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Добавлен: 05.08.2024

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On n’entendait plus que ça : les mâchoires des ciseaux dans la masse soyeuse des cheveux. Cela faisait un grincement régulier, terrifiant. Pas une voix ne s’éleva pour protester. Pas un cri. Mais une stupeur générale qui filtrait des lèvres closes des spectateurs en un sourd murmure.

L’animateur taillait maintenant franchement dans la masse comme un jardinier armé d’un sécateur égalise une haie. Le cliquetis des ciseaux s’était fait plus doux, moins brutal. Les lames argentées dansaient au-dessus de la tête d’Iris en un ballet métallique. Des touffes de cheveux persistaient et l’homme s’acharnait avec une régularité d’ouvrier zélé. L’Audimat allait exploser. Il allait passer à tous les zappings de la semaine. On n’allait parler que de son émission. Il imaginait les titres, les commentaires, la jalousie de ses confrères.

Il laissa enfin tomber les lourds ciseaux et proclama, triomphant :

Mesdames, messieurs, Iris Dupin vient de prouver que fiction et réalité ne font qu’un, car…

Il s’arrêta devant la salve d’applaudissements qui montait vers lui, libérant l’angoisse de tous ceux qui avaient assisté, médusés, à la scène.

Car, dans son livre, Iris Dupin met en scène une jeune femme, Florine qui, pour échapper au mariage, se rase la tête ! C’est aux éditions Serrurier, le livre s’appelle Une si humble reine et c’est l’histoire de… Je fais le pitch ou vous le faites ?

Iris s’inclina en disant :

Vous le ferez très bien, vous avez si bien compris mon héroïne…

Elle passa la main dans ses cheveux et sourit. Lumineuse et sereine. Que lui importaient quelques centimètres de cheveux en moins ! Demain le livre s’arracherait, demain tous les libraires de France allaient supplier l’éditeur de leur livrer en priorité des milliers et des milliers d’Une si humble reine, il faudra juste que je souligne que ce n’est pas l’histoire d’une reine de France mais d’une reine de cœur. L’éditeur lui avait bien recommandé, surtout, de ne pas oublier ce détail. Qu’ils ne s’imaginent pas que c’est un simple récit historique, dites-leur bien que c’est à l’image d’une tapisserie, plusieurs fils de

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plusieurs histoires qui rejoignent la grande Histoire et nous entraînent au XIIe siècle, au temps obscur des châteaux forts, et là, vous rajoutez du détail, des expressions, un peu de chair, de l’émotion… Vous rosissez, vous avez une larme à l’œil, vous parlez de Dieu, très bon de parler de Dieu en ce moment, du Dieu de nos aïeux, de la bonne terre de France, de la loi de Dieu, de la loi des hommes, enfin, je vous fais confiance, vous serez magistrale ! Il n’avait pas prévu qu’elle se ferait faire une coupe en direct. Iris savourait son triomphe, la mine humble, les yeux baissés, concentrée sur l’histoire que dévidait l’animateur.

Puisque c’est un cirque, puisque je suis dans l’arène, autant être la reine du cirque, pensa-t-elle encore en écoutant distraitement l’animateur. Un dernier rappel du titre du livre, du nom de l’éditeur, une dernière fois son nom ovationné par l’assemblée qui se dressa comme les Romains aux jeux du Colisée. Iris s’inclina pour remercier et, la mine grave, la démarche légère, descendit de la chaise où elle était perchée et regagna les coulisses de l’émission.

L’attachée de presse, au téléphone, leva le pouce, rayonnante. Gagné !

— C’est gagné, ma chérie ! Tu as été magnifique, héroïque, divine ! ajouta-t-elle en plaquant la main sur son portable, ils appellent tous, les journaux, les radios, les autres télés, ils te veulent, ils délirent, c’est gagné !

Dans le salon de Shirley, groupés autour de la télévision, Joséphine, Hortense, Zoé et Gary regardaient l’émission.

Tu es bien sûre que c’est Iris ? demanda Zoé d’une petite voix inquiète.

Ben oui…

Pourquoi elle a fait ça ?

Pour vendre, répliqua Hortense. Et elle va vendre ! On ne va parler que d’elle ! Quel beau coup ! Tu crois que c’était prémédité ? Qu’ils avaient tout organisé avec le journaliste ? demanda-t-elle à Shirley.

Je la crois capable de tout, ta tante. Mais là… je dois avouer qu’elle me dégringole !

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She knocks me down too ! balbutia Gary. C’est la première fois que je vois ça à la télé. Je veux dire pas dans un film parce que le coup de Jeanne d’Arc, je l’ai déjà vu mais bon, c’était une actrice et elle avait une perruque.

Tu veux dire qu’elle a plus de cheveux pour de bon ? s’écria Zoé, au bord des larmes.

À mon avis, non !

Zoé regarda sa mère qui n’avait rien dit.

Mais c’est horrible, maman, c’est horrible. J’écrirai jamais de livre, moi, et j’irai jamais à la télé !

Tu as raison, c’est horrible…, parvint à dire Joséphine avant de se précipiter dans les toilettes de Shirley pour vomir.

Fin du film et suite au prochain numéro ! lança Shirley en éteignant la télé. Car, à mon avis, ça ne fait que commencer.

Ils entendirent la chasse d’eau se déclencher dans les toilettes et Joséphine revint, livide, en s’essuyant la bouche du revers de la main.

Pourquoi elle est malade, maman ? chuchota Zoé à Shirley.

C’est de voir ta tante se conduire comme ça ! Allez, vous mettez la table et je sors mon poulet de grain qui doit être en train de rissoler au four. Encore heureux qu’elle soit passée la première sinon il aurait été carbonisé.

Gary se leva le premier et ce fut un mètre quatre-vingt-douze qui se déplia d’un seul coup. Joséphine n’arrivait pas à s’habituer. Elle ne l’avait pas reconnu quand il était revenu en septembre. Elle l’avait aperçu de dos dans le hall de l’immeuble et avait pensé que c’était un nouveau locataire. Il avait encore grandi et dépassait sa mère d’une tête et demie. Il avait forci aussi. Ses épaules semblaient à l’étroit dans sa chemise à carreaux ouverte sur un tee-shirt noir où on pouvait lire « Fuck Bush ». Il n’avait plus rien de l’adolescent qu’elle avait quitté début juillet. Ses cheveux noirs mi-longs encadraient son visage et soulignaient le vert de ses yeux, ses dents blanches et bien alignées. Une barbe légère marquait son menton. Sa voix avait mué. Presque dix-sept ans ! Il était devenu un homme mais conservait encore, par moments, la grâce maladroite de l’adolescent qui surgissait dans un sourire, une manière

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d’enfoncer les mains dans ses poches ou de se dandiner d’un pied sur l’autre. Encore quelques mois, et il passera définitivement du côté des adultes, avait-elle pensé en le regardant évoluer. Il a une classe naturelle, se déplace avec élégance, il est, peut-être, vraiment « royal », après tout !

— Je ne sais pas si je vais pouvoir avaler quoi que ce soit, dit Joséphine, en se mettant à table.

Shirley se pencha à l’oreille de Jo et chuchota « reprends-toi, ils vont se demander pourquoi tu te mets dans cet état ! ».

Shirley avait parlé à Gary du secret de Joséphine. « Mais tu le dis à personne ! – Promis juré ! » avait-il répondu. Elle pouvait lui faire confiance : il savait tenir un secret.

Ils avaient passé un été magnifique, ensemble. Deux semaines à Londres et quatre semaines en Écosse, dans un manoir qu’un ami leur avait prêté. Ils avaient chassé, pêché, fait de grandes balades dans les collines vertes. Gary passait toutes ses soirées avec Emma, une jeune fille qui travaillait dans la journée au pub du village. Un soir, il était rentré et avait dit à sa mère « I did it » avec un sourire de fauve rassasié. Ils avaient trinqué à la nouvelle vie de Gary. « La première fois, avait dit Shirley, ce n’est jamais terrible mais après, tu vas voir, ça va devenir de mieux en mieux ! – C’était pas mal ! Depuis le temps que j’en mourais d’envie ! Tu sais, c’est drôle mais j’ai l’impression que je suis à égalité avec mon père maintenant. » Il avait failli ajouter : Parle-moi de lui, mais elle avait vu la question mourir sur ses lèvres. Tous les soirs il partait retrouver Emma qui habitait une petite chambre au-dessus de la taverne. Shirley allumait un feu dans la grande salle des armures et, recroquevillée sur le canapé placé face au feu, elle prenait un livre. Parfois, elle rejoignait l’homme. Il était venu passer deux ou trois week-ends avec elle. Ils se retrouvaient dans l’aile ouest du château, quand il faisait nuit. Il n’avait jamais croisé Gary.

Elle regarda Gary qui finissait de mettre la table. Elle surprit un regard d’Hortense sur lui et jubila. Ah ! il ne va plus être le jeune chien haletant qu’il était autrefois. Well done, my son !

Quelque chose a changé en Gary, se disait Hortense. Bien sûr, il a grandi, s’est développé, mais il y a autre chose. Comme s’il avait gagné une autonomie nouvelle. Comme s’il n’était plus

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à sa merci. Je n’aime pas que mes soupirants m’ignorent, pensa- t-elle en tripotant son portable enfoncé dans la poche de son jean.

Elle aussi elle a changé, pensa Shirley en la regardant. Elle était jolie, elle est devenue dangereuse. Elle diffuse une sensualité trouble. Il n’y a que Jo pour ne pas s’en apercevoir et la traiter encore en petite fille. Elle arrosa le poulet avec le jus du plat, constata qu’il était bien cuit, bien doré, et le déposa sur la table. Elle demanda qui voulait du blanc, qui voulait les cuisses. Les filles et Gary levèrent la main en réclamant du blanc.

On se garde les cuisses pour nous ? dit Shirley à Jo qui considérait le poulet d’un air dégoûté.

Je te donne ma part, dit Jo, repoussant son assiette.

Maman, il faut que tu manges…, ordonna Zoé. Tu as beaucoup trop maigri, c’est pas joli, tu sais, tu n’as plus tes fossettes.

T’as fait le régime de madame Barthillet ? demanda Shirley en servant les morceaux de blanc.

J’ai travaillé en août et j’ai pas beaucoup mangé. Il a fait si chaud…

Et j’ai passé mon temps à guetter Luca à la bibliothèque, à me consumer d’attente, je ne pouvais plus rien avaler.

Il est pas sorti un peu vite, ce livre ? demanda Shirley.

L’éditeur a préféré tenter le coup pour la rentrée.

C’est qu’il devait être bien sûr de lui.

Ou d’elle ! Et la preuve : il a eu raison…, grommela Jo.

Tu as des nouvelles des Barthillet ? demanda Shirley, soucieuse de changer de sujet de conversation.

Aucune et je m’en porte très bien.

Max n’est pas revenu au collège, soupira Zoé.

C’est très bien. Il avait une très mauvaise influence sur toi.

C’est pas un mauvais type, Jo, intervint Gary. Il est juste paumé… Faut dire qu’avec les parents qu’il se trimbale, il est pas gâté ! Maintenant, il s’occupe des brebis de son père. Il doit pas se marrer tous les jours. J’ai un pote qui le connaît bien et qui a eu des nouvelles. Il a arrêté l’école et s’est reconverti dans le fromage ! Good luck !

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Au moins, il bosse, dit Hortense. Ça devient rare aujourd’hui. Je me suis inscrite à l’option théâtre, moi ! Ça va m’aider pour me poser dans la vie…

Comme si tu manquais d’assurance, pouffa Shirley. Moi, j’aurais plutôt pris des cours d’humilité.

Très drôle, Shirley ! Tu me fais tordre de rire.

Je te taquine, chérie…

D’ailleurs, maman, il faudrait que je m’abonne à quelques journaux, que je sois au courant des dernières tendances. Hier, avec un ami, nous sommes allés chez Colette et c’était trop bien !

Pas de problème, ma chérie. Je t’abonnerai… C’est quoi,

«Colette » ?

Un magasin hyper-branché ! J’ai vu une petite veste Prada trop mignonne. Un peu chère mais très belle… Évidemment, ici, je me ferais un peu remarquer mais quand nous habiterons Paris, ce sera parfait.

Shirley lâcha son os de poulet et se tourna vers Jo.

Vous allez déménager ?

Hortense en a très envie et…

Moi je veux pas aller à Paris, grogna Zoé, mais moi on me demande pas mon avis !

Tu partirais d’ici ? demanda Shirley.

Ce n’est pas fait, Shirley. Faudrait que je gagne beaucoup d’argent…

Ça risque d’arriver plus vite que tu ne crois, dit Shirley en jetant un coup d’œil à la télévision éteinte.

Shirley ! protesta Joséphine pour la faire taire.

Excuse-moi… C’est l’émotion. Tu es toute ma famille… Vous êtes toute ma famille. Si vous déménagez, je vous suis.

Zoé battit des mains.

Ça serait super ! On prendrait un grand appartement…

On n’en est pas là, conclut Joséphine. Mangez, les filles, ça va être froid.

Ils savourèrent le poulet en silence. Shirley fit remarquer que c’était bon signe : il était à leur goût. Elle se lança dans une longue explication sur l’achat d’un bon poulet élevé au grain, à quel label il fallait se fier, ce qu’il signifiait, la taille des cages, la

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qualité de l’alimentation, et fut interrompue par une sonnerie de portable.

Comme personne ne faisait mine de répondre, Joséphine demanda :

C’est le tien, Gary ?

Non, je l’ai laissé dans ma chambre.

C’est le tien, Shirley ?

Non, c’est pas ma sonnerie…

Joséphine se tourna alors vers Hortense qui finit de manger ce qu’elle avait dans la bouche, s’essuya la bouche d’un coin de serviette et répondit d’un ton égal :

C’est le mien, maman.

Et depuis quand tu as un portable ?

C’est un ami qui m’a prêté le sien. Il en a deux…

Un ami qui paie tes communications ?

Ses parents. Ils sont blindés.

C’est hors de question. Tu vas le lui rendre et je t’en achèterai un…

À moi aussi ? implora Zoé.

Non. Toi, tu attendras d’avoir treize ans…

J’en ai marre d’être petite ! J’en ai marre !

Tu es très gentille, maman, intervint Hortense, mais tant que j’ai celui-là, je préfère le garder… On verra après.

Hortense, tu vas le rendre immédiatement !

Hortense fit la moue et laissa tomber « si tu y tiens… ».

Puis elle se demanda ce qui permettait à sa mère d’être si généreuse. Elle avait entrepris une nouvelle traduction, peutêtre… Il allait falloir qu’elle lui demande d’augmenter son argent de poche. Ce n’était pas urgent. Pour le moment, il lui payait tout ce qu’elle voulait mais, le jour où elle le jetterait, elle serait bien contente d’avoir un peu d’argent de côté.

Ce 1er octobre, Josiane allait s’en souvenir toute sa vie.

Le bruit de ses talons sur les pavés inégaux de la cour résonnerait longtemps dans sa mémoire. Quelle journée ! Elle ne savait pas si elle devait rire ou pleurer.

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Elle était arrivée la première au bureau, s’était réfugiée dans les toilettes et avait fait le test de grossesse qu’elle avait acheté en passant devant la pharmacie de l’avenue Niel, à l’angle de la rue Rennequin. Elle avait du retard : dix jours qu’elle aurait dû avoir ses règles ! Chaque matin, elle se levait avec appréhension, relevait sa chemise de nuit, écartait les jambes lentement et considérait le petit morceau de coton blanc de sa culotte. Rien ! Elle joignait les mains et priait pour que ce soit « ça » : le petit Grobz en chaussons bleus ou roses qui emménageait. Si c’est toi, mon amour, tu vas voir, je vais te faire une belle maison !

Ce matin-là, dans les toilettes du premier étage, elle attendit dix minutes, assise sur le trône, récitant toutes les prières qu’elle connaissait, priant Dieu et tous ses saints, les yeux levés au plafond comme si le ciel allait s’ouvrir, puis elle regarda la bandelette du test : Bingo, Josiane, cette fois-ci, ça y est, le divin enfant a posé son baluchon chez toi !

Ce fut une explosion de joie. Une boule éclata dans sa poitrine et la souleva de bonheur. Elle poussa un cri de triomphe, se dressa d’un bond et leva les bras au ciel. De grosses larmes se mirent à rouler sur ses joues, elle se rassit, secouée par l’émotion. Maman, je vais être maman, répétait-elle, enroulée sur elle-même, les bras serrés autour de ses épaules comme si elle se donnait l’accolade. Maman, moi, maman… Les petits chaussons roses et bleus dansaient sous ses yeux en une pluie de larmes.

Elle courut frapper à la porte de Ginette et René. Ils finissaient de prendre leur petit-déjeuner quand ils la virent débarquer telle une tornade. Elle eut du mal à attendre que René se lève pour rejoindre l’entrepôt puis, une fois qu’il fut parti, elle tira Ginette par la manche et lui confia :

— Ça y est ! Le petit, il est là…

Elle montra du doigt son ventre plat.

T’es sûre ? demanda Ginette, les yeux écarquillés.

Je viens de faire le test : po-si-tif !

Tu sais qu’il faut en faire un autre chez le médecin parce que, parfois, il est positif mais tu n’es pas enceinte pour autant…

Ah bon ! dit Josiane, déçue.

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C’est une fois sur mille… Quand même, il vaut mieux être

sûre.

Moi, je le sens déjà. Il a pas besoin de me téléphoner, je sais qu’il est là. Regarde mes seins : ils sont pas plus gros ?

Ginette sourit.

Tu vas le dire à Marcel ?

Tu crois que je devrais attendre d’être sûre ?

Je ne sais pas…

D’accord, j’attendrai. Ça va être dur. Je vais avoir du mal à cacher ma joie.

Un bébé, un petit Jésus, un chérubin à dorloter ! Ah ! Il ne brodera pas des pierres, celui-là ! Je vais l’aimer comme mes petits boyaux ! Toute sa vie il sera aux pommes et grâce à qui ?

Àmoi ! À l’idée de tenir bientôt son bébé dans les bras, elle se remit à pleurer à gros bouillons et Ginette dut la prendre dans ses bras pour la calmer.

Allez, ma belle, détends-toi ! C’est une bonne nouvelle,

non ?

Ça m’émotionne, t’as pas idée ! Je suis toute secouée. J’ai cru que j’arriverais jamais jusqu’à chez toi. Et pourtant, c’est pas loin. J’avais plus mes jambes, elles s’étaient fait la malle ! Qu’est-ce que tu veux : depuis le temps qu’on l’attendait, j’y croyais plus.

Soudain elle eut une angoisse et se cramponna à la table.

Pourvu qu’il décanille pas ! On dit que jusqu’à trois mois, il peut se décrocher ! Tu imagines le chagrin de Marcel si je cassais son œuf ?

Te mets pas à repeindre du rose en noir. T’es enceinte, c’est une bonne nouvelle !

Ginette souleva la cafetière et lui servit un café.

Tu veux une tartine ? Il va te falloir manger pour deux maintenant !

Oh ! Je suis prête à manger pour quatre pour qu’il soit bien rondelet ! À bientôt quarante ans ! Tu te rends compte ? C’est pas un miracle, ça ?

Elle porta la main à sa poitrine pour calmer son cœur qui battait la chamade.

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Ben… Va falloir te reprendre parce que tu as encore huit mois à attendre et, si tu continues à pleurer comme ça, t’auras les yeux bordés d’anchois.

T’as raison. Mais c’est si bon de pleurer de joie, ça ne m’est pas arrivé souvent, je te le jure.

Ginette eut un petit sourire ému et lui caressa le bras.

Je sais, ma Josiane, je sais… c’est le meilleur de ta vie qui va commencer maintenant ; tu vas voir comme il va te choyer, ton Marcel.

Ça, pour sûr, qu’il va être content ! Il va même falloir que je sois précautionneuse dans l’annonce parce qu’il peut avoir le cœur qui explose…

Avec tout le sport qu’il fait, il est costaud son cœur maintenant, allez. Va bosser et essaie de tenir ta langue quelques jours…

Va falloir que je fasse un nœud au bout.

Elle regagna son bureau, se poudra le nez et venait de ranger son poudrier lorsqu’elle entendit le bruit des pas d’Henriette Grobz dans l’escalier. Celle-là, elle a une manière de marcher ! Elle bat le briquet. Elle doit avoir les genoux usés à force de les frotter l’un contre l’autre.

Bonjour, Josiane, lâcha Henriette en regardant la secrétaire de son mari d’un air plus aimable que d’habitude. Vous allez bien ?

Bonjour, madame, répondit Josiane.

Qu’est-ce qu’elle vient faire au bureau à l’aube, la chapeautée ? Et cette voix de velours côtelé, ça cache quoi ? Elle a un service à me demander, c’est sûr.

Ma petite Josiane, commença Henriette d’une voix hésitante, je voulais vous demander quelque chose, mais je voudrais que ça reste strictement entre nous, que mon mari ne l’apprenne pas. Il pourrait se vexer que je passe ainsi par-dessus lui pour une affaire touchant son business…

Henriette Grobz aimait saupoudrer ses phrases de mots anglais. Elle trouvait que cela sonnait chic.

Vous savez, les hommes n’aiment pas qu’on soit plus clairvoyantes qu’eux et, là, il me semble bien que mon mari se soit fourvoyé et…

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