ВУЗ: Не указан

Категория: Не указан

Дисциплина: Не указана

Добавлен: 05.08.2024

Просмотров: 457

Скачиваний: 0

ВНИМАНИЕ! Если данный файл нарушает Ваши авторские права, то обязательно сообщите нам.

Oh ! Les bonnes femmes… Suffit qu’elles aient leurs ragnagnas et elles font la poire sans qu’on sache pourquoi.

Ben alors, elle les a depuis un mois ses ragnagnas. Et c’est un poirier qu’elle va me livrer !

Il se carra dans le siège de la voiture et décida de piquer un somme.

Réveille-moi avant d’arriver, que j’aie le temps de me dégourdir !

Quand elle le vit entrer, Josiane ne se dérida pas. Elle ne leva même pas la tête de son bureau. Il ouvrit les bras pour l’étreindre, elle le repoussa.

Ton courrier t’attend sur le bureau. La liste des appels aussi. J’ai tout trié.

Il ouvrit la porte de son bureau, s’y installa et découvrit sur le tas de lettres une photo posée bien à plat : la fille du Lido avec les deux yeux crevés. Il s’en saisit et ressortit, hilare.

C’est à cause de ça, Choupette, que tu me fais la tête depuis des lunes ?

J’vois pas ce qu’il y a de drôle. Enfin, moi, ça me fait pas

rire !

Mais tu y es pas du tout. Pas du tout ! C’était pour entourlouper, l’Henriette ! J’avais appris par René qu’elle était venue traîner ici un jour, un jour qu’y avait personne et pour cause, c’était le 1er mai ! Je me suis dit que c’était du gros louche, j’ai bien vérifié mes papiers et je me suis aperçu qu’une enveloppe avait été ouverte et sûrement photocopiée : celle des frais de l’Ukrainien. La pauvre méchante ! Elle a cru mettre la main sur l’existence d’une poule avec abus de bien social, en plus. Elle croit me tenir ! J’ai décidé de lui donner la réplique. J’ai laissé traîner dans ma chambre cette photo prise un soir au Lido avec un gros client, y a belle lurette, un soir où tu n’avais pas voulu m’accompagner. J’ai inventé un nom, et hop ! va chercher, Henriette, va chercher ! Et ça a marché. Et toi, tu as mouliné pendant un mois à cause de ça ?

Josiane le contemplait, méfiante.

Et tu crois que je vais gober ça ?

Pourquoi je te mentirais, Choupette ? Je la connais pas, cette fille. J’ai pris la pose pour la photo, pour rigoler, mais c’est

-419 -

tout… Rappelle-toi, c’est un soir où t’avais pas voulu sortir, il y a au moins un an et demi, t’étais fatiguée…

Un soir où je voyais Chaval, se rappela Josiane. Pauvre gros vieux ! Il a raison. Elle avait prétexté une migraine et l’avait laissé aller tout seul faire ses libations avec ses clients.

Il se rapprocha du bureau de Josiane et buta dans un sac de voyage.

C’est quoi ce sac ?

J’avais l’intention de me faire la malle. J’attendais qu’on s’explique et je mettais les voiles…

Mais t’es folle ! T’as le cerveau qui ballonne !

Je suis fragile, nuance.

Tu me fais vraiment pas confiance.

C’est pas un article que j’ai souvent eu en magasin, la confiance…

Ben, va falloir t’habituer. Parce que je suis là et bien là ! Et rien que pour toi, ma petite poulette ! Tu es toute ma vie.

Il l’avait prise dans ses bras et la berçait en marmonnant

«mais qu’elle est bête ! mais qu’elle est bête ! et moi qui me mets la rate au court-bouillon pendant un mois à cause de tes silences au téléphone ! ».

Elle se laissait aller contre lui, attendant qu’il ait fini de ronronner pour lui annoncer la bonne nouvelle, confirmée par la mort d’une lapine foudroyée en laboratoire. Une émotion à la fois, se disait-elle, je le laisse redescendre sur terre et à peine a- t-il posé la pointe des pieds que je le renvois direct au ciel en annonçant l’arrivée du petit Grobz.

Surtout que, Choupette, avec la photo je faisais coup double. Je la roulais dans le nanan et en plus, j’écartais de toi les soupçons. Tu comprends au cas où t’aies le gros ventre… Elle n’y voyait que du feu ! Elle pensait à la Natacha et pas à toi. Tu grossissais tranquille sous ses yeux pendant qu’elle reniflait la mauvaise piste.

