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Добавлен: 05.08.2024
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—Ça n’a pas fait un pli : elle m’a donné un nom, un téléphone, et j’ai appelé. Comme je venais de la part de Marcel Grobz, il a été très gentil et a accepté de s’occuper de mon affaire. Il m’a même invitée à dîner ; on est allés dans un cabaret russe tout près de son bureau.
—Tu as fait ça ? Tu t’es servie des relations de Chef alors que tu ne le connais pas ? Alors que si ça se trouve, il te déteste.
—Pourquoi il me détesterait ? Je lui ai rien fait…
—Je te rappelle que, à cause de toi, j’ai planté là ma femme et mes deux filles ! Tu sembles l’oublier…
—C’est pas moi qui t’ai demandé de partir. C’est toi qui es parti tout seul… Toi qui m’as embarquée dans cette aventure !
—Parce que tu le regrettes maintenant ?
—Non. Je ne regrette rien. Ça ne sert à rien de regretter. J’essaie de m’en sortir, c’est tout. Et tu n’as pas à m’en vouloir pour ça…
Ils se disputaient à voix basse pour ne pas éveiller les soupçons de Pong. Ils se disputaient en souriant, mais chaque mot chuchoté était une flèche empoisonnée. Comment ça a commencé ? se demanda Antoine en reprenant du vin. Je rumine trop. Je devrais faire comme tout le monde, et ne pas penser. Gagner de l’argent mais surtout ne pas penser. C’est en Afrique que j’ai été le plus heureux et j’ai cru qu’en y revenant, je serais heureux à nouveau. Tout recommencer ici. J’ai emmené cette adorable petite garce qui disait qu’elle allait veiller sur moi. Foutaises ! Il n’y a que moi qui peux veiller sur moi et je me sabote avec méthode et acharnement. Pourquoi le lui reprocher ? Ce n’est pas de sa faute. J’ai enfilé des habits trop grands pour moi. Jo a raison. Elles ont toutes raisons. Il eut un sourire ironique, un sourire qui se moquait de lui, mais Mylène se méprit.
—Oh ! Ne sois pas fâché ! Je t’aime tellement. J’ai tout quitté pour te suivre. Je serais allée n’importe où… Je veux juste m’occuper. Je ne suis pas habituée à ne rien faire. J’ai toujours travaillé, depuis que je suis toute petite…
Elle arrondissait la bouche telle une petite fille prise en train de faire un gros mensonge et qui proteste de son innocence. Ses grands yeux bleus le regardaient avec une candeur qui l’énerva.
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—Et il a pas essayé de te sauter après le cabaret ?
—Tu vois le mal partout.
—Tu es redoutable, Mylène ! Redoutable… Et tout ça sans rien me dire.
—Je voulais te faire la surprise… Et puis, chaque fois que j’ai essayé de te parler, tu changeais de sujet. Alors j’ai renoncé. Mais faut pas te fâcher, mon chéri, c’est juste pour m’amuser, tu sais… Si ça se trouve, mister Wei va perdre sa mise et moi, j’aurai rien investi du tout ! Et si ça marche, je me remplis les poches et tu deviens directeur commercial de ma petite entreprise…
Antoine la dévisagea, stupéfait. Elle envisageait de l’engager. Elle devait être en train de calculer son salaire et le montant de sa prime de fin d’année ! Une rigole de sueur coula dans son dos, puis ce furent ses tempes, ses bras, son torse… Non pas ça ! Pas ça ! Il serra les dents.
—Mon chéri, qu’est-ce que tu as ? Tu es tout mouillé ! On dirait que tu sors de la douche. T’es malade ?
—J’ai dû avaler une saloperie. C’est ce ragoût d’antilope qui ne passe pas.
Il jeta sa serviette sur la table et se leva pour aller se changer.
—Tu sais, mon amour, il ne faut pas te fâcher… C’est un pari. Si ça se trouve, ça ne marchera pas. Et si ça se trouve aussi, ça marchera. Et alors je serai riche, riche, riche ! Ce serait drôle, non ?
Antoine s’arrêta sur le seuil de la maison. Elle n’avait pas dit
«nous », elle avait dit « je ». Il ôta sa chemise trempée et disparut à l’intérieur.
Philippe Dupin se laissa tomber dans le fauteuil du bureau de sa femme et soupira. Si on lui avait dit qu’un jour, il fouillerait dans les affaires d’Iris comme un mari jaloux ! Quand il voyait, au cinéma, un homme faire ça, il le plaignait. Il ouvrit un classeur rose posé sur le bureau, sur lequel Iris avait inscrit en grosses lettres : roman. En dessous, au feutre vert : Une si humble reine. Elle compte peut-être en écrire d’autres, pensa-t- il en ouvrant le classeur. Ou en faire écrire d’autres. C’était plus
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fort que lui, il avait besoin de savoir. L’affronter aurait été plus noble. Mais on n’affrontait pas Iris. Elle se défilait toujours. Quand elle était revenue de l’émission de télévision qu’il avait regardée avec Alexandre et Carmen en dînant sur la table basse face au poste, elle s’était plantée devant eux et avait lancé, triomphante : « J’ai été comment ? Superbe, non ? » Ils n’avaient pas eu le cœur à répondre. Elle avait attendu puis, devant le silence qui se prolongeait, avait soupiré : « Vous n’y connaissez rien ! Ça s’appelle du marketing et si on ne fait pas ça, le livre ne se vend pas. Je suis totalement inconnue, c’est un premier roman, il faut le mettre sur orbite ! Et puis, ça va repousser ! » avait-elle ajouté en passant ses doigts dans ses cheveux. Fin des discussions. Le lendemain, elle avait couru chez son coiffeur pour qu’il lui refasse une coupe, une vraie à cent soixante-cinq euros. Les cheveux courts soulignaient l’immensité et le trouble de ses grands yeux bleus ; la ligne de son long cou, l’ovale parfait de son visage, ses épaules dorées éclataient comme les chiffres d’un blason sur une tapisserie. Elle avait l’air d’un page innocent. « Maman, maman, on dirait que t’as quatorze ans ! » s’était exclamé Alexandre. Philippe avait été troublé et, n’eût été le sourd dégoût qu’il éprouvait pour toute cette affaire, il aurait été ému.
Il ouvrit le classeur. Il était rempli de coupures de journaux. Des quotidiens. Les mensuels ne sont pas encore sortis. Ils vont se remplir d’elle, de ses mensonges, de ses allégations. Il parcourut des yeux les premiers articles. Certains étaient signés par des journalistes qu’il connaissait. Ils parlaient tous d’Iris et de son audace. « A star is born » titrait l’un d’eux. « La surprise du chef », titrait un autre. Un journaliste plus sérieux se demandait où s’arrêtait le spectacle et où commençait la littérature mais reconnaissait que le livre était bien écrit bien qu’« un peu universitaire » et très bien documenté. « On sent qu’Iris Dupin connaît son XIIe siècle sur le bout des doigts et nous le fait revivre avec maestria. Tout est juste. Tout est intriguant. On se prend à suivre la règle de saint Benoît comme si on suivait l’intrigue d’un film d’Hitchcock. » Il les parcourut des yeux. Suivaient des réflexions d’Iris sur l’écriture, la difficulté d’un premier roman, les mots qui se dérobent,
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l’angoisse de la page blanche. Elle en parlait très bien, rappelait ses années d’études à Columbia, ses débuts de scénariste, citait les conseils de Gide à un jeune écrivain : « Pour ne pas être tenté de sortir, rasez-vous la tête ! » « Ce que je n’avais pas osé faire, par coquetterie, m’a été imposé. On ne peut pas tricher avec l’écriture. Elle vous rattrape toujours. Je ne le regrette pas, je ne vis que pour la littérature. » Ou encore : « J’ai vécu neuf mois en ne buvant que de l’eau bouillie et en mangeant des