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Добавлен: 05.08.2024

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bibliothèque, vous ne parlez à personne, je suis très flatté que vous vous soyez intéressée à moi.

Elle rougit et balbutia :

Vous vous moquez de moi !

Non, je suis sérieux. Vous travaillez, les yeux rivés à vos bouquins, et repartez comme une petite souris. Sauf quand vous renversez des livres !

Joséphine se mit à rire.

Il régnait un air d’irréalité autour de ce dîner. Elle n’arrivait pas à croire que c’était elle, assise en face de lui, sur cette terrasse au bord de la mer. Sa timidité la quittait, elle avait envie de se confier, de parler. Le restaurant s’était rempli et un brouhaha sonore avait remplacé le calme du début de soirée. Ils étaient obligés de se pencher l’un vers l’autre pour parler, cela renforçait leur intimité.

Luca, je voudrais vous poser une question très personnelle…

Elle mit son audace sur le compte du vin, de l’air marin, de cette fin d’été qui traînait sur les nappes blanches, des jupes courtes des femmes. Elle se sentait bien. Tout ce qui l’entourait semblait pénétré du même bien-être. La buée de la nuit dessinait des festons sur le parquet en bois et elle y lisait un message d’encouragement. Elle avait l’impression, inhabituelle pour elle, d’être en accord avec le décor. Elle sentait le bonheur

àportée de main et ne voulait pas le laisser passer.

Vous ne vous êtes jamais marié ? Vous n’avez jamais eu envie d’avoir des enfants ?

Il ne répondit pas. Il se rembrunit, ses yeux glissèrent au loin et ses lèvres se pincèrent en deux traits fermés, amers.

Je préférerais ne pas répondre, Joséphine…

Elle eut de nouveau cette sensation pénible d’avoir commis un impair.

Je suis désolée, je ne voulais pas vous blesser.

Vous ne m’avez pas blessé. Après tout, c’est moi qui ai commencé à vous poser des questions personnelles…

Mais si on ne parle que de généralités ou du Moyen Âge, on ne saura jamais rien l’un de l’autre, protesta-t-elle sans mot dire. Cet été encore, en feuilletant les journaux, elle l’avait

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repéré dans des publicités, dont une pour un parfum masculin ; il tenait dans ses bras une longue femme brune aux cheveux longs qui renversait la tête en riant, laissant apercevoir une taille fine et musclée. Elle s’était arrêtée longuement sur cette publicité : il y avait dans les yeux de Luca une intensité qu’elle ne lui avait encore jamais vue. Un désir grave et impérieux. Les hommes vont avoir envie d’acheter cette eau de toilette pour lui ressembler. Elle s’était demandé si elle n’allait pas se laisser pousser les cheveux comme la fille brune.

Je vous ai vu cet été dans une campagne pour une eau de toilette, je crois, lança-t-elle, désirant changer de sujet.

Ne parlons pas de ça, voulez-vous ?

Son regard était redevenu secret, impénétrable. Il tourna la tête vers l’intérieur du restaurant comme s’il attendait quelqu’un. L’homme aimable, enjoué, qui lui parlait quelques minutes avant était parti et il ne restait qu’un étranger.

— Il fait froid, vous ne voulez pas rentrer ?

Dans le taxi qui les ramenait à l’hôtel, Joséphine l’observait. Il se tenait dans un coin et regardait par la fenêtre.

Je suis désolée, je n’aurais pas dû vous poser ces questions. On était si bien, juste avant que je parle, je me suis laissée aller…

Il la regarda avec infiniment de douceur, de lassitude et, l’attirant vers lui, passa son bras autour de sa taille.

Vous êtes délicieuse, Joséphine. Vous ne savez pas à quel point vous me touchez. Ne changez pas, s’il vous plaît, ne changez pas !

Il avait prononcé ces derniers mots comme une supplique. Joséphine fut surprise de l’intensité qu’il y avait dans sa voix.

Il lui releva la tête, plaça un doigt sous son menton et, la forçant à le regarder dans les yeux, ajouta :

C’est moi qui suis impossible. Je vais mieux quand vous êtes là. Vous m’apaisez, j’aime parler avec vous…

Elle posa la tête sur son épaule et se laissa aller. Elle respirait son odeur, cherchant à identifier la verveine et le citron, le bois de santal et l’écorce d’oranger, se demandant si c’était le même parfum que celui de la publicité. Les réverbères des avenues défilaient par la fenêtre ; elle souhaitait que la promenade dans

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la nuit ne se termine jamais. Le bras de Luca autour de sa taille, le silence de la nuit, le bercement régulier de la voiture et les arbres maigres qui se dressaient, blafards dans les phares. Elle s’abandonna sans plus réfléchir quand il l’embrassa. Un long baiser doux, tendre qui ne s’interrompit que parce que le taxi s’était arrêté devant l’hôtel.

Ils prirent leur clé en silence, montèrent au troisième étage où se trouvaient leurs chambres et quand Luca, sur le seuil de sa chambre, étendit le bras pour entrer, elle le laissa faire.

Elle le laissa faire quand il posa ses mains sur ses épaules et reprit son baiser.

Elle le laissa faire quand il souleva son pull pour la caresser. Elle le laissa faire…

Mais, alors qu’elle était sur le point de s’oublier contre lui, l’image de la femme brune de la publicité revint s’imposer entre Luca et elle. Elle vit sa taille fine, son ventre bronzé, musclé, ses bras délicats rejetés en arrière ; elle serra les dents, rentra son ventre, l’aspira de toutes ses forces pour qu’il ne sente pas les bourrelets de sa taille, je suis grosse, je suis moche, il va me déshabiller, il va s’en apercevoir… Elle s’imagina nue contre lui : une mère de famille avec des cheveux fins et plats, des petits boutons dans le dos, une taille épaisse, une grosse culotte de coton blanc…

Elle le repoussa et murmura « non, non, non, s’il vous plaît, non ».

Il se redressa, étonné. Se reprit. S’excusa et, prenant un ton léger, déclara :

Je ne vous importunerai pas. N’en parlons plus. On se retrouve demain au petit-déjeuner ?

Elle hocha la tête, la bouche pleine de larmes, et le regarda disparaître.

Nulle, Shirley ! J’ai été nulle. Il était là contre moi, il m’embrassait, c’était si bon, si bon et moi, je n’ai pensé qu’à mes bourrelets, à ma culotte en coton blanc… Il est parti et j’ai pleuré, pleuré… Le lendemain, au petit-déjeuner, on a repris comme si de rien n’était. Lui très poli, très doux, me passant la

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panière de croissants, me demandant si j’avais bien dormi, à quelle heure était mon train. Et moi, refusant de manger un seul croissant par haine du bourrelet envahissant. C’est le rêve de ma vie, cet homme, et je le repousse ! Je suis folle, je crois que je suis folle… C’est fini, il ne m’arrivera plus rien. Ma vie est finie.

Shirley la laissa terminer sa tirade puis, étalant avec un rouleau à pâtisserie la pâte à tarte blanche et molle sur la table, elle déclara :

Ta vie n’est pas finie, elle commence à peine. Le seul problème, c’est que tu ne le sais pas. Tu viens d’écrire un livre qui triomphe…

C’est pas grâce à moi.

C’est pas toi qui l’as écrit, ce livre ?

Si mais…

Toi et personne d’autre, répliqua Shirley, pointant le rouleau à pâtisserie d’un geste menaçant vers Joséphine.

Oui mais…

Mais tu ne savais pas que tu pouvais écrire. Donc soyons positives, ta sœur t’a rendu service… Tu ne l’aurais pas écrit si elle ne te l’avait pas demandé, et en plus, tu vas gagner plein de sous.

C’est sûr.

Grâce à elle, tu sais que tu peux le faire. Un bon point pour toi. Maintenant, fais-moi plaisir et oublie ce livre. Oublie ce livre et continue ton petit bonhomme de chemin… Écris. Écris pour toi ! Mets-toi à ton compte. Tu as envie d’un homme et tu le repousses, tu as envie d’écrire et tu hésites, merde, Jo, fonce un peu, tu es exaspérante avec tes hésitations et tes doutes. Et surtout, surtout, arrête de te trouver moche et grosse ! Tu ne l’es pas.

Alors pourquoi je me vois comme ça, tu peux me l’expliquer ?

Audrey Hepburn était persuadée qu’elle était moche, souviens-toi. On se trouve toutes moches !

Pas toi !

Disons que moi, j’ai reçu plus d’amour que toi au départ. J’ai reçu l’amour fou d’une mère qui devait se cacher pour m’aimer mais qui m’aimait à la folie. Et mon père aussi !

