais lire sur la terrasse ?
—Pas du tout. Je vais pouvoir reprendre ma rêverie. Sans Sherlock Holmes à mes côtés !
Il ouvrit le Herald Tribune en pensant à la veille. C’est si facile de parler avec Jo. De parler vraiment. Avec Iris, je suis fermé comme une huître. Elle lui avait proposé d’aller boire un verre au bar du Royal. Il n’avait pas voulu la contrarier et avait dit oui. En fait, il n’avait qu’une envie : retrouver Alexandre. Il avait fini par écrire sa lettre. La joie d’Alexandre quand il l’avait reçue ! C’est Babette qui lui avait raconté. Fallait le voir ! Il avait l’œil en lampion et la binette écarlate. Il s’est précipité dans la cuisine et m’a annoncé j’ai reçu une lettre de mon papa ! Une lettre où il dit qu’il m’aime et qu’il va me consacrer tout son temps ! Tu te rends compte, Babette ! C’est pas génial, ça ? Il agitait sa lettre dans l’air et m’a donné le tournis. Depuis, Philippe avait tenu parole. Il avait promis à Alexandre de le faire conduire et tous les samedis et dimanches matin, il l’emmenait sur des petites routes, l’asseyait sur ses genoux et lui apprenait à tenir le volant.
Iris avait commandé deux coupes de champagne. Une jeune femme en robe longue jouait de la harpe de ses longs doigts effilés.
—Qu’as-tu fait cette semaine à Paris ?
—J’ai bossé…
—Raconte-moi.
—Oh ! Iris, ce n’est pas intéressant et puis, quand je suis ici, je n’ai pas envie de parler de mes affaires.
Ils s’étaient installés au bord de la terrasse. Philippe observait un oiseau : il essayait de transporter un morceau de pain de mie qui avait dû tomber de l’assiette que le serveur avait déposée en apportant les coupes de champagne.
—Comment va le beau maître Bleuet ?
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— Toujours aussi efficace.
Et de plus en plus imbu de lui-même ! L’autre jour, dans l’avion qui l’emmenait à New York en première classe, mécontent de la cuisson de son steak, il avait rédigé un message de récrimination qu’il avait placé dans l’enveloppe Air France, prévue pour les commentaires sur le voyage. Avant de refermer l’enveloppe, il avait joint sa carte de visite et… le steak ! Air France lui avait doublé ses miles.
— Ça t’ennuie si j’enlève ma veste et desserre ma cravate ? Elle lui avait souri et lui avait donné une petite caresse de la
main sur la joue. Une caresse qui dénotait une certaine habitude conjugale. De l’affection, de la tendresse certes, mais aussi une manière de le ravaler au rang d’enfant impatient. Il ne supportait pas qu’elle le traite en enfant. Oui, je sais, pensa-t-il, tu es belle, tu es magnifique, tu as les yeux les plus profondément bleus du monde, des yeux à exemplaire unique, un port de sultane anorexique, ta beauté n’est altérée par aucun souci, tu règnes, souveraine et sereine, sur mon amour et vérifies d’une petite tape de la main sur ma joue que je suis toujours ton obligé. Tout cela, autrefois, m’a ému, envoûté, je prenais ta condescendance affectueuse pour un gage d’amour mais, vois-tu, Iris, je m’ennuie maintenant avec toi, je m’ennuie parce que toute cette beauté repose sur des mensonges. Je t’ai connue à cause d’un mensonge et tu n’as cessé de me mentir depuis. J’ai cru, au début, que j’allais te changer mais tu ne changeras jamais car tu es satisfaite de ce que tu es.
Il eut un petit sourire en se mordant la lèvre et Iris se méprit.
—Tu ne me dis jamais rien…
—Que veux-tu que je te dise ? demanda-t-il en suivant le déhanchement de l’oiseau qui s’était emparé du morceau de pain et essayait de le placer dans son bec.
Iris lança un noyau d’olive sur l’oiseau qui tenta de s’envoler, tout en emportant son butin. Ses efforts pour décoller étaient risibles.
—Tu es méchante ! C’est peut-être le dîner de toute sa famille.
—C’est toi qui es méchant ! Tu ne me parles plus.
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Elle se renfrogna, fit l’enfant, bouda mais il se détourna et ses yeux revinrent sur l’oiseau qui, constatant qu’il n’était plus assailli, avait déposé son fardeau et tâchait de le couper en deux en donnant des petits coups de bec. Philippe sourit, se détendit et étira les bras en poussant un soupir de soulagement.
— Ah ! Enfin loin de Paris !