pommes de terre à peau rouge, il n’y avait que comme ça que je trouvais l’inspiration. » Sur les photos, elle portait un jean à taille basse, un tee-shirt qui s’arrêtait au-dessus du nombril, et, avec sa nouvelle coupe de garçonnet, affichait un air de teenager rebelle. Sur une autre, on lui avait inscrit « love » et « money » au rouge à lèvres sur la nuque et elle s’était laissé photographier la tête inclinée afin que les deux mots se détachent bien. La légende disait : « Elle porte sur sa nuque l’histoire de son roman et le destin du monde. » Rien que ça ! soupira Philippe, le destin du monde sur la nuque de ma femme ! Un autre ajoutait : « Les ados vont en être fous, les hommes en raffoler, les femmes trouveront en elle leur porteparole. Ce livre est la réconciliation des Anciens et des Modernes. » Plus loin, il apprit qu’un milliardaire russe avait mis à la disposition d’Iris son avion privé afin qu’elle aille faire son shopping à Londres ou à Milan, et qu’une marque de parfum voulait acheter le titre du livre pour lancer une nouvelle fragrance. À toutes ces propositions, Iris répondait, modeste, qu’elle était flattée, mais que tout ça était « bien loin de la littérature. Je ne veux pas devenir un phénomène de foire. Quoi qu’il arrive, que le livre soit un succès ou un échec, je continuerai à écrire, il n’y a que ça qui m’intéresse. »
J’ai nourri un monstre, songea Philippe. Cette constatation n’était pas douloureuse. C’est à cela qu’on reconnaît que l’amour s’est détaché de vous : il ne fait plus mal. On regarde l’objet autrefois aimé avec un regard froid, on constate il est comme ci, il est comme ça, je ne le changerai pas. C’est moi qui ai changé. Alors, c’est fini. Bien fini. Tout ce qu’il ressentait maintenant, c’était du dégoût mêlé d’une vague colère. Pendant des années il avait été obsédé par elle, il n’avait eu qu’un souci : lui plaire,
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l’épater, devenir le meilleur avocat de la place parisienne, puis le meilleur avocat de France, puis un avocat international. Il s’était mis à collectionner les œuvres d’art, à acheter des manuscrits, à financer des ballets, des opéras, il avait créé un fonds de mécénat… Pour qu’elle soit fière de lui. Fière de s’appeler madame Philippe Dupin. Il savait qu’elle ne respectait pas l’argent : Chef lui avait donné tout l’argent qu’elle voulait. Elle voulait être une créatrice. Écrire, dessiner, diriger, qu’importe ! Pourvu qu’on lui reconnaisse un talent. Il lui avait offert une palette de talents. Il avait cru, naïf, qu’il lui suffirait d’être à ses côtés quand il choisissait des tableaux ou finançait la création d’un spectacle pour qu’elle soit heureuse. Il aurait rêvé qu’elle l’accompagne dans les foires internationales d’art moderne, qu’elle assiste aux réunions où étaient lus des manuscrits de pièces de théâtre, qu’elle l’aide à choisir, qu’elle suive les répétitions. Elle avait été présente, au début, puis s’était vite désintéressée. Ce n’était pas elle qu’on honorait mais l’argent, le nom, le goût de son mari.
Ses yeux firent le tour de la pièce et reconnurent chaque œuvre d’art. C’est l’histoire de notre amour. De mon amour, corrigea-t-il, car elle ne m’a pas aimé. Elle m’a bien aimé. Elle m’a apprécié. Ses mensonges ont réussi là où mon amour a échoué. Je ne l’aime plus et ne pourrai plus longtemps prétendre le contraire. Pour la survie d’un couple, il vaut mieux deux beaux mensonges que deux vilaines vérités. C’était la fin. Il lui restait encore une chose à régler et il s’en irait. De manière grandiose. Un peu ridicule, certes, mais grandiose. Organiser une fin avec panache. Ce sera mon œuvre d’art à moi !
