ВУЗ: Не указан
Категория: Не указан
Дисциплина: Не указана
Добавлен: 05.08.2024
Просмотров: 448
Скачиваний: 0
Elisa s’était inclinée, avait dit « how are you, nice to meet you ». Iris l’avait regardée, les yeux écarquillés de stupeur.
«Tu… Tu… es marié ? » avait-elle demandé d’une petite voix tremblante au géant. Gabor avait éclaté de rire et avait ajouté :
«Yes and I have three kids ! » Puis, lâchant Iris comme on repose un objet un instant convoité, il avait empoigné sa femme et l’avait assise à côté de lui. D’autres personnes s’étaient approchées, il s’était relevé, avait repris ses embrassades avec le même entrain, la même chaleur, Hé ! Jack !, Hé ! Terry ! Hé ! Roberta !, les prenant dans ses bras, les soulevant de terre, donnant à chacun l’impression d’être la seule personne au monde qui comptait, puis, se tournant vers sa femme, il les lui présentait en la maintenant fermement à ses côtés. Quelle générosité ! Quelle force ! n’avait pu s’empêcher de penser Philippe. Il ressemble à ses films : débraillé et fulgurant. C’est un projecteur. Il vous propulse dans la lumière d’un bel élan sincère, puissant, généreux, puis vous remet dans l’ombre quand il détourne son regard. Il semble tout accorder à une personne et, l’instant d’après, son attention se déplace et il donne tout à une autre, abandonnant la précédente à une solitude douloureuse.
Iris s’était rassise. Elle n’avait plus dit un mot.
Et maintenant, dans la cabine première classe d’Air France, elle dormait. Ou faisait semblant de dormir. Le retour va être rude, pensa Philippe.
John Goodfellow avait œuvré de manière magistrale. C’est lui qui avait suivi Gabor Minar à la trace, lui qui avait convaincu son producteur de le faire venir à New York, lui qui s’était assuré qu’il serait là au dîner du Waldorf. Ça avait été dur d’arranger cette rencontre. Ça leur avait pris près de deux ans. Il y avait eu trois tentatives ratées : à Cannes, à Deauville et à Los Angeles. L’homme était volatil. Il disait qu’il viendrait et, à la dernière minute, il changeait ses plans et s’envolait pour une autre destination. John avait dû faire miroiter au producteur et à son protégé une rencontre avec le numéro 1 d’un studio américain pour être sûr qu’il serait là. Puis convaincre l’Américain de se rendre à New York, l’appâter avec la promesse d’avoir Gabor Minar pour son prochain film. Des mensonges
-459 -
soigneusement élaborés en passant par des intermédiaires soigneusement choisis. Un château branlant de mensonges. Jusqu’à la dernière minute, l’oiseau aurait pu s’envoler.
Le lendemain, en fin de matinée, quand ils s’étaient rejoints au bar du Waldorf, Philippe l’avait félicité :
—Good job, John !
—Jamais vu un homme aussi dur à localiser ! s’était exclamé John. Et pourtant, je suis habitué. Mais lui ! Il change d’endroit tout le temps. Vous avez vu sa femme ? Elle est belle, hein ? Parfois, elle me fait pitié, elle a l’air épuisé. Je suis passée par elle, entre autres contacts. Je crois qu’elle aimerait bien qu’ils se fixent quelque part. C’est une femme intelligente, elle a compris comment il fonctionnait et elle le suit partout. Dans l’ombre. Jamais une photo d’elle ni de leurs enfants dans la presse. À peine si on sait qu’il est marié ! Sous ses apparences bohèmes, l’homme est un fidèle. Obsédé par son travail, il ne batifole pas. Ou peut-être une ou deux broutilles avec une script ou une maquilleuse, des soirs où il est ivre. Rien qui puisse faire de l’ombre à sa femme. Il la respecte infiniment. Il l’aime. Elle est sa charpente. Il a trouvé son alter ego et je vais vous étonner, mais je crois que c’est un sentimental. Je pense qu’au départ elle était comme lui mais elle a vite compris qu’il n’y avait pas de place pour deux génies tourbillonnants dans le couple. Elle est hongroise comme lui. Cosmopolite comme lui. Artiste comme lui. Folle comme lui, mais la tête vissée sur les épaules quand il le faut. Elle le suit. Avec les bagages, les enfants, une sorte de gouvernante qui fait partie de la famille. Les enfants vont à l’école quand leur père se pose, le temps d’un tournage, de l’écriture d’un film. Ils parlent toutes les langues mais je ne crois pas qu’ils savent les écrire ! On m’a dit qu’un de ses fils voulait être footballeur et pour ça, y a pas besoin de faire de longues études !
Il avait éclaté de rire. Avait commandé du jus d’orange et du café.
—Vous n’avez pas d’autre boulot pour moi ?
—Désolé, John, je n’ai qu’une femme. Et encore, je ne sais pas pour combien de temps.
Ils avaient ri.
-460 -
— Elle a réagi comment ?
Philippe posa un doigt sur ses lèvres closes.
—Rien. Silence total. Elle n’a pas dit un mot depuis hier soir.
—Ça vous a beaucoup fait souffrir, cette histoire, n’est-ce
pas ?
—Vous ne savez pas ce que c’est, John, que de vivre en permanence à trois. Et avec un fantôme, en plus. Parce qu’elle l’idéalisait ! Il était devenu parfait : beau, intelligent, célèbre, riche, captivant, fascinant…
—Sûrement pas propre. Il est vraiment sale. Il pourrait faire un effort !
—C’est votre côté gentleman anglais qui se bouche le nez. Gabor est un Slave, il vit avec son âme, pas dans un pressing !
—Dommage, j’aimais bien travailler avec vous.
—Quand vous passerez par Paris, faites-moi signe, on ira déjeuner ensemble. Et ce n’est pas une promesse en l’air.
—Je sais… j’ai appris à vous connaître. Vous êtes un homme délicat et fidèle. Au début, je vous trouvais un peu… coincé, old fashion, mais finalement vous êtes très attachant.
—Merci, John.
Ils avaient fini leur petit-déjeuner en parlant de cinéma, de Doris, la femme de John, qui se plaignait de ne jamais le voir, de ses enfants, de la vie qu’il menait. Puis ils s’étaient serré la main et s’étaient quittés. Philippe l’avait regardé s’éloigner avec mélancolie. Leurs rendez-vous à Roissy allaient lui manquer. Ils avaient un petit côté clandestin qui lui plaisait bien. Il sourit intérieurement et se moqua de lui, c’est bien ton seul côté aventurier, toi l’homme avec la raie sur le côté si bien tracée.
Iris bougea dans son sommeil et marmonna quelque chose que Philippe ne comprit pas. Il lui restait encore un mensonge, une illusion à laquelle se consacrer : Une si humble reine. Elle ne l’a pas écrit, j’en suis sûr. C’est Joséphine qui l’a écrit. Joséphine. Il l’avait appelée avant de partir pour New York afin qu’elle traduise un contrat et, très gentiment, elle avait décliné. « Il faut que je retourne à mon HDR. – Ton quoi ? – Mon dossier d’habilitation à diriger des recherches, lui avait-elle traduit. – Pourquoi que tu “retournes”, tu t’en es détournée récemment ? » Elle avait marqué un temps d’arrêt et avait
- 461 -
répondu : « Tu fais attention à tout, Philippe ! Il faut que je surveille mes mots, tu es redoutable ! – Seulement avec les gens que j’aime, Jo… » Il y avait eu un silence gêné. Sa maladresse était devenue une grâce empreinte de mystère et de profondeur. Ses silences n’étaient plus confus mais perspicaces. Elle lui manquait. Il avait de plus en plus envie de lui parler, de se confier. Il lui arrivait de composer son numéro, puis il raccrochait.
Il regarda la belle endormie à ses côtés et se dit que son histoire d’amour avec Iris allait se dénouer bientôt et que de cela aussi, il faudrait qu’il s’occupe : il ne voulait pas perdre Alexandre. Mais allait-elle se battre pour le garder ? Ce n’était même pas sûr…
—Alors toi, tu m’étonneras toujours ! Tu plonges la tête dans un lavabo et tout ton passé revient ! Comme ça ! D’un coup d’évier magique !
—Je te jure que ça s’est passé comme je te l’ai raconté. Mais pour être tout à fait honnête, ça avait commencé avant… des bribes qui revenaient, des morceaux de puzzle qui flottaient, mais il en manquait toujours le centre, le sens…
—What a bitch, your mother ! Tu sais qu’on aurait pu la traduire en justice pour non-assistance à personne en danger.
—Que voulais-tu qu’elle fasse ? Elle ne pouvait en sauver qu’une. Elle a choisi Iris…
—Et tu prends sa défense, en plus.
—Je ne lui en veux pas. Ça m’est égal. J’ai survécu…
—Oui mais à quel prix !
—Je me sens si forte, depuis que je suis débarrassée de ce passé. C’est un cadeau du ciel, tu sais…
—Arrête de me parler du ciel avec des yeux d’ange.
—Je suis sûre que j’ai un ange gardien qui veille sur moi…
—Et qu’est-ce qu’il faisait, ton ange gardien, ces dernières années ? Il se tricotait de nouvelles ailes ?
—Il m’a appris la patience, l’obstination, l’endurance, il m’a donné le courage d’écrire le livre, il m’a donné l’argent du livre qui me délivre des soucis quotidiens… Je l’aime bien, mon ange.
-462 -
Tu n’as pas besoin d’argent, par hasard ? Parce que je vais devenir très riche et je n’entends pas être grippe-sou !
— Arrête, je suis richissime.
Shirley haussa les épaules, croisa et décroisa les jambes, énervée.
Elles étaient chez le coiffeur et recommençaient la cérémonie des mèches. Elles bavardaient, transformées en arbres de Noël, des papillotes argentées sur la tête.
—Et les étoiles, tu leur parles toujours ?
—Je parle à Dieu directement quand je leur parle… Quand j’ai un problème, je prie, je Lui demande de m’aider, de me donner la force et Il le fait. Il me répond toujours.
—Jo, tu files un mauvais coton…
—Shirley, je vais très bien. Ne t’inquiète pas pour moi.
—Tes propos sont de plus en plus bizarres. Luca te bat froid, tu perds la tête, tu la plonges dans un lavabo et tu en ressors guérie d’un traumatisme ancien. Tu te prendrais pas pour Bernadette Soubirous, des fois ?
Joséphine soupira et rectifia :
—Luca me bat froid, je crois mourir, je revis l’abandon tragique de mon enfance et je recolle les morceaux, autre version.
—En tous les cas, celui-là, j’espère qu’il n’aura pas le culot de te rappeler.
—C’est dommage, je crois que j’étais amoureuse. J’étais si bien avec lui. Ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps… depuis Antoine !
—Tu as des nouvelles d’Antoine ?
—Il envoie des mails aux filles. Toujours les mêmes histoires de crocodiles. Au moins, il est payé et il rembourse son emprunt. Il ne vit pas sa vie, Antoine, il la rêve, les yeux grands ouverts.
—Un jour, il va s’écraser contre un mur.
—Je ne le souhaite pas. Mylène sera là…
—Celle-là, c’est une dure à cuire ! Mais je l’aime bien…
—Moi aussi. Je ne suis plus jalouse du tout…
Elles étaient sur le point de chanter les louanges de Mylène quand on vint les chercher pour leur ôter leurs boules de Noël.
- 463 -
Elles filèrent toutes les deux au bac à shampooing et renversèrent la tête, silencieuses, les yeux fermés, vagabondant dans leurs pensées.
Joséphine insista pour payer. Shirley refusa. Elles se disputèrent à la caisse, sous les yeux amusés de Denise. Ce fut Jo qui l’emporta.
Elles repartirent, se mirant dans les vitrines, se complimentant sur leur bonne mine.
—Tu te souviens, il y a un an, quand tu m’as traînée faire des mèches pour la première fois… On avait été agressées dans cette rue…
—Je t’avais défendue !
—Et j’avais été étonnée par ta force. Shirley, je t’en supplie, dis-moi ton secret… J’y pense tout le temps.
—T’as qu’à demander à Dieu, Il te répondra.
—On ne plaisante pas avec Dieu ! Non, dis-moi, toi. Moi je te dis tout, tout le temps je te fais confiance, et toi, tu restes muette. Je suis grande, tu dis toi-même que j’ai changé. Tu peux me faire confiance maintenant.
Shirley se retourna vers Joséphine et la regarda gravement.
—Il ne s’agit pas que de moi, Jo. Je mets d’autres personnes en péril. Et quand je dis péril, je ferais mieux de dire grand danger, secousses sismiques, tremblement de terre…
—On ne peut pas vivre tout le temps avec un secret.
—Moi, j’y arrive très bien. Sincèrement, Jo, je ne peux pas. Ne me demande pas l’impossible…
—Je ne saurais pas taire ce que Gary tait depuis longtemps ? Tu me juges si faible ? Regarde ce que ça m’a aidée que tu saches pour le livre…
—Moi, je n’ai pas besoin d’être aidée, je vis avec depuis que je suis toute petite. J’ai été élevée dans le secret. C’est ma nature…
—Ça fait huit ans que je te connais. Personne n’est jamais venu me mettre un couteau sur la gorge en me posant des questions sur toi.
—C’est vrai…
—Alors…
—Non. N’insiste pas.
-464 -
Elles continuèrent à marcher sans rien dire. Joséphine passa le bras sous celui de Shirley et s’appuya contre l’épaule de son amie.
—Pourquoi tu m’as dit que tu étais richissime tout à l’heure ?
—Je t’ai dit ça ?
—Oui. Je t’ai proposé de te dépanner si tu avais des problèmes d’argent et tu m’as dit « arrête, je suis richissime »…
—Tu vois, Joséphine, comme les mots sont dangereux dès qu’on devient intimes, qu’on se lâche… Avec toi, je ne fais pas attention, et les mots jaillissent comme les pièces de ton puzzle. Un jour, tu vas découvrir la vérité toute seule… dans un lavabo de palace !
Elles éclatèrent de rire.
—Je ne vais plus fréquenter que des lavabos, désormais. Ce sera mon marc de café. Lavabo, beau lavabo, dis-moi qui estcette femme que j’aime à la folie et qui joue les mystérieuses ?
Shirley ne répondit pas. Joséphine pensa à ce qu’elle venait de dire sur les mots qui vous échappent et vous trahissent. L’autre jour, sans qu’elle sache pourquoi, l’attention de Philippe l’avait troublée. Et, si je suis honnête avec moi, j’ai aimé cette tendresse dans sa voix. Elle avait raccroché, surprise par l’émotion qui l’avait submergée. Rien que d’y penser à nouveau, le rouge lui monta aux joues.
Dans l’ascenseur, sous la lumière blafarde du plafonnier, Shirley lui demanda : « Tu penses à quoi, Joséphine ? », elle secoua la tête et dit « à rien ». Sur le palier, devant la porte de Shirley, un homme habillé tout en noir était assis sur le paillasson. Il les vit arriver et ne se leva pas. Oh ! My God ! chuchota Shirley. Puis se tournant vers Jo, elle enchaîna :
—Prends l’air naturel et sois souriante. Tu peux parler, il ne comprend pas le français. Peux-tu me garder mon fils ce soir et cette nuit ?
—Pas de problème…
—Peux-tu aussi le guetter qu’il ne vienne surtout pas sonner chez moi, qu’il aille directement chez toi ? Cet homme ne doit pas savoir qu’il habite ici avec moi, il croit qu’il est pensionnaire.
-465 -
—D’accord…
—C’est moi qui viendrai te voir quand il sera parti, mais jusque-là, fais bien attention à lui. Interdis-lui de mettre les pieds à la maison.
Elle l’embrassa, lui étreignit l’épaule, se dirigea vers l’homme, toujours assis, et lança, désinvolte, Hi, Jack, why don’t you come in ?
Gary comprit tout de suite quand Jo mentionna l’homme en noir.
—J’ai mon cartable, j’irai directement au lycée demain, dis à maman qu’elle ne se fasse pas de souci, je sais me défendre.
Pendant le dîner, Zoé, intriguée, posa des questions. Elle était rentrée plus tôt que Gary et Hortense et avait aperçu l’homme en noir sur le paillasson.
—C’est ton papa, le monsieur ?
—Zoé, tais-toi ! la coupa Jo.
—Mais je peux demander si c’est son papa ou non !
—Il n’a pas envie d’en parler. Tu le vois bien… Ne l’embête
pas.
Zoé porta un morceau de gratin dauphinois à sa bouche, le mastiqua du bout des dents, puis reposa sa fourchette d’un air triste.
—Parce que, moi, mon papa, il me manque drôlement… J’aimais mieux quand il était là… C’est pas drôle de vivre sans papa.
—Zoé, t’es gonflante, s’exclama Hortense.
—J’ai toujours peur qu’il se fasse manger par les crocodiles. Ils sont méchants les crocodiles…
—Ils ne t’ont pas mangée, cet été, répliqua Hortense, énervée.
—Non, mais j’ai fait très attention.
—Eh bien, dis-toi que papa aussi fait très attention.
—Parfois, il est distrait. Parfois, il passe de longs moments à les regarder dans les yeux… Il dit qu’il s’entraîne à lire dans leurs pensées…
—Tu dis n’importe quoi !
Hortense s’adressa à Gary et lui demanda s’il ne voulait pas gagner un peu d’argent de poche en défilant.
- 466 -
—Chez Dior, ils cherchent des adolescents grands, romantiques, beaux pour présenter leur collection.
Iris lui avait demandé si elle n’avait pas de copains que ça pouvait intéresser.
—Elle m’a parlé de toi… Tu te rappelles quand on est allés la voir au studio Pin-up ? Elle t’a trouvé très beau…
—Je ne sais pas si j’en ai vraiment envie, dit Gary. J’aime pas qu’on me touche les cheveux ou qu’on m’habille.
—Ce serait fun ! Je viendrais avec toi.
—Non, merci, Hortense. Mais j’ai bien aimé voir la séance de photos avec Iris. Moi, ce qui me plairait, ce serait de devenir photographe.
—On peut y retourner, si tu veux. Je lui demanderai…
Ils avaient fini de dîner. Joséphine débarrassa, Gary mit la vaisselle dans le lave-vaisselle, Hortense passa une éponge sur la table pendant que Zoé, les yeux remplis de larmes, marmonnait « je veux mon papa, je veux mon papa ». Joséphine la prit dans ses bras et la porta jusqu’à son lit en faisant semblant de se plaindre qu’elle était si lourde, si grande, si belle qu’elle avait l’impression de tenir une étoile dans ses bras. Zoé se frotta les yeux et demanda :
—Tu le penses vraiment, maman, que je suis belle ?
—Mais oui, mon amour, parfois je te regarde et je me dis quelle est cette belle jeune fille qui vit ici ?
—Aussi belle qu’Hortense ?
—Aussi belle qu’Hortense. Aussi chic qu’Hortense, aussi craquante qu’Hortense. La seule différence, c’est qu’Hortense le sait et toi, tu ne le sais pas. Toi, tu crois que tu es un petit canard boiteux. Je me trompe ?
—C’est dur d’être petite quand on a une grande sœur…
Elle soupira, tourna la tête sur l’oreiller et ferma les yeux.
—Maman, je peux ne pas me laver les dents, ce soir ?
—D’accord, mais c’est exceptionnel…
—Je suis si fatiguée…
Le lendemain, en fin de matinée, Shirley vint frapper à la porte de Joséphine.
- 467 -
—J’ai réussi à le convaincre de partir. Ça a été dur, mais il est parti. Je lui ai dit qu’il ne fallait plus qu’il vienne ici, qu’il y avait un type des renseignements qui habitait dans l’immeuble…
—Et il t’a crue ?
—Je crois. Joséphine, j’ai pris une décision, cette nuit. Je vais partir… Nous sommes fin novembre, il va pas revenir tout de suite mais il faut que je parte… Je vais me réfugier à Moustique.
—Moustique ? L’île des milliardaires, de Mick Jagger et de la princesse Margaret…
—Oui. J’ai une maison là-bas… Là-bas, il ne viendra pas. Après, je verrai, mais ce qui est sûr, c’est que je ne peux plus vivre ici.
—Tu vas déménager ! Tu vas me laisser ?
—Toi aussi, tu voulais déménager, souviens-toi.
—Hortense. Pas moi…
—Tu sais ce qu’on va faire ? On va tous partir à Moustique pour les vacances de Noël et moi, je resterai là-bas. Gary rentrera avec toi, le temps qu’il finisse son année et passe son bac. Ce serait idiot qu’il interrompe ses études, il est si près du but. Tu peux me le garder ?
Joséphine hocha la tête.
—Je ferais n’importe quoi pour toi…
Shirley lui prit la main et la serra.
—Après, je verrai… On déménagera à nouveau. Je suis habituée…
—Tu ne veux toujours pas me dire ce qu’il se passe ?
—Je te le dirai à Moustique, à Noël… Je me sentirai plus en sécurité.
—Tu n’es pas en danger, au moins ?
Shirley eut un pauvre sourire fatigué.
— Pour le moment, non, ça va.
Marcel Grobz se frottait les mains. Tout marchait sur des roulettes. Il avait agrandi son empire en rachetant les frères Zang, coiffé sur le poteau les Allemands, les Anglais, les Italiens, les Espagnols qui les guignaient. Son coup de poker avait
- 468 -