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Добавлен: 05.08.2024
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Elle cherchait ses mots. Ce ne doit pas être très clair dans sa tête, se dit Josiane, sinon elle ne ferait pas la gentille. Elle a un service à me demander et elle tourne autour du pot comme une poule aveugle.
—Vous gênez pas, dit Josiane en repérant la qualité du sac d’Henriette.
Sûr que c’est pas du plastique, ça. Elle n’achète que du croco, cette vieille bique ! Ça lui va bien, elle boufferait sa propre fille, s’il le fallait.
Henriette sortit une photo de son sac et la présenta à Josiane.
—Connaissez-vous cette femme ? L’avez-vous déjà vue au bureau ?
Josiane jeta un œil sur la belle jeune femme brune à la poitrine avantageuse qu’Henriette Grobz venait de lui mettre sous le nez et secoua la tête négativement.
—A priori, non… Jamais vue ici.
—Vous êtes sûre ? demanda Henriette. Regardez-la de plus
près.
Josiane prit la photo entre ses mains et eut un choc. En effet, elle avait été un peu vite en besogne. À côté de la belle brune, un peu caché, se tenait Marcel, épanoui et béat, le bras passé autour de la taille de l’inconnue. Pas de doute ! C’était bien lui. Elle reconnut la chevalière de Marcel, cette bague qu’il s’était offerte pour fêter son premier milliard. Un monument de mauvais goût : énorme, avec un rubis planté au milieu d’un entrelacs doré qui dessinait ses initiales. Il en était très fier. Il la tripotait tout le temps, la faisait tourner. Il disait que ça l’aidait
àréfléchir.
Henriette s’aperçut du changement d’attitude de Josiane et demanda :
—Ah ! Vous l’avez reconnue, n’est-ce pas.
—C’est que… Vous permettez que je fasse une photocopie ?
—Faites donc, ma petite… Mais ne la laissez pas traîner. Je sais que monsieur Grobz est à Shanghai, mais je ne voudrais pas qu’il tombe dessus à son retour.
Josiane se leva et alla poser la photo sous le couvercle de la photocopieuse. Profitant de ce qu’Henriette lui tournait le dos,
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elle retourna la photo et découvrit un cœur bien dessiné et, de l’écriture de Marcel, les mots « Natacha, Natacha, Natacha ». C’était bien lui. Elle n’avait pas la berlue. Elle bloqua sa salive et réfléchit rapidement. Il ne fallait pas qu’Henriette Grobz s’aperçoive de son trouble.
—Je vais aller voir dans le fichier parce que je crois avoir vu cette femme, une fois, dans ce bureau… Avec votre mari…
Henriette Grobz l’encourageait à parler avec des petits signes de la tête. Elle scandait chaque mot de Josiane en inclinant son chapeau.
—Son nom… Son nom… Je ne me souviens plus très bien… Il l’appelait Tacha, tacha quelque chose…
—Natacha ? Ce pourrait être ça ?
—Absolument ! Natacha…
—Son nom de famille, je ne l’ai pas. Mais j’ai bien peur que ce soit une espionne de la concurrence envoyée à monsieur Grobz pour le troubler et lui voler quelques secrets de fabrication. Il est si ballot, il se ferait avoir comme un gosse ! Une belle femme et il perd la tête !
C’est cela, pensa Josiane, maîtrisant sa colère, tu crèves de trouille qu’il te quitte avec cette pétasse et tu m’inventes une histoire d’espionne venue de l’Est ! Une rouleuse qui viendrait du froid !
—Écoutez, madame Grobz, je vais vérifier dans mon fichier et si je trouve un renseignement qui peut vous intéresser, je vous préviens…
—Merci, ma petite Josiane, vous êtes très aimable.
—C’est normal, madame, après tout je suis à votre service. Josiane lui sourit de la manière la plus obséquieuse qui fût,
et la raccompagna jusqu’à la porte.
—Dites-moi, ma petite Josiane, vous ne lui direz rien, c’est bien sûr ?
—Ne craignez rien… Je sais garder les secrets.
—Vous êtes très aimable.
Eh bien, je vais l’être un peu moins avec lui quand il reviendra, se promit Josiane en revenant s’asseoir. Il peut se pointer, la gueule enfarinée, tout frétillant, frais rincé de son jogging, il ne va pas être déçu, le roi de l’embrouille.
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Elle planta la plume de son stylo sur le visage de la belle Natacha et lui creva les yeux.
—Arrête-toi là, ordonna Hortense en pointant du doigt l’angle de la rue.
—Si je veux…
—Tu veux qu’on continue à se voir ou pas ?
—T’es bête, je plaisantais…
—Si ma mère ou Zoé me voyait avec toi, ce serait la fin des petits pois.
—Mais elle me connaît pas, elle m’a jamais vu.
—Elle me connaît, moi. Elle aura vite fait le rapprochement. Elle est retardée mais elle sait additionner un et un.
Chaval se gara et coupa le contact. Il passa un bras autour des épaules d’Hortense et l’attira à lui.
—Embrasse-moi.
Elle lui donna un rapide baiser et chercha à ouvrir la portière.
—Mieux que ça !
—Qu’est-ce que t’es relou !
—Dis donc… Tu disais pas ça tout à l’heure quand tu faisais marcher ma carte bleue.
—C’était tout à l’heure.
Il glissa une main sous son tee-shirt, chercha à attraper un sein.
—Arrête, Chaval, arrête.
—J’ai un prénom, je te rappelle. Je déteste quand tu m’appelles Chaval.
—C’est ton nom… Tu l’aimes pas ?
—J’aimerais que tu sois un peu plus douce, un peu plus tendre…
—Désolée, mec, c’est pas mon truc.
—C’est quoi ton truc, Hortense ? Tu donnes rien, pas un gramme de ta petite personne…
—Si t’es pas content, on arrête. Je t’ai rien demandé, moi, c’est toi qui es venu me chercher ! Toi qui me suis partout comme un toutou !
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Il enfouit son visage dans ses longs cheveux, respira l’odeur de sa peau, de son parfum, et murmura :
—Tu me rends fou ! C’est pas de ma faute. S’il te plaît, ne sois pas méchante… J’ai tellement envie de toi. Je te paierai tout ce que tu voudras.
Hortense leva les yeux au ciel. Qu’est-ce qu’il était pénible ! Il allait même arriver à la dégoûter du shopping !
—Il est sept heures et demie, il faut que je rentre.
—On se voit quand ?
—Sais pas. Je vais essayer de monter un bateau pour samedi soir, mais c’est pas dit que ça marche…
—J’ai deux invitations pour une soirée Galiano, vendredi soir… Ça te dit ?
—John Galiano ?
Hortense écarquillait des yeux grands comme des soucoupes de Martiens.
—Himself ! Si tu veux, je t’emmène.
—D’accord. J’inventerai un truc !
—Mais il faut que tu sois très très gentille avec moi… Hortense soupira et s’étirant dans un mouvement de chatte
lassée :
—Toujours des conditions ! Si tu crois que ça donne envie…
—Hortense, ça fait trois mois que tu me mènes en bateau. La patience a ses limites…
—Moi, je n’ai aucune limite, figure-toi ! C’est ce qui fait mon charme et c’est pour ça que tu t’intéresses à moi.
Chaval posa les mains sur le volant de son coupé Alfa Romeo et grogna :
—J’en ai marre que tu joue les vierges effarouchées.
—Je coucherai avec toi quand je l’aurai décidé et, pour le moment, il n’en est pas question. C’est clair ?
—Ça a le mérite d’être direct, au moins.
Elle ouvrit la portière, exhiba une longue jambe nerveuse et fine qu’elle posa délicatement sur le macadam et, retroussant sa jupe jusqu’à l’aine, décocha son plus beau sourire et lui dit au revoir.
—On s’appelle ?
—On s’appelle.
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Elle prit le grand sac blanc marqué Colette sur le siège arrière et sortit. Elle avançait en se promenant comme un mannequin sur le podium et il la regarda s’éloigner en poussant un juron. La salope ! Elle le rendait fou ! Rien que de sentir ses lèvres douces et élastiques sous les siennes lui faisait tourner le sang. Et sa petite langue qui dansait dans ses baisers… Il ferma les yeux et renversa la tête en arrière. Elle le faisait bander comme un âne et lanterner comme un ver luisant. Je n’en peux plus, il va falloir qu’elle passe à la casserole !
Ça durait depuis le mois de juin, leur petite histoire. Et depuis le mois de juin, elle lui brandissait un lampion : passer une nuit entière avec lui, le laisser la déshabiller tout doucement, la caresser… Il avait passé chaque week-end du mois de juillet à Deauville, à cause d’elle. Il avait payé tous ses caprices, payé pour tous ses copains et le jeu du chat et de la souris avait repris à Paris. Quand il croyait la tenir, elle s’échappait en lui faisant un pied-de-nez. Il s’invectiva, connard, grand chef des connards, elle te promène en gondole, oui ! En te jouant de la mandoline quand il s’agit de passer à la caisse ! Qu’as-tu obtenu d’elle ? Que dalle ! À part des baisers sur la bouche et deux ou trois tripotages. Dès que ma main descend trop bas, c’est un tollé de taliban ! Elle veut bien s’afficher avec moi dans les restos à la mode, dévaliser les magasins, manger des glaces, se répandre dans les fauteuils de cinéma, mais pour le reste, c’est porte blindée ! C’est chichounet, comme récompense. Si j’additionne les fringues qu’elle me fait acheter, les portables qu’elle prend un malin plaisir à semer, les gadgets dont elle se lasse et qu’elle balance à la poubelle parce qu’elle n’a pas le courage de lire le mode d’emploi, j’investis à fonds perdus ! Aucune fille ne m’a jamais traité comme ça. Aucune ! D’habitude, elles lèchent la semelle de mes bottes. Elle, elle s’essuie les pompes sur le bas de mes pantalons, colle du gloss sur les coussins de ma voiture, écrase son chewing-gum dans la boîte à gants et file des coups de sac Dior sur le capot quand elle n’est pas contente ! Il se regarda dans le rétroviseur et se demanda ce qu’il avait fait pour mériter ça. T’es pas le fils de Frankenstein, tu sens pas le moisi, t’as de la moelle dans les os et elle te photographie même pas ! Il soupira et remit le contact.
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Comme si elle avait suivi le déroulement de ses pensées, Hortense se retourna et, avant de disparaître au coin de la rue, lui envoya un baiser en balançant une lourde mèche de cheveux. Il lui répondit par un appel de phares et disparut en imprimant sa fureur dans la gomme de ses pneus.
Qu’est-ce que c’est facile de faire marcher les mecs ! L’imbécillité du désir érotique ! La tyrannie du sentiment ! Ils s’y engouffrent tous comme dans des cavernes menaçantes et ils s’en vantent ! Même les vieux comme Chaval ! Il mendie son plaisir, il tremble, il quémande. Trente-cinq ans, pourtant ! songea Hortense. Il devrait avoir de l’expérience. Eh bien, non ! Il se répand en flaque molle. Il suffisait qu’elle lui promette un vague délice ou remonte un peu sa jupe sur ses cuisses pour qu’il ronronne comme un vieux matou sans dents. Est ce que je vais coucher avec lui ou pas ? J’en ai pas vraiment envie mais il risque de se lasser. Et la kermesse sera fermée. J’aimerais mieux faire ça avec un peu d’entrain au cœur. Surtout, la première fois. Avec Chaval, ça risque d’être purement mercantile. Et puis, il est si collant, c’est pas sexy, la glue !
Il allait falloir qu’elle se change avant de rentrer chez elle. Dans le cagibi où étaient entreposés les produits d’entretien pour les escaliers de l’immeuble. Elle ôta sa minijupe, enfila son jean, un gros pull pour cacher le tee-shirt qui découvrait son nombril, se frotta le visage pour faire disparaître le maquillage et redevint la petite fille à sa maman. Quelle idiote, celle-là, elle se doute de rien ! Elle déplaça un bidon d’encaustique pour cacher ses fringues et aperçut un journal déplié où s’affichait à la une le visage de sa tante. « Avant, après : la naissance d’une star », disait le titre. Juste en dessous, une photo d’Iris avec ses cheveux longs et une autre, avec sa coupe de Jeanne d’Arc et ces mots : « Je n’ai fait que suivre les conseils d’André Gide à un jeune écrivain… » La bouche d’Hortense s’arrondit et laissa échapper un sifflement d’admiration.
Elle allait remonter chez elle quand elle s’aperçut qu’elle tenait le grand sac blanc de Colette à la main. La veste Prada !
Elle réfléchit un instant, décida d’arracher l’étiquette et de prétendre qu’elle l’avait achetée aux puces de Colombes le weekend précédent.
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Antoine observait le crocodile qui se prélassait au soleil devant eux. Ils s’étaient arrêtés à l’ombre d’un grand acacia et son regard contemplait l’animal qui se chauffait au soleil, les yeux en fermeture éclair. Énorme, répugnant, luisant. Tu es quoi, toi ? ruminait-il, agacé. Un souvenir de dinosaure ? Un tronc avec deux fentes jaunes ? Un futur sac à main ? Pourquoi tu me nargues de tes yeux mi-clos ? Ça te suffit pas de me faire chier tous les jours que Dieu fait ?
—Oh ! Regarde comme il est mignon, s’écria Mylène à côté de lui. Il dore au soleil, il a l’air si tranquille. J’ai envie de le prendre dans mes bras !
—Et il te déchiquetterait avec ses quatre-vingts crocs !
—Mais non… Il nous observe, lui aussi. Il est curieux de nous. J’ai appris à les aimer, tu sais ! Je n’ai plus peur…
Et moi, je les hais ! songea Antoine en tirant un coup de fusil en l’air pour le faire déguerpir. L’animal ne bougea pas et sembla, en effet, lui sourire. Depuis la rébellion des crocodiles et le décès des deux Chinois, Antoine ne circulait plus qu’armé. Il portait son fusil sous le bras et plaçait les cartouches dans les poches de son bermuda. Ça lui rappelait le bon vieux temps de Gunman and Co, quand tout tournait rond, que les bêtes sauvages n’étaient que des cibles alléchantes pour milliardaires oisifs.
Mister Wei le payait régulièrement. Chaque fin de mois, il recevait son virement. Un vrai coucou suisse, ricanait Antoine en dépliant l’enveloppe où sa paie était détaillée. Il a cru m’entuber mais j’ai été plus coriace que lui. Je sais montrer les dents, moi aussi.
Les problèmes d’Antoine s’amplifiaient pourtant. Il avait dû accueillir une équipe de scientifiques venus faire des recherches sur le sang des crocodiles en vue de la fabrication de nouveaux antibiotiques. Ces sales bêtes résistent à tout. Quand ils se blessent, au lieu de développer des infections ou une septicémie, ils cicatrisent et repartent plus fringants que jamais. Une molécule dans le sang qui les immunise. Il avait fallu loger et nourrir les scientifiques, mettre des locaux à leur service. Des
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soucis en plus pour Antoine. Du profit en plus pour mister Wei ! J’en ai marre que ça aille toujours dans le même sens, râla Antoine en tirant une nouvelle salve.
—Arrête ! protesta Mylène, elles t’ont rien fait, ces pauvres bêtes…
Parce qu’il faisait feu de tout bois, le Chinois ! Il avait appelé Mylène quand il avait appris la nature de son activité. Il lui avait proposé de s’associer avec lui et de lancer une ligne de produits de beauté, « Belles de Paris ». Il voulait faire fabriquer les emballages en France pour avoir le label « Made in France » gravé sur les boîtes. Cela assurerait le succès des cosmétiques sur le marché chinois. En plus, il a du bol, ragea Antoine en rechargeant son fusil. Dès qu’il touche à un truc, il se transforme en or !
Ce n’était pas son cas.
Ses rêves de milliardaire en sacs et en terrines prenaient l’eau. Les crocodiles se révélaient une matière première aléatoire : obèses, impuissants, exigeants. Ils ne voulaient manger que du poulet ou de la chair humaine. Ils laissaient pourrir au soleil ce qui n’était pas à leur goût ! C’est à croire qu’ils ont été élevés dans un cinq étoiles, pestait Antoine en faisant déverser des tombereaux de riz agrémentés d’un mélange spécial d’huîtres et d’algues qu’il faisait venir de Sao Paulo. Ils n’y touchaient pas. Ni au canard ni aux fricassées de poisson. Ils exigeaient du poulet. Quand on leur présentait leur pâtée, ils détournaient la tête.
—Non, mais je rêve ! grinça Antoine. Ils sont si gras qu’ils n’arrivent même plus à chevaucher les femelles, t’as vu ça ? Elles ont beau les abreuver de caresses, c’est à peine s’ils soulèvent une paupière.
—Ils se marrent à te regarder t’énerver tout seul. Ils savent bien que ce sont eux les gagnants…
—Ils vont pas gagner longtemps s’ils continuent à grossir comme ça.
—Pfft ! Tu seras mort depuis longtemps qu’ils seront encore là, bien plantés sur leurs pattes. Ça peut vivre cent ans, ces bêtes-là !
—Sauf si je les zigouille tous !