Ses yeux retombèrent sur la dernière coupure de journal. Un article qui ne parlait pas d’elle, mais du festival du film de New York. Elle avait souligné un nom au Stabilo jaune : Gabor Minar. Il était l’invité d’honneur ; on y présenterait son dernier film, Gypsies, primé au festival de Cannes. Nous y voilà, songea Philippe, Gabor Minar… L’éternel Gabor Minar, figé dans sa pose de metteur en scène baroque et flamboyant. Avec son physique de rebelle insouciant, ses films au rythme époustouflant. On disait de lui qu’il avait réveillé le septième art figé dans ses effets spéciaux. Qu’il avait su redonner au cinéma
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du sens et de la richesse. Sur la photo, il souriait, des mèches de cheveux dans les yeux, le col de son polo ouvert. Il referma le dossier d’un geste sec, regarda l’heure, il était trop tard pour appeler Johnny Goodfellow. Il l’appellerait demain.
Quand Iris rentra le soir, elle brandissait un numéro de
L’Express.
—Numéro quatre dans le classement des livres ! En quinze jours. J’ai appelé Serrurier, ils en sortent quatre mille cinq cents exemplaires par jour. En plus de la mise en place initiale. Tu te rends compte ? Chaque jour quatre mille cinq cents personnes achètent le livre d’Iris Dupin ! Je m’installe en tête. La semaine prochaine, je parie que je suis à la première place ! Et tu me demandais si me faire tondre en public était nécessaire ?
Elle éclata de rire et embrassa le journal.
—Il faut vivre avec son temps, mon chéri. On n’est plus au temps des troubadours, c’est sûr ! Carmen, vite, vite, à table, j’ai une faim de loup.
Ses yeux brillaient d’une petite flamme dorée et dure qui brûlait le journal qu’elle tenait entre ses mains. Elle l’abaissa, se tourna vers lui, étonnée par son silence, lui adressa un grand sourire et pencha la tête, attendant qu’il la félicite. Il s’inclina poliment et la félicita.
Joséphine se frotta les yeux et se dit qu’elle ne rêvait pas : la femme, assise en face d’elle dans l’autobus 163, lisait son roman. Elle le lisait en affamée, repliée sur le livre, tournant chaque page avec soin, épluchant chaque ligne comme si elle ne voulait pas en perdre une miette. Autour d’elle, les gens se déplaçaient, téléphonaient, toussaient, s’interpellaient, elle ne bougeait pas. Elle lisait.
Joséphine la dévisagea, ébahie. Une si humble reine dans le 163 !
Ainsi, c’était vrai ce qu’on écrivait dans les journaux : son livre se vendait. Comme des petits pains. Au début, elle n’y croyait pas. Elle s’était même dit que ce devait être Philippe qui les achetait tous. Mais voir Une si humble reine dans le 163 lui prouvait que le succès était réel.
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À chaque fois qu’elle lisait une bonne critique, elle avait envie de pousser des cris de victoire, de rire aux larmes, de faire des sauts de kangourou. Elle courait chez Shirley. C’était le seul endroit où elle pouvait laisser libre cours à sa joie. « Il marche, Shirley, il marche, j’ai écrit un best-seller ! Tu te rends compte, moi, la petite chercheuse obscure, au salaire de misère, aux conférences poussiéreuses, la petite oie blanche qui ne comprend rien à la vie ! Pour mon premier coup d’essai, je m’offre un coup de maître ! » Shirley criait Olé et elles dansaient un flamenco endiablé. Gary les avait surprises, une fois ; elles s’étaient interrompues, rouges et essoufflées.