Il l’observa du coin de l’œil : elle boudait toujours. Il connaissait cette attitude qui criait occupe-toi de moi, regardemoi, je suis le centre de la Terre. Elle n’est plus le centre de la Terre. Je me suis lassé. Je me lasse de tout : de mes affaires, de mes collaborateurs, du mariage. Maître Bleuet m’a apporté une affaire formidable et je l’ai à peine écouté. Je n’aime plus le couple que nous formons. Ces derniers mois ont été particulièrement creux et vides. Est-ce moi qui ai changé ou bien est-ce elle ? Est-ce moi qui ne me contente plus des restes qu’elle veut bien m’accorder ? En tous les cas, force est de constater qu’il ne se passe plus rien. Et pourtant, ça dure. Nous passons l’été ensemble, en famille. Serons-nous encore ensemble l’été prochain ? Ou aurai-je tourné la page ? Je n’ai rien à lui reprocher, pourtant. Beaucoup d’hommes doivent m’envier. Certains mariages sécrètent un ennui si doux qu’il en devient anesthésiant. On reste parce qu’on n’a pas la force ni l’énergie de partir. Il y a quelques mois, je ne sais pas pourquoi, je me suis réveillé. À cause de ma rencontre avec John Goodfellow ? Ou l’ai-je rencontré parce que justement je m’étais réveillé ?
L’oiseau avait réussi à scinder son repas en deux et s’envola si vite que bientôt il disparut dans le bleu du ciel. Philippe regarda la moitié laissée à terre : il reviendra, il reviendra, on revient toujours vers son butin.
—Papa ! Papa ! Tu me feras conduire aujourd’hui ? hurla Alexandre en apercevant son père sur la terrasse.
—Promis, mon fils ! On y va quand tu veux…
—Et on emmène Zoé ! Elle veut pas croire que je sais conduire…
—Demande à Jo si elle est d’accord.
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Alexandre retourna dans la cuisine et demanda l’autorisation à Joséphine qui la donna avec joie. Depuis qu’elle n’était plus en permanence avec Max, Zoé était redevenue la petite fille d’avant. Elle était retombée dans son âge, ne parlait plus de maquillage ni de garçons. Elle avait repris ses anciennes habitudes avec Alexandre ; ils avaient mis au point un langage secret qui n’était secret que pour eux. The dog is barking signifiait attention danger, the dog is sleeping, tout va bien, the dog is running away, et si on allait se promener ? Les parents faisaient semblant de ne pas comprendre et les enfants prenaient un air mystérieux.
Joséphine avait reçu une carte postale de madame Barthillet. Alberto lui avait trouvé un meublé rue des Martyrs, non loin de son entreprise. Elle lui donnait sa nouvelle adresse. « Tout va bien. Il fait beau. Max passe l’été chez son père qui fait du fromage de chèvre dans le Massif central avec sa copine. Il aime beaucoup travailler avec les bêtes et son père parle de le garder ce qui m’arrangerait bien. Je vous souhaite le meilleur, Christine Barthillet. »
—On est quel jour aujourd’hui ? demanda Joséphine à Babette qui entrait dans la cuisine.
—Le 11 juillet… C’est pas encore le jour de faire péter les pétards !
«Il est un peu tôt pour faire péter les pétards. » Dans deux jours, ce serait l’anniversaire de la mort de son père. Elle n’oubliait jamais cette date.
—Qu’est-ce qu’on fait pour le déjeuner ? Vous avez une idée ? demanda Babette.
—Aucune… Vous voulez que j’aille au marché ?
—Non. Je vais y aller, je suis habituée… C’était juste pour savoir s’il y avait un truc qui vous ferait plaisir.
Carmen prenait ses vacances en juillet. À Paris. Elle s’occupait de sa vieille mère, une duègne irascible qui souffrait d’emphysème mais avait toute sa tête. Elle avait réduit sa fille en esclavage, l’avait empêchée de faire sa vie. Joséphine était plus à l’aise avec Babette. Carmen l’intimidait. Ses manières de gouvernante stylée la paralysaient. Elle avait toujours
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l’impression d’avoir le dos rond ou un doigt dans le nez, en sa présence.
—Vous êtes gentille, Babette… Comment va votre fille ?
—Marilyn ? Ça va. Elle finit un diplôme pour être secrétaire de direction. Elle a du plomb dans la cervelle, elle. C’est pas comme moi !
—Vous êtes fière d’elle…
—J’en reviens pas d’avoir une gosse intelligente ! Et gentille ! J’ai tiré le bon numéro. On sait jamais avant de les avoir, hein ?
Elle avait ouvert le frigidaire et faisait le point sur ce qu’il manquait. Elle revint s’asseoir pour faire une liste des courses, chercha un crayon, tâtonna parmi les objets posés sur la table, se souvint soudain qu’elle en avait un pour tenir ses cheveux et le prit en éclatant de rire.
—Ce que je peux être gourde ! J’oublie tout. Tiens, ça me fait penser : j’ai trouvé ça dans la poche de jean de votre fille. Il a failli passer à la machine !
Elle exhibait un téléphone portable qu’elle déposa sur la table.
—Y devraient pas appeler ça des portables mais des perdables. J’en ai déjà balancé deux à la flotte en faisant les chiottes.
—Vous devez vous tromper, Babette, mes filles n’ont pas de portable.
—Sans vouloir vous contredire, il appartient bien à Hortense, celui-là. Il était dans la poche de son jean.
Joséphine considéra le téléphone, étonnée.
—Faites-moi plaisir, Babette, ne dites rien. On va voir comment elle réagit.
Elle prit le téléphone et l’empocha. Babette la regarda avec un sourire complice.
—Vous savez pas d’où il vient, c’est ça ?
—Oui. Et comme je n’ai pas envie d’ouvrir le feu la première, je vais attendre qu’elle se démasque…
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