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—Parce que tu crois que ce serait une solution ?
—Y a pas de solution, Mylène, je me suis fait avoir comme un bleu ! Wei, il s’en fout, il s’en sortira toujours, mais moi… J’ai investi dans un parc d’ovipares obèses et impuissants.
En outre, Antoine s’était aperçu que les femelles livrées par les Thaïlandais étaient presque toutes ménopausées. Il avait appelé le directeur de l’élevage, celui-là même qui avait rempli le Boeing des soixante-dix crocodiles, et s’était plaint. Le Thaïlandais avait assuré : « Forty eggs a day ! Forty eggs a
day ! – Zero egg a day », avait hurlé Antoine dans le récepteur. – Ah, avait conclu le Thaïlandais, they must be grand mothers then ! You are not lucky, we put the wrong ones in the plane, we didn’t know… »
Des crocodiles ménopausées ! Et avec ça, il fallait qu’il fasse exploser la natalité ! L’usine avait ralenti sa fabrication de maroquinerie et le taux de remplissage des conserves avait été divisé par deux. Si ça se trouve, ce qui va marcher, c’est l’industrialisation des antibiotiques, mais là, je n’ai pas de contrat. Je suis marron ! Saloperies de reptiles !
Il tira une nouvelle fois en l’air. Le crocodile leva une paupière.
Mylène haussa les épaules et décida de regagner son bureau. Elle avait des mails à relire avant de les envoyer à Paris en vue de nouvelles commandes. Le maquillage se vendait beaucoup mieux que les produits de soins, plus coûteux et plus difficiles à conserver par grande chaleur. Tant mieux ! Les maquillages, je les achète en gros passage de l’Industrie à Paris et je fais quatre fois la culbute. Elles y voient que du feu, mes clientes. Jamais elles ne discutent le prix ! Elles vénèrent le bâton de rouge ou le fard à paupières et se saignent les veines pour s’enluminer la face. Le produit-vedette : mon fond de teint blanc. Elles adorent ! Elles se transforment en petites poupées rondes et blafardes. À peine posée sur les étagères, la marchandise disparaît, happée par leurs petites mains avides. Mister Wei m’a proposé une association. Cinquante-cinquante. J’apporte le savoir-faire, la philosophie, l’esprit, le bon goût français, il s’occupe, lui, de fabriquer et de vendre. Il dit que ça ne coûtera
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rien à produire. Il faut que j’en parle à Antoine. Il a tellement de soucis que j’ai peur de l’encombrer avec mes projets.
Le soir même, pendant que Pong les servait en silence, Mylène annonça qu’elle avait envoyé un projet de contrat à mister Wei et qu’elle songeait à s’associer avec lui.
—Tu as signé ?
—Non, pas encore mais c’est quasiment fait…
—Tu m’en as pas parlé !
—Si, mon chéri, je t’en ai parlé, mais tu m’as pas écoutée… Tu pensais que c’était un amusement de petite fille ! Il y a beaucoup d’argent à la clé, tu sais.
—Tu as pris conseil auprès de quelqu’un avant de signer ?
—J’ai fait établir un contrat très simple, avec le montant des investissements, celui des pourcentages, un dépôt de licence à mon nom, payé par Wei… Un truc très clair que je peux comprendre.
Elle eut un petit rire étouffé pour montrer à Antoine qu’elle n’était pas dupe de son inexpérience.
—Tu as entrepris des études de droit ? demanda Antoine d’un ton narquois. Passe-moi le sel, veux-tu… C’est un ragoût de quoi, ça ? Ça n’a aucun goût !
—De l’antilope…
—Ben, c’est dégueulasse.
—J’ai pas vraiment le temps de faire la cuisine maintenant…
—Ben, je préférais quand t’avais le temps ! T’aurais mieux fait d’ouvrir un restaurant…
—Tu vois : on ne peut pas parler sérieusement.
—Vas-y, je t’écoute.
—Voilà : à mon dernier voyage à Paris, je suis allée consulter un avocat spécialisé. Sur les Champs-Élysées…
—Et tu as eu son nom par qui ?
—J’ai appelé la secrétaire de ton beau-père. Josiane, elle s’appelle. Très gentille. On a sympathisé. J’ai dit que j’appelais de ta part, que t’avais besoin d’un renseignement, du nom d’un bon avocat, un bien rusé habitué à discuter avec les plus gros requins de la planète…
—Et…
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