Puis, le temps passant, elle avait été envahie par un grand sentiment de vide. La sensation d’avoir été volée, cambriolée, utilisée. Salie. Iris s’étalait partout. Iris souriait partout. Les yeux bleus d’Iris la surprenaient à chaque kiosque à journaux. Iris parlait des affres de l’écriture, de la solitude, du XIIe siècle, de saint Benoît. Comment avait-elle eu l’idée de son histoire ? En entrant au Sacré-Cœur, un soir de mélancolie. En regardant la statue d’une sainte si belle, au visage si doux qu’elle lui avait cousu une histoire sur mesure. L’idée de l’appeler Florine ? Je faisais un gâteau avec mon fils et j’ai versé de la farine Francine dans le moule. Francine-Florine-Francine-Florine ! Joséphine écoutait, médusée : mais où trouvait-elle tout ça ? Un jour, elle l’entendit même évoquer Dieu et l’inspiration divine pour expliquer la fluidité de son écriture, « ce n’est pas moi qui écris, on me dicte ». Joséphine était tombée d’un coup sur le tabouret près de l’évier. « Alors ça, répétait-elle, quel culot ! »
Elle avait ouvert la porte vitrée qui donnait sur le balcon et regardé les étoiles. C’est trop, je n’en peux plus ! C’est déjà dur de la voir prendre la pose, s’approprier Florine mais si, en plus, elle vous confisque, vous aussi ! Il me reste quoi à moi ? Bayer aux corneilles ? C’est laid, les corneilles ! Et comment elle sait que je vous parle ? Je ne lui ai jamais dit ou si, peut-être une fois… Elle se sert de tout ! C’est un vampire.
Ce soir-là, après avoir surpris une lectrice dans l’autobus, elle sonna à la porte de Shirley. Il n’y avait personne. Elle retourna chez elle, trouva un mot de Zoé qui disait : « Maman, je vais dormir chez Alexandre, Carmen vient me chercher.
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Hortense m’a dit de te dire qu’elle sortait ce soir, qu’elle rentrerait tard, ne te fais pas de souci, je t’aime, Zoé. »
Elle était seule. Elle fit réchauffer un reste de quiche lorraine, ajouta deux feuilles de salade, regarda la nuit tomber. Triste, si triste.
Quand il fit nuit, elle poussa la porte vitrée qui donnait sur le balcon et regarda les étoiles.
—Papa, risqua-t-elle, papa ? Tu m’entends ? Elle ajouta d’une petite voix d’enfant :
—C’est pas juste… Pourquoi c’est toujours elle au premier rang, dis ? Une fois de plus, on m’a effacée. Quand on était petites et qu’on nous prenait en photo, maman insistait toujours pour qu’on voie bien Iris. Les yeux d’Iris, la coiffure d’Iris, pousse-toi un peu, Jo, je n’ai pas le bas de la robe d’Iris.
«Criminelle, tu es une criminelle », elle entendait la voix de son père. Ses bras autour d’elle, le goût de sa peau salée ou de ses larmes, ses grandes enjambées. Il l’emportait comme s’il la sauvait. On était sur la plage, c’était l’été, je sortais de l’eau, je crachais de l’eau, les yeux me piquaient, je pleurais, je pleurais… Après, je me souviens, il n’a plus jamais dormi dans la même chambre que maman. Après, il s’est réfugié dans ses mots croisés, ses mauvais jeux de mots, sa pipe en bois. Et puis il est mort. Il a cassé sa pipe… Elle eut un petit rire à l’adresse de son père. Tu l’aurais appréciée, celle-là ! Papa, mon papa, chantonna-t-elle dans le noir, sous les étoiles. Un jour, je trouverai le morceau du puzzle qui me manque… Un jour, je comprendrai. En attendant, petit papa, merci de ce succès-là. Il m’a donné un certain confort. Et puis, je n’ai plus peur. C’est important, ça. Je ne me sens plus menacée. Je ne suis toujours pas très sûre de moi mais je n’ai plus peur. Tu dois être fier de moi, toi qui sais que c’est moi qui ai écrit le livre.
Elle soupira, j’ai encore beaucoup de choses à apprendre, c’est sûr. On croit avoir gagné quand on a remporté une victoire, mais il y en a toujours une autre à livrer. Ma vie était si simple, avant. Plus j’avance dans la vie, plus je la trouve compliquée. Peut-être qu’avant je ne vivais pas…
Elle releva la tête. Sa colère était partie.
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Elle étendit les bras vers le ciel et envoya tout son amour, toute sa joie vers les étoiles. Elle n’enviait pas Iris. Iris sait que le livre, c’est moi qui l’ai écrit. Elle le sait. Sa belle gloire repose sur un mensonge.
Une douceur paisible l’envahit. Il lui restait son dossier d’habilitation à diriger des recherches. Il fallait qu’elle y travaille. Je vais retourner en bibliothèque, retrouver les vieux grimoires, les livres d’histoire.
Et puis, un jour, j’écrirai un autre livre. Un livre qui sera à moi, rien qu’à moi. Vous en dites quoi, les étoiles ?
Marcel Grobz sortit de l’aéroport et monta dans la voiture à côté de son chauffeur, après avoir jeté ses valises dans le coffre.
—Je suis épuisé, mon petit Gilles ! Je suis trop âgé pour ces longs voyages en avion.
—C’est sûr, patron. Un mois de tournée avec tous les changements d’hôtels et les décalages horaires, ça vous arrange pas !
—On se pèle, ici ! Fin octobre et voilà les glaciers qui s’annoncent. Là-bas, au moins, les cerisiers souriaient… J’ai pas l’air trop déglingué ?
Gilles lança un rapide regard vers Marcel Grobz et conclut que non, le patron avait l’air d’une canne à pêche bien droite.
—T’es sympa ! Elle a quelques bourrelets mal placés, la canne à pêche. J’ai beau courir comme un dératé, ils restent bien accrochés. Sinon quoi de neuf ? Tu m’as acheté les journaux ?
—Ils sont sur la banquette arrière. Votre belle-fille, madame Dupin, elle fait un malheur avec son livre…
—Parce qu’elle a écrit un bouquin ?
—Même ma mère elle l’a acheté, et elle s’est régalée !
—Putain, je vais en entendre parler ! Et sinon…
—Sinon, rien. J’ai fait faire la révision de la voiture comme vous me l’aviez demandé. Tout baigne. On va où ?
—Au bureau.
—Vous passez pas par chez vous d’abord ?
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— Au bureau, je t’ai dit…
Retrouver Josiane. Chaque fois qu’il l’avait eue au téléphone, elle avait été froide. À peine audible, à peine aimable. Oui, non, sais pas, j’vais voir, on en parlera à ton retour. Si ça se trouve, elle a revu ce grand échalas de Chaval ! Il a le vice au corps, celui-là.
— T’as des nouvelles de Chaval ?
Son chauffeur, Gilles Larmoyer, était un copain de Chaval. Gilles et Chaval faisaient souvent des virées ensemble dans les boîtes de nuit. Gilles lui racontait leurs nuits agitées, les boîtes à partouzes, « un cul à droite, un cul à gauche, avec Chaval, on se régale », les petits matins où ils remettaient leur cravate, Chaval pour venir travailler, Gilles pour conduire la voiture. Gilles n’avait aucune ambition. Marcel avait essayé de lui mettre le pied à l’étrier mais Gilles n’aimait qu’une chose : les voitures. Pour lui faire plaisir, Marcel en changeait tous les deux ans.
— Ah ! Vous ne savez pas ?
Marcel s’examinait dans le miroir du pare-soleil. Ce n’est pas des valises que j’ai sous les yeux mais des malles avec soufflets et poignées !
—Savoir quoi ?
—Chaval. Il est tombé raide siphonné de votre nièce…
—La petite Hortense ?
—Celle-là même ! Et il en bave ! Je vous dis pas… À quatre pattes, elle le fait ramper ! Il mangerait son chapeau s’il en avait un. Ça doit faire six mois qu’il essaie de la culbuter et que dalle ! Il finit le travail chez lui à la main tous les soirs. Elle le rend fou.
Marcel éclata de rire, soulagé. Donc ce n’était pas Chaval qui embrouillait Josiane. Il sortit son portable et appela le bureau.
—Choupette, c’est moi. Je suis dans la voiture, j’arrive… Ça
va ?
—Ça va…
—T’es pas contente de me voir ?
—Je danse de joie !
Elle raccrocha.
—Un problème, patron ?
—C’est Josiane. Elle me bat froid. Elle m’a envoyé à la balançoire.
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