Josiane se dégagea doucement. Elle n’aimait pas beaucoup ce qu’elle venait d’entendre.

Parce que tu ne comptes pas le lui dire, le jour où je suis enceinte ? Tu comptes laisser flotter le doute ?

Marcel rougit violemment, pris en flagrant délit de lâcheté.

-420 -


Mais non, Choupette, mais non… C’est juste qu’il me faudra le temps de m’organiser ! Je suis pieds et poings liés, avec elle.

Dis donc, depuis le temps qu’on en parle de ce petit, tu t’es toujours pas organisé, comme tu dis ?

Je vais pas te mentir, Choupette, j’ai les foies. Je ne sais pas comment m’y prendre, comment la dégager en touche sans qu’elle se venge et me fasse les pires sournoiseries.

T’as pas vu ton notaire ?

J’ose pas lui dire, de peur qu’il la prévienne. Ils sont très proches, tu sais, elle va le voir souvent.

Alors t’as rien fait ? Rien du tout ? Tu me joues du violon à longueur de journée en parlant du chérubin et tu restes le cul dans ta chaise longue.

Mais je le ferai, Choupette, je le ferai le jour où il le faudra. Je te promets, je serai à la hauteur !

À la hauteur de ta petitesse ? Ne te tracasse pas, tu y es déjà. Tu rases la moquette !

Josiane se leva, défroissa sa robe, ajusta son haut, attrapa son sac à main et, montrant son bureau et la pièce d’un geste théâtral, elle déclara :

Regarde-moi bien, Marcel Grobz, parce que tu ne me verras plus. Je jette l’éponge, je joue les filles de l’air, je m’évanouis dans l’atmosphère. Pas la peine de me filer le train, je décanille à tout jamais ! Dire que tu me lasses serait trop doux, tu me dégoûtes de lâcheté.

Choupette, je te promets…

Depuis le temps que j’en mange, des promesses ! Depuis que je te connais, je ne fais que ça. Elles me squattent l’œsophage. J’ai envie de vomir. Je ne te crois plus, Marcel…

Elle se baissa pour empoigner son sac de voyage et, faisant claquer ses talons d’un air bien décidé, elle quitta l’entreprise de Marcel Grobz le 22 octobre à onze heures cinquante-huit précises.

Elle ne s’arrêta pas pour saluer René.

Elle ne s’arrêta pas pour embrasser Ginette. Elle ne soupira pas devant la glycine.

Elle ne se retourna pas après avoir franchi la grille.

-421 -

Si elle ralentissait le pas, songeait-elle en regardant droit devant elle, elle ne partirait jamais.

Ce soir-là, après avoir dîné, Alexandre emmena Zoé dans sa cachette secrète.

Dans une armoire normande, toute menue, que son père avait achetée chez un brocanteur. À Saint-Valéry-en-Caux. Ils y étaient partis tous les trois, en famille. Son père devait voir un client anglais dans le petit port normand. L’Anglais lui avait donné rendez-vous sur son bateau. Après avoir passé quelques heures à bord, ils étaient allés se promener le long du port. Ils s’étaient arrêtés chez un brocanteur. Alexandre avait feuilleté de vieilles bandes dessinées pendant que ses parents partaient fouiller dans l’arrière-boutique, à la recherche d’une toile oubliée. Ils n’avaient pas trouvé de tableau mais son père avait eu le coup de foudre pour cette armoire. Sa mère avait protesté en disant qu’elle n’allait pas avec leur mobilier, qu’elle allait paraître désuète, déplacée, ringarde même… « Plus personne n’achète d’armoire normande, Philippe ! » Mais son père avait insisté : « Il n’en existe pas de cette taille-là, en tous les cas, je n’en ai jamais vu, je la mettrai dans mon bureau, elle ne te dérangera pas et fera ressortir le mobilier plus moderne, j’aime bien mélanger les styles, tu le sais bien, et puis, elle apportera un peu de chaleur, des souvenirs de famille bourgeoise, c’est bien ce que nous sommes, non, une famille bourgeoise ? »

Alexandre n’avait pas compris la fin de la phrase mais il avait compris que son père allait acheter l’armoire.

Il l’avait fait transporter dans son bureau et Alexandre avait pris l’habitude de s’y cacher. Elle sentait l’encaustique et la lavande et, en se concentrant, il pouvait entendre le bruit de la mer et le cliquetis des mâts des bateaux. Elle était tapissée d’une cretonne verte et jaune. Il refermait les portes sur lui, mettait son walkman sur les oreilles, posait la tête contre une paroi, et, replié en boule, il partait dans son MISS. Son Monde Imaginaire Super Secret. Dans son MISS, il voyageait dans un pays où tout le monde vivait selon les paroles de John Lennon dans sa chanson Imagine. Autre accessoire indispensable au MISS : une

- 422 -


paire de lunettes rondes qui permettait de voir l’invisible. Souvent il emmenait Zoé avec lui. « Tu vois, racontait-il, dans le MISS les paysages sont en gâteau, les gens habillés en blanc, on ne se lave pas, on est toujours propre et tout le monde fait ce qu’il veut. Il n’y a pas de maître, pas d’argent, pas d’école, pas de notes, pas d’embouteillages, pas de parents divorcés, tout le monde s’aime, la seule règle est de ne pas embêter les autres habitants du MISS. »

Et de parler anglais.

Il y tenait beaucoup. Au début, Zoé avait eu du mal. Alexandre parlait anglais couramment, ses parents l’envoyant chaque été dans un collège anglais. Elle avait appris à se laisser guider par son cousin et, quand elle ne comprenait pas, il traduisait. Elle aimait bien aussi quand il ne traduisait pas : ça lui donnait des frissons d’entendre parler Alexandre sans rien comprendre. Elle avait peur, elle lui prenait la main et attendait la suite des aventures qu’il inventait. Il jouait tous les rôles, même celui du vent et de la tempête !

Ce soir-là, Carmen les avait fait dîner tôt. Iris était partie à une fête du livre et Philippe à un dîner d’affaires. Alexandre et Zoé filèrent se réfugier dans le bureau de Philippe et entrèrent, avec des airs de conspirateurs, dans l’armoire magique. Alexandre avait institué tout un rituel. Il fallait d’abord chausser les petites lunettes rondes et dire trois fois « Hello, John, Hello John, Hello John ». Puis ils s’asseyaient en boule, fermaient les yeux et chantaient les paroles de la chanson de Lennon « imagine no possession, it’s not hard to do, no reason to kill or die for, and no religion too ». Enfin, ils se prenaient par la main et attendaient qu’un émissaire du MISS vienne les chercher.

Elle ne va pas nous trouver, Carmen ?

Elle regarde son feuilleton dans la cuisine…

Et ton père ?

Il rentrera tard. Arrête de penser à ça ! Concentre-toi et appelons d’abord le Grand Lapin Blanc…

Zoé ferma les yeux et Alexandre prononça les mots magiques :

Hello White Rabbit, where are you, White Rabbit ?

-423 -

Here I am, little children… Where do you want to go today ? répondit Alexandre en prenant une voix grave.

Alexandre jeta un coup d’œil à Zoé et répondit :

Central Park… New York… The Imagine garden…

Okay, children, fasten your seat belts !

Ils firent semblant d’attacher leur ceinture.

Je ne suis jamais allée à Central Park, moi, chuchota Zoé.

Moi si. Tais-toi. Suivons-le… Tu vas voir comme c’est beau. Imagine… Il y a des calèches tirées par des chevaux, des lacs avec des canards et une sculpture qui représente Alice au pays des merveilles… Là-bas, à Central Park, le Grand Lapin Blanc, il a sa statue !

Ils étaient sur le point de partir pour Central Park quand la porte du bureau s’ouvrit et qu’ils entendirent des pas.

Ton père ?

Chut ! Attends… On va bien voir.

On ne peut pas voir, on est enfermés.

T’es bête ! Attends… C’est peut-être le Grand Lapin Blanc. C’était Philippe. Ils entendirent sa voix. Il parlait au

téléphone. En anglais.

Tu crois qu’il joue avec nous ? Il connaît le MISS ?

Chut !

Il posa la main sur la bouche de Zoé et tous deux écoutèrent, en retenant leur souffle.

She didn’t write the book, John, her sister wrote it for her. I am sure of it…

Qu’est-ce qu’il dit ?

Attends !

Yes, she’s done it before ! She’s such a liar. She made her sister write the book and she is taking advantage of it ! It’s a big hit here in France… no ! really ! I’m not kidding !

Qu’est-ce qu’il dit ? Je comprends rien !

T’es chiante, Zoé ! Attends. Je te traduirai après. Tu vas me faire perdre des phrases.

So let’s do it. In New York… At the film festival. I know for sure he’s going to be there. Can you manage everything ? OK… We talk soon. Let me know…

Il raccrocha.

- 424 -


Les deux enfants restèrent pétrifiés dans l’armoire. Ils n’osaient pas bouger, à peine chuchoter. Philippe alluma alors sa chaîne hi-fi et une musique classique s’éleva, leur permettant de parler.

Qu’est-ce qu’il a dit ? Qu’est-ce qu’il a dit ? insista Zoé en enlevant ses lunettes rondes.

Il dit que ma mère n’a pas écrit le livre. Que c’est ta mère qui l’a écrit. Il dit que ma mère a déjà fait ça, que c’est une grosse menteuse.

Tu le crois ?

S’il le dit, c’est que c’est vrai… Il ment pas, lui, j’en suis

sûr.

C’est sûr que le XIIe siècle, c’est plutôt maman. Alors elle aurait écrit le livre et c’est ta mère… Mais pourquoi, Alex, pourquoi ?

J’en sais rien…

On pourrait demander au Grand Lapin Blanc ?

Alexandre la considéra sérieusement.

Non, on va rester encore un peu ; peut-être qu’il va téléphoner encore !

Ils entendaient Philippe marcher dans le bureau. Il s’arrêta. Ils comprirent qu’il était en train d’allumer un cigare et sentirent bientôt l’odeur de tabac envahir la pièce.

Ça pue ! protesta Zoé. Faut sortir. Ça me pique le nez…

Attends qu’il s’en aille d’abord. Faut pas qu’on se fasse voir… Y aurait plus de MISS après. Un endroit secret, s’il est découvert il existe plus… Retiens-toi et attends.

Ils n’eurent pas à attendre longtemps. Philippe quitta son bureau pour demander à Carmen où étaient les enfants.

Ils sortirent de l’armoire sans faire de bruit et allèrent dans la chambre d’Alexandre où Philippe les trouva, assis par terre, en train de lire des BD.

Ça va, les enfants ?

Ils se regardèrent, gênés.

— Je vous fais peur ? Vous voulez qu’on regarde un film ensemble ? Y a pas école demain, vous pouvez vous coucher tard.

- 425 -

Ils approuvèrent, soulagés, et se disputèrent sur le choix du film. Alexandre ayant choisi Matrix et Zoé, La Belle au bois dormant, Philippe les réconcilia en proposant de revoir

L’assassin habite au 21.

— Comme ça, Zoé, tu seras contente. Tu vas avoir un peu peur, mais tu sais que ça finira bien.

Ils s’installèrent devant la télévision et, pendant que Philippe mettait le film, les deux enfants se lancèrent un regard lourd de connivence.

C’est Luca qui lui en avait parlé, six mois auparavant : « En octobre prochain, il y aura un colloque sur le sacré au Moyen Âge, à Montpellier, j’y participe, vous devriez venir et intervenir. Une publication de plus, ce serait bien pour vous. » Elle partait le retrouver à Montpellier. Il parlait le vendredi. Elle avait été inscrite pour le samedi après-midi.

Il était revenu après avoir disparu tout l’été. Sans explication. Un beau jour, elle l’avait croisé à la bibliothèque. Elle n’avait pas osé poser de questions. Il avait demandé : « Vous avez passé un bel été ? Vous avez bonne mine, vous avez maigri, ça vous va bien… Je me suis acheté un portable, je déteste l’idée d’en avoir un mais je dois reconnaître que c’est pratique. Je ne savais pas où vous joindre cet été, je n’avais pas votre numéro. Nous sommes vraiment démodés tous les deux. »

Elle lui avait souri, émue de l’entendre dire « tous les deux », émue qu’il se compare à elle. Puis elle s’était reprise et avait vanté les charmes de l’été, Deauville, Paris au mois d’août, la bibliothèque presque vide, la circulation facile, les berges de la Seine, Paris Plage.

Il vint la chercher à la gare. Dans son éternel duffle-coat, le sourire aux lèvres, une barbe de trois jours qui ombrait ses joues creuses. Il avait l’air heureux qu’elle soit venue. Il s’empara de son sac et la conduisit vers la sortie en posant une main légère sur son épaule. Elle marchait en regardant à droite et à gauche si les gens l’apercevaient, flanquée d’un si bel homme. Elle remontait dans sa propre estime.

Je me suis acheté un téléphone portable, moi aussi.

-426 -


— Ah ! C’est bien… Vous me donnerez votre numéro.

Ils passèrent devant un kiosque : Une si humble reine s’étalait en vitrine sur toute une longueur de présentoir. Joséphine eut un sursaut.

Vous avez vu ? dit Luca. Quel succès ! Je l’ai acheté suite au tapage qu’on en faisait et c’est pas mal du tout. Je ne lis jamais de romans récents mais celui-là, à cause de l’époque où il se passe, j’ai eu envie de le lire. Je l’ai dévoré. Très bien fait. Vous l’avez lu ?

Joséphine bredouilla oui et, changeant de sujet de conversation, lui demanda comment se passaient les conférences. Oui, les conférenciers étaient intéressants, oui, son intervention s’était bien passée, oui, il y aurait une publication.

Et ce soir, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vous invite à dîner. J’ai réservé une table dans un restaurant, au bord de mer. On m’en a dit le plus grand bien…

L’après-midi passa vite. Elle parla vingt minutes d’une voix claire et sûre dans un amphithéâtre, devant une trentaine de personnes. Se tint droite et fut surprise de sa nouvelle assurance. Certains collègues vinrent la féliciter. L’un d’eux fit allusion au succès d’Une si humble reine en se félicitant que le XIIe siècle soit enfin remis à l’honneur et débarrassé de ses

clichés. « Bel ouvrage, beau travail », conclut-il en la quittant. Joséphine se demanda s’il parlait de son exposé ou du roman, puis se reprit en se disant que c’était la même personne qui les avait écrits. Je vais finir par l’oublier ! se dit-elle en rangeant ses papiers.

Elle retrouva Luca à l’hôtel. Ils prirent un taxi pour se rendre au restaurant sur la plage de Carnon et s’installèrent à une table près de la mer.

Vous n’avez pas froid ? demanda-t-il en dépliant le menu.

Non. Avec le chauffage extérieur qui me grille les épaules, ça va aller, répondit-elle en riant, montrant du menton le brasero qui servait de chauffage d’appoint.

Vous allez finir en grillade ! Et on vous inscrira sur le menu.

Il rit et cela le changea beaucoup. Il avait l’air plus jeune et plus léger, débarrassé des ombres qui l’entouraient d’habitude.

-427 -

Elle se sentait d’humeur gaie, désinvolte. Jeta un œil sur le menu et décida de prendre la même chose que lui. Il commanda le vin d’un air sérieux. C’est la première fois que je le vois aussi détendu, peut-être après tout est-il heureux d’être en ma compagnie.

Il lui posa des questions sur ses filles, lui demanda si elle avait toujours eu envie d’avoir des enfants ou si Hortense et Zoé avaient été les fruits d’un hasard conjugal. Elle le regarda, étonnée. Elle ne s’était jamais posé la question.

En fait, vous savez, je ne réfléchissais pas beaucoup avant. C’est depuis ma séparation d’avec Antoine que la vie est devenue plus compliquée. Plus intéressante aussi… Avant, je me laissais vivre, je suivais mon petit bonhomme de chemin : je me suis mariée, j’ai eu des enfants et je me serais bien vue vieillir avec mon mari, puis devenir grand-mère. Une petite vie sans histoire. C’est la séparation qui m’a réveillée…

Et le réveil a été dur ?

Assez dur, oui.

Vous vous rappelez quand nous sommes allés au cinéma, la première fois, vous m’aviez dit que vous écriviez un livre et puis vous vous êtes reprise, je voulais savoir si c’était une erreur de langage ou…

J’avais dit ça ? demanda Joséphine pour gagner du temps.

Oui. Vous devriez écrire, vous avez une manière très vivante de parler de l’histoire ancienne. Je vous ai écoutée, cet après-midi.

Et vous ? Pourquoi n’écrivez-vous pas ?

Parce que pour écrire, il faut se mettre à son compte. Avoir un point de vue. Savoir qui on est… Et ça, je ne le sais pas encore.

Pourtant, vous donnez l’impression inverse…

Ah oui ?

Il avait levé un sourcil douloureux et jouait avec son verre de vin.

— Alors on va dire que les apparences sont trompeuses… D’ailleurs, les apparences sont presque toujours trompeuses. Vous savez, nous avons quelque chose en commun, tous les deux, nous sommes des solitaires… Je vous observe à la

- 428 -