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— Elle était comment, ta mère ?

Shirley hésita un instant, fit des trous avec une fourchette dans sa pâte étalée, puis :

Elle ne disait rien, ne montrait pas grand-chose mais il suffisait que j’entre dans la pièce où elle se trouvait pour que son visage s’éclaire, que son front se déplisse, que tous ses soucis disparaissent. Elle ne me tendait pas les bras, elle ne m’embrassait pas, mais elle me jetait un tel regard d’amour que je le recevais en fermant les yeux de bonheur. Je le sentais si fort que, parfois, je faisais exprès de revenir dans la pièce où elle se trouvait rien que pour lire à nouveau la joie sur son visage ! Elle m’a construite sans un mot, sans un geste ; elle m’a donné une base si solide que je n’ai pas les mêmes doutes que toi…

Et ton père ? demanda Joséphine, surprise que Shirley se mette à parler de son enfance et entendant bien en profiter.

Mon père aussi. Tout aussi silencieux et discret que ma mère. Jamais un geste en public, jamais un baiser ni une caresse. Il ne pouvait pas. Mais il était là, toujours. Tous les deux. Ils ont toujours été là et je peux t’assurer que ce n’était pas facile pour eux… Toi, tu n’as pas eu ça ; tu as grandi toute seule, mal assurée sur tes pieds. Tu trébuches encore aujourd’hui mais tu y arriveras, Jo, tu y arriveras !

Tu crois ? Après ce qu’il s’est passé la nuit dernière avec Luca, je n’ai pas beaucoup d’espoir…

C’était une péripétie. Mais ce n’est pas fini. Et si ce n’est pas avec lui, ce sera avec un autre…

Joséphine soupira et compta les tranches de pomme que Shirley étalait maintenant sur la pâte.

Pourquoi tu les coupes si fines ?

Parce que c’est meilleur… Plus croquant.

as-tu appris à faire la cuisine ?

Dans des cuisines…

Très drôle !

Fin des confidences pour aujourd’hui, ma belle. Je t’ai beaucoup parlé… Tu sais que tu deviens rusée ?

Shirley enfourna la tarte aux pommes, déclencha le minuteur et proposa à Joséphine d’ouvrir une bonne bouteille de vin pour fêter sa nouvelle vie.

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Ma nouvelle vie ou mon dernier échec ?

Your new life, stupid !

Elles étaient en train de trinquer à l’audace nouvelle de Joséphine lorsque Gary entra dans la cuisine, suivi d’Hortense. Il tenait un casque de moto sous le bras, avait les cheveux dressés sur la tête et posa un baiser sur le crâne de sa mère.

Tu as fini tes tartes, mummy chérie ? Si tu veux, je peux aller te les livrer. J’ai le scooter d’un pote…

Je ne veux pas que tu fasses du scooter. C’est trop dangereux ! s’écria Shirley en frappant la table du plat de la main. Je te l’ai dit cent fois !

Mais je serai avec lui et je le surveillerai, dit Hortense.

C’est ça ! Il conduira la tête dévissée vers toi et vous aurez un accident. Non ! Je me débrouillerai toute seule ou Jo m’accompagnera.

Jo hocha la tête. Les deux adolescents se regardèrent en soupirant.

Il reste pas un morceau de tarte, je meurs de faim ? marmonna Gary.

Articule quand tu parles, je comprends rien. Tu peux manger ce bout-là, il a trop cuit… Tu en veux aussi, Hortense ?

Hortense attrapa des miettes de pâte en humectant le bout de ses doigts.

Ça fait grossir, la tarte…

Tu risques rien, toi, dit Joséphine en lui souriant.

Maman, si tu veux rester mince, il faut faire attention tout le temps.

Tiens, au fait, j’ai eu des nouvelles de Max, poursuivit Gary, la bouche pleine. Il est revenu à Paris et habite chez sa mère… Il en pouvait plus des biquettes !

Il a repris l’école ?

Non. Il a plus de seize ans, il n’est plus obligé d’y aller…

Mais qu’est-ce qu’il fait alors ? demanda Joséphine, inquiète.

Il traîne… Il est passé au lycée.

Il va mal finir, pronostiqua Hortense. Il deale du shit et joue au poker avec sa mère sur Internet…

Et madame Barthillet ? demanda Joséphine.

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Il paraît qu’elle se fait entretenir par un pied-bot. C’est comme ça que Max l’appelle… Le pied-bot !

Il aurait pu être si mignon, Max, soupira Joséphine. J’aurais peut-être dû le garder avec moi…

Max à la maison, moi je me cassais ! protesta Hortense. Tu viens, Gary, on va essayer le scooter… Je te promets, Shirley, on fait pas de folies.

Vous allez où ?

Iris nous a proposé de passer la voir au studio Pin-up. Elle fait une série de photos pour Elle. Ça commence dans une petite heure. Gary m’y conduit et on reste un peu. Iris veut que je lui donne mon avis sur ses tenues. Elle m’a demandé de lui faire un look. On va aller faire des courses ensemble la semaine prochaine…

J’aime pas ça, j’aime pas ça, grommela Shirley. Tu fais bien attention, Gary, promis ? Et tu mets ton casque ! Et vous rentrez pour dîner !

Gary déposa un baiser sur le front de sa mère, Hortense fit un geste de la main vers Joséphine et ils sortirent en se bousculant.

J’aime pas qu’il fasse du scooter, j’aime pas… Et puis, j’aime pas non plus qu’Hortense lui tourne autour. Cet été, en Écosse, il l’avait oubliée. Je ne voudrais pas que ça recommence, son obsession pour elle…

Moi, j’ai jeté l’éponge, avec Hortense. Qu’est-ce que tu veux : elle va avoir seize ans, elle est première de sa classe, les profs chantent ses louanges. Je n’ai rien à lui reprocher… Et de toute façon, je n’ai pas les moyens de m’opposer à elle. Elle est de plus en plus indépendante. C’est drôle quand on y pense : il y a deux ans encore, c’était une petite fille…

Hortense n’a jamais été une petite fille, Jo. Je suis désolée de te faire de la peine : ta fille a toujours été une garce.

Changeons de sujet ou on va se disputer. Tu ne l’as jamais aimée.

Si. Il y a très longtemps. Mais je n’aime pas comment elle traite les gens. Elle manipule les uns, elle exploite les autres, elle n’a pas un gramme de cœur.

Toi, dès qu’on touche à ton fils…

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— Drapeau blanc ! On arrête. Tu viens avec moi livrer mes gâteaux ?

Marcel Grobz, emmitouflé dans un pardessus en tweed et une écharpe jaune écossaise, était assis sur un banc, sous la glycine de la cour, et regardait d’un œil morne les sarments noueux et secs où perlaient des gouttes de pluie. Josiane était partie. Elle avait disparu depuis quinze jours. Elle s’était baissée, avait empoigné son sac de voyage et clic, clac, de ses petits talons pointus, elle avait pris la porte. Clic, clac sur les pavés de la cour, clic, clac en poussant la grille. Il n’avait pas eu la force de lui courir après. Écrasé de chagrin, il avait suivi le bruit des talons et s’était laissé tomber sur la chaise devant le bureau de Josiane. Depuis, il s’asseyait partout où il pouvait, dès qu’il avait un moment de répit, et entendait le bruit sec et résolu des talons de Josiane. Ça lui tordait le cœur.

Une feuille morte se détacha d’un arbre et tomba en tourbillonnant à ses pieds. Il se pencha, la ramassa, la froissa entre ses doigts. Sans Josiane, il n’avait plus envie de se battre. Et Dieu sait qu’il avait besoin de toutes ses forces, en ce moment. Il livrait la bataille la plus dure de sa carrière. Pour elle, pour eux, pour ce bébé dont ils n’arrêtaient pas de parler et qui se faisait désirer.

Ginette l’aperçut par la fenêtre de l’atelier, gara son chariot élévateur et vint le retrouver sur le banc. Elle s’essuya les mains sur sa salopette et, lui donnant une bourrade dans le dos, s’assit

àcôté de lui.

Ça va pas fort, hein, mon pauvre vieux ?

Non. Sans elle, j’arque plus…

Fallait pas la laisser partir. Tu pousses, Marcel, tu pousses ! Je la comprends… Elle en peut plus d’attendre, la pauvre môme !

Et tu crois que ça me fait plaisir de la faire attendre ?

Il ne tient qu’à toi que les choses se règlent. Depuis que tu en parles et que tu ne fais rien ! Forcément, elle pense qu’il y a une couille dans le pâté. T’as qu’à demander le divorce et tout s’arrangera.

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Je peux pas demander le divorce en ce moment, je suis sur un énorme coup ! Tu n’en parles à personne, Ginette, promis ? Même pas à René…

Promis. Tu me connais, je suis aussi bavarde qu’une pierre tombale !

Je suis sur le point de racheter le plus gros fabricant asiatique de meubles et d’articles de maison. C’est énorme, énorme ! J’ai hypothéqué tous mes biens, je suis à poil et je ne peux pas me payer le luxe d’une séparation avec Henriette ; elle me demanderait immédiatement ce à quoi elle a droit : la moitié de ma fortune ! Ça fait un an et demi que l’affaire est dans les tuyaux. Personne ne le sait. Je dois agir dans le plus grand secret. Ça traîne, ça traîne, j’ai engagé un bataillon d’avocats et j’ai beau essayer de précipiter le mouvement, je n’y arrive pas. Pourquoi crois-tu que je viens de passer un mois plein en Chine ? Pour mon plaisir ?

Pourquoi tu lui as pas dit ?

Marcel grimaça et se renfonça dans son manteau.

Depuis l’histoire avec Chaval, j’ai moins confiance. C’est pas que je l’aime moins, non, mais je me méfie. Je suis vieux, elle est jeune, elle peut retomber dans les bras de Chaval, friande de chair fraîche. Un vieil instinct qui me vient de l’enfance. J’ai appris à redouter le pire, à guetter la trahison. Alors je préfère qu’elle me prenne pour un badouille…

C’est sûr qu’elle pense que tu pètes de trouille et que tu la quitteras jamais, la Chapeautée !

Après quand tout sera signé, j’aurai les coudées franches. Je me suis débrouillé pour qu’elle n’ait rien à voir dans la nouvelle organisation, pas la moindre participation dans le chiffre d’affaires ni dans la gestion, je lui ferai une rente confortable jusqu’à la fin de ses jours, je lui laisserai l’appartement, elle ne manquera de rien, je ne serai pas chien, je t’assure…

Je le sais, Marcel. T’es un brave gars…

Mais si Josiane est pas là, à quoi ça sert tout ça ? À rien… Il ramassa une autre feuille morte, joua un moment en la

faisant tourner entre ses doigts puis la balança à terre.

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J’attendais tellement cet enfant. J’attendais tellement de vivre avec elle ! C’était mon petit moteur à moi. Qu’on boulotte tous les deux, tranquilles, peinards avec le petit dans les jambes. Toute ma vie, j’ai rêvé d’avoir un enfant et là, je croyais toucher au but…

Ginette enfonça ses mains dans les poches de sa salopette et respira un bon coup.

Bon, Marcel. J’ai deux nouvelles pour toi : une bonne et une mauvaise. Tu commences par laquelle ?

La mauvaise. Au point où j’en suis… J’arrête pas d’amortir !

La mauvaise, c’est que je ne sais pas où elle est. Aucune idée. Elle m’a rien dit, pas téléphoné, pas le moindre souffle de vie de sa part…

Ah ! laissa échapper Marcel dans un soupir déçu. Je pensais que tu savais, que tu me disais rien parce qu’elle te l’avait demandé. Je comptais même te cuisiner, tu vois…

Elle m’a pas appelée… Elle doit vraiment être en pétard. Elle me met dans le même sac que toi.

Il laissa tomber sa tête entre ses jambes et attendit un moment. Puis il se redressa, et le regard vide, demanda :

Et la bonne ?

La bonne ? C’est qu’elle est enceinte. De trois mois. Elle allait sûrement te le dire quand vous vous êtes embrouillés…

La bouche de Marcel s’arrondit en un oh ! de surprise émerveillée et son regard eut l’innocence de celui d’un enfant. Il bégaya, balança la tête, les épaules. Son corps se mit à vibrer comme si le bébé reposait en lui et dansait dans son ventre. Il saisit la main de Ginette, la serra à lui briser les os.

Tu peux répéter, dis, tu peux répéter…

Elle est enceinte, Marcel. Et folle de joie… Elle l’a appris peu de temps après ton départ en Chine et, s’il n’y avait pas eu la visite de la Chapeautée avec la photo de la Russe, elle te l’aurait claironné au téléphone que tu en aurais eu les tympans percés…

Elle est enceinte ! Elle est enceinte ! Merci, mon Dieu, merci !

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