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Добавлен: 05.08.2024

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Cinquième partie

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Tu vois quand je te disais que la vie est une partenaire. Qu’il faut la prendre comme une amie, danser avec elle, donner, donner sans compter, et qu’ensuite elle te répondait… Qu’il fallait se prendre en main, travailler sur soi, accepter ses erreurs, les corriger, lancer le mouvement… Et alors elle entre dans ta danse. Elle valse avec toi. Luca est revenu vers moi, Luca m’a parlé, Luca m’aime, Shirley…

Elles étaient toutes les deux au bord de la piscine de la maison de Shirley. À Moustique. Une maison magnifique, moderne, immense. Des cubes blancs avec des baies vitrées, d’une modernité et d’une grâce époustouflantes donnant sur la mer. Surplombant la mer, bordant la terrasse : une piscine. Dans chaque pièce, on ferait tenir mon appartement, se disait Joséphine en se levant le matin, en quittant son lit de géante aux draps de satin, en gagnant la salle à manger où, devant une mer turquoise à vous couper le souffle, un petit-déjeuner était préparé.

Tu vas finir par me convaincre, Jo. Je vais me mettre moi aussi à parler aux étoiles…

Shirley laissa pendre sa main dans l’eau bleutée de la piscine. Les enfants dormaient. Hortense, Zoé, Gary et Alexandre que Joséphine avait emmené. Iris était revenue de New York désabusée, amère, sombre. Elle passait ses journées enfermée dans son bureau. Joséphine ignorait ce qu’il s’était passé à New York. Philippe ne lui avait rien dit. Il l’avait appelée une fois pour lui demander si elle pouvait prendre Alexandre pour les vacances de Noël. Joséphine n’avait rien demandé. Elle avait le sentiment étrange que ça ne la regardait pas. Iris s’était détachée d’elle. Elle s’était détachée d’Iris. Comme si quelqu’un avait découpé une photo d’elles deux et en avait éparpillé les morceaux.

Elle regarda la façade de la maison de Shirley : une immense baie vitrée qui ouvrait sur la terrasse où elles se trouvaient. Dans le salon, des canapés blancs, des tapis blancs, des tables

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basses couvertes de revues, de livres de photos, des tableaux aux murs. Un luxe calme, raffiné.

Comment tu faisais pour vivre à Courbevoie ?

J’ai été heureuse à Courbevoie… Ça me changeait. C’était une nouvelle vie, je suis habituée à changer de vie, j’en ai eu tellement !

Elle renversa la tête en arrière et ferma les yeux. Joséphine se tut. Shirley parlerait quand elle le voudrait. Elle acceptait les secrets de Shirley.

Tu veux qu’on aille voir les petits poissons sous l’eau avec les enfants cet après-midi ? demanda Shirley en rouvrant les yeux.

Pourquoi pas ? Ce doit être beau…

On s’équipe de masques, on plonge et on admire… Je connais le nom de tous les poissons. Je vais demander à Miguel de préparer le bateau.

Elle fit signe à un homme qui s’avança. Elle lui parla en anglais et lui demanda de préparer le bateau et de veiller à ce qu’il y ait assez de masques et de tubas pour tout le monde. L’homme s’inclina et repartit. C’est ici qu’elle devait venir en vacances quand elle prétendait aller en Écosse, songea Joséphine.

Les journées s’égrenaient, légères, gaies. Zoé et Alexandre passaient leur temps dans la piscine ou dans la mer. Ils s’étaient métamorphosés en petits poissons dorés. Hortense se faisait griller au bord de la piscine en feuilletant les revues de luxe qu’elle prenait sur les tables, dans le salon. Joséphine avait trouvé une boîte de pilules contraceptives dans ses affaires en cherchant un tube d’aspirine. Elle n’avait rien dit. Elle m’en parlera quand elle voudra. Je lui fais confiance. Elle ne voulait plus d’affrontements. Hortense ne l’agressait plus. Elle n’était pas devenue tendre et aimante pour autant…

Ils fêtèrent Noël sur la terrasse. Dans la douceur d’une nuit étoilée. Shirley avait déposé un cadeau dans chaque assiette. Joséphine défit son paquet et découvrit un bracelet Cartier. Hortense et Zoé en reçurent un aussi. Alexandre et Gary eurent un portable dernier cri. « Comme ça tu pourras m’envoyer des photos et des mails quand nous serons séparés », murmura

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Shirley dans les cheveux de son fils qui l’embrassait pour lui dire merci. Il devait se pencher pour qu’elle puisse l’embrasser. Il y avait tant d’amour dans leurs yeux quand leurs regards se croisaient.

On donnait une fête dans une maison voisine. Gary et Hortense demandèrent s’ils pouvaient y aller. Shirley, après avoir consulté Joséphine d’un rapide coup d’œil, leur accorda l’autorisation et ils partirent dès la dernière bouchée de gâteau avalée. Zoé alla se coucher, emportant une part de gâteau. Alexandre la suivit.

Shirley prit une bouteille de champagne et proposa à Joséphine de descendre sur la plage privée au pied de la maison. Elles s’installèrent chacune dans un hamac et regardèrent les étoiles.

C’est alors que, tenant sa flûte de champagne dans une main, rabattant un coin de paréo sur ses pieds, Shirley commença son récit.

Tu connais l’histoire de la reine Victoria, Jo ?

La grand-mère de l’Europe, celle qui avait installé chacun de ses enfants et petits-enfants dans une famille royale et qui régna cinquante ans ?

Celle-là même…

Shirley marqua une pause et regarda les étoiles.

Victoria eut deux amours dans sa vie : Albert que tout le monde connaît et John…

John ?

John… John Brown. Un Écossais qui était son valet. Le roi Albert, son grand amour, mourut en décembre 1861, après vingt et un ans de mariage. Victoria avait alors quarante-deux ans. Elle était mère de neuf enfants, la petite dernière avait quatre ans. Elle était grand-mère aussi. C’était une petite femme haute comme trois pommes, avec un fort embonpoint et un caractère de cochon. Son métier de reine, qu’elle pratiquait à la perfection, l’insupportait. Elle aimait les choses simples : les chiens, les chevaux, la campagne, les pique-niques… Elle aimait les paysans, ses châteaux, son thé à quatre heures, jouer aux cartes, paresser à l’ombre d’un grand chêne. Après la mort d’Albert, Victoria s’est retrouvée très seule. Albert avait toujours

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été à ses côtés pour la conseiller, l’aider, la réprimander parfois ! C’est Albert qui lui disait comment se comporter, quelle attitude adopter. Elle ne savait pas vivre seule. John Brown était là, fidèle, empressé. Très vite, Victoria ne put plus se passer de lui. Il la suivait partout. Il la protégeait, veillait sur elle, la soignait, il lui a même évité un attentat ! J’ai retrouvé des lettres où elle parle de lui… Elle écrivait : « Il est extraordinaire, il fait tout pour moi. Il est à la fois mon valet, mon écuyer, mon page et je dirais même ma femme de chambre tellement il prend soin de mes manteaux et de mes châles. C’est toujours lui qui conduit mon poney, qui s’occupe de moi dehors. Je crois que je n’ai jamais eu un domestique aussi serviable, fidèle, attentionné. » Elle est touchante quand elle parle de lui. On dirait une petite fille. John Brown avait alors trente-six ans, la barbe hirsute, la larme facile. Il parlait un anglais rudimentaire et avait des manières assez grossières. Très vite, leur complicité fit scandale. On n’appela plus Victoria que Mrs Brown. On l’accusa d’avoir perdu la tête, d’être folle. Sa relation avec lui devint « le scandale Brown ». Les gazettes écrivaient « L’Écossais veille sur elle avec les yeux d’Albert. » Car, petit à petit, John Brown abusa. Il défila à ses côtés lors des cérémonies officielles. Il s’était rendu indispensable, elle ne faisait plus un pas sans lui. Elle le nomma Esquire, le premier échelon nobiliaire, lui acheta des maisons qu’elle orna des armoiries royales, et l’appelait devant tout le monde « le meilleur trésor de mon cœur ». On trouva des billets qu’elle lui envoya et qu’elle signait « I can’t live without you. Your loving one. » Les gens étaient horrifiés…

On dirait que tu parles de Diana ! s’exclama Joséphine qui avait arrêté le balancement de son hamac pour ne pas être distraite.

John Brown s’était mis à boire. Il s’écroulait, ivre mort, et Victoria disait en souriant « je crois que j’ai senti comme un léger tremblement de terre ». Il était l’homme de la maison. Il s’occupait de tout, gérait tout. Il dansait avec la reine lors des fêtes royales et lui marchait sur les pieds sans qu’elle proteste. On ira jusqu’à l’appeler Raspoutine ! Quand il mourut, en 1883, elle fut aussi malheureuse qu’à la mort d’Albert. La chambre de Brown resta intacte avec son grand kilt étalé sur un fauteuil et

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elle déposait, sur son oreiller, une fleur fraîche chaque jour. Elle décida d’écrire un livre sur lui. Elle trouvait qu’il avait été injustement sali de son vivant. Elle écrivit deux cents pages louangeuses qu’on aura beaucoup de mal à la dissuader de publier. Plus tard, on retrouvera plus de trois cents lettres écrites par Victoria à John, très compromettantes. On les rachètera et on les brûlera. Et on réécrira entièrement son journal intime.

Je ne savais rien de tout ça !

C’est normal, on ne l’apprend pas dans les livres d’histoire. Il y a l’histoire officielle et l’histoire intime. Les grands de ce monde sont comme nous : faibles, vulnérables et surtout, surtout très seuls.

Même les reines ! murmura Joséphine.

Surtout les reines…

Elles se versèrent une dernière coupe de champagne. Shirley renversa la bouteille dans le seau à glace et, apercevant une étoile filante, dit à Jo : « Fais un vœu, vite, vite, j’ai vu une étoile filante ! » Joséphine ferma les yeux et fit le vœu que sa vie continue à aller de l’avant, que plus jamais elle ne retombe dans son engourdissement passé, que ses peurs s’effacent pour laisser place à une nouvelle ardeur. Et puis elle ajouta tout bas, tout bas : « Que j’aie la force d’écrire un nouveau livre rien que pour moi… Et Luca aussi, étoile filante, gardez-moi, Luca. »

Tu as fait combien de vœux, Jo ? demanda en souriant Shirley.

Un paquet ! s’exclama Joséphine en riant. Je suis si bien ici, je me sens si bien. Merci de nous avoir invités… Quelles belles vacances !

Tu penses bien que je ne t’ai pas raconté tout ça pour te faire une leçon d’histoire.

Tu vas rire, mais je pensais à Albert de Monaco et à son fils illégitime.

Je ne vais pas rire du tout, Jo… Je suis une fille illégitime.

De Monaco ?

Non… D’une reine. D’une reine magnifique qui a vécu une très belle histoire d’amour avec son grand chambellan. Il ne s’appelait pas John Brown, il s’appelait Patrick, il était écossais

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aussi et c’était mon père… À la différence de John Brown, il était très discret. Personne n’en a jamais rien su. Et quand il est mort, il y a deux ans, la reine n’a pas perdu la tête. Elle a gardé longtemps un regard embué, vague, mais on n’a jamais rien su…

Je me souviens, tu étais rentrée de vacances très triste…

Fin 1967, quand la reine s’est aperçue qu’elle était enceinte, elle a décidé de me garder. C’est une femme très têtue, très volontaire. Elle aimait mon père. Elle aimait la présence douce et attentionnée de cet homme qui l’aimait comme une femme et la respectait comme sa reine. C’est aussi une excellente cavalière et tu sais que les femmes qui font beaucoup de cheval ont des muscles comme les danseuses, des abdominaux si serrés qu’elles peuvent dissimuler une grossesse sans que personne ne décèle rien. Trois semaines avant d’accoucher, ma mère prenait le thé avec le général de Gaulle à l’Élysée. J’ai des photos de cette rencontre. Elle porte une robe turquoise, légèrement trapèze, et personne ne pouvait deviner qu’elle était à la veille d’un heureux événement ! Je suis née à Buckingham Palace, dans la nuit. C’est mon père qui a fait venir sa propre mère pour aider maman. Ma grand-mère m’a emmenée dans ses bras cette nuit-là et mon père m’a réintroduite au palais, un an plus tard, en expliquant que j’étais sa fille et qu’il était seul pour m’élever… J’ai grandi dans les cuisines et à l’office. J’ai appris à marcher dans les immenses couloirs tapissés de tissu rouge. J’étais la mascotte du palais. Trois cents domestiques y vivent à l’année et il y a six cents pièces pour faire la folle et se cacher ! Je n’étais pas malheureuse. Je peux te le dire sans mentir : je savais qu’elle était ma mère et, le jour où j’ai eu sept ans, que papa m’a tout révélé, je n’ai pas été surprise. Comme il était le grand chambellan, je n’avais pas besoin de demander une audience pour la voir et je la voyais chaque matin, dans sa chambre. La manière dont elle se comportait avec moi prouvait qu’elle m’aimait au-delà de tout. J’avais une gouvernante, miss Barton, que j’aimais beaucoup et à qui je jouais mille tours pendables ! Un appartement au palais que j’occupais avec mon père. J’allais

àl’école, je travaillais bien. J’avais, en plus de l’école, un précepteur qui m’a appris le français et l’espagnol. J’étais très

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occupée ! C’est quand j’ai eu quinze ans que les choses se sont compliquées. J’ai commencé à sortir, à embrasser des garçons, à boire de la bière dans les pubs. J’ai même appris à faire le mur… Un matin, mon père m’a expliqué qu’il allait m’envoyer en Écosse terminer mes études dans un pensionnat très chic. Qu’on ne se verrait plus qu’en été. Je n’ai pas compris pourquoi il m’éloignait et je lui en ai voulu… Je suis devenue du jour au lendemain une vraie rebelle. Je me suis mise à coucher avec tous les garçons que je rencontrais, je me suis droguée, je piquais dans les magasins, je poursuivais cahin-caha mes études et je ne sais même pas comment j’ai pu quitter le collège avec mon diplôme en poche ! À vingt et un ans, je me suis retrouvée enceinte. Je l’ai caché à mon père et j’ai accouché de Gary à l’hôpital. Le père de Gary était un étudiant très beau, très charmant qui, à l’annonce de sa future paternité, m’a déclaré froidement : « C’est ton problème, ma chère ! » Cet été-là quand papa est arrivé, je tenais Gary dans mes bras. La naissance de Gary a été un véritable choc pour moi ! Pour la première fois de ma vie, j’étais responsable de quelqu’un. J’ai demandé à papa de me faire revenir à Londres. Il m’a trouvé un petit appartement. Et puis, un jour, je m’en souviens, je suis allée au palais présenter Gary. Ma mère était à la fois grave et émue. Je sentais qu’elle me reprochait de m’être mal conduite et qu’elle était bouleversée de me voir avec Gary. Elle m’a demandé pourquoi j’avais fait ça. Je lui ai dit que je ne supportais pas d’avoir été éloignée d’elle. La rupture avait été trop brutale. C’est alors qu’elle a eu l’idée de m’engager comme garde du corps et de me faire passer pour une de ses employées…

C’est comme ça que je t’ai vue à la télé !

J’ai appris à me défendre, à me battre, je me suis développée… J’étais déjà grande et bien charpentée, je suis devenue championne d’arts martiaux. Je pouvais remplir mon rôle sans qu’il y ait la moindre suspicion à mon sujet. Tout serait allé très bien si je n’avais pas rencontré cet homme.

L’homme en noir qui était sur le paillasson ?

Je suis tombée follement amoureuse de lui et un soir, je lui ai dit mon secret… Je l’aimais tellement, je voulais qu’on s’enfuie ensemble, il disait qu’il n’avait pas d’argent, je me suis

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confiée à lui et ce fut le début de tous mes ennuis. Cet homme, Jo, est un homme lamentable mais si séduisant. C’est ma part sombre. Et physiquement… Loin de lui, je résiste mais quand il est là, il peut faire n’importe quoi de moi. Très vite, il m’a fait chanter, il m’a menacée de tout révéler à la presse. C’étaient les années Diana, les années scandaleuses, horribles, Annus Horribilis… Tu te souviens ? Il a fallu que je prévienne mon père, qu’il en parle à ma mère et ils ont fait ce que font toutes les cours royales qui veulent étouffer un secret : ils ont acheté son silence. Une rente mensuelle de trente mille euros pour qu’il se taise ! En échange, j’ai promis de m’expatrier, de changer de nom, de ne plus jamais le revoir. C’est à ce moment-là que je suis arrivée en France, dans ton immeuble. J’avais pris un plan de Paris et de ses environs, j’ai ouvert mon compas, l’ai planté au hasard et c’est tombé sur notre quartier ! Pendant les vacances, nous partions en Angleterre, j’étais toujours un agent secret attaché à la reine ou à la famille royale. C’est comme ça qu’on a pris ces photos de Gary avec William et Harry. Voilà, tu sais à peu près tout…

Gary sait aussi ?

Oui. J’ai fait comme mon père. À l’âge de sept ans, je lui ai dit la vérité. Ça nous a beaucoup rapprochés et ça l’a fait mûrir. Ce qui existe entre nous est indestructible…

Et l’homme en noir, il ne va pas te poursuivre ?

Après son passage à Paris, j’ai averti Londres, on a fait pression sur lui. Tu sais, il a peur aussi. Peur de perdre sa rente

àvie, peur des services secrets. Un accident est vite arrivé. Je ne pense pas qu’il reviendra m’importuner, mais je préfère mettre la distance la plus grande entre nous, pour ma sécurité et aussi pour l’oublier. J’ai décidé de tourner la page. C’est pour cela aussi que, ce soir, je peux te parler. Sa visite à Paris a été la visite en trop. J’ai compris que je ne le laisserais plus me terroriser et quand il est reparti, au petit matin, je n’ai ressenti qu’un immense dégoût, le dégoût de m’être laissé manipuler pendant des années…

Elle regarda les étoiles et soupira :

Je vais avoir tout le temps de leur parler maintenant.

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Tu m’enverras Gary pour les vacances et les filles aussi, si elles veulent… Et puis, en juin, au moment du bac, je pourrai venir m’installer chez toi pour être avec lui ?

Joséphine opina.

Tu remplaceras madame Barthillet, je gagnerai au change !

Iris regarda par la fenêtre de sa chambre. Elle détestait le mois de janvier. Elle détestait février aussi et les giboulées de mars et d’avril. En mai, elle était allergique aux pollens, en juin il faisait trop chaud. Elle n’aimait plus la décoration de sa chambre. Elle avait mauvaise mine. Elle ouvrit sa penderie : elle n’avait plus rien à se mettre ! Noël avait été sinistre. Quelle horrible fête, songea-t-elle en appuyant son front contre la vitre. Philippe et elle, en tête à tête, devant la cheminée du salon, une abomination !

Ils n’avaient plus jamais parlé de New York.

Ils s’évitaient. Philippe sortait beaucoup. S’il rentrait vers dix-neuf heures, c’était pour s’occuper d’Alexandre. Il repartait quand son fils prenait son bain. Elle ne lui demandait pas où il allait. Il mène sa vie, je mène la mienne. Pourquoi me faire du souci, cela a toujours été ainsi.

Elle avait décidé d’oublier Gabor. Chaque fois qu’elle pensait à lui, un couteau lui déchirait le cœur. Elle restait haletante, coupée en deux par la douleur. Ce qui s’était passé à New York, quand il lui arrivait d’y repenser, lui donnait le vertige. C’était comme si on l’avait placée au bord d’un précipice. Elle ne pouvait plus avancer, à moins de sauter dans le vide… Le vide lui faisait peur. Le vide l’attirait.

Elle vivait par distraction.

Son moment de gloire avait pris fin. Après la frénésie des trois premiers mois, les journaux avaient trouvé d’autres sujets d’étonnement. Elle était moins sollicitée. Cela va si vite ! Juste avant Noël, on m’appelait pour faire une photo ou honorer une fête de ma présence. Aujourd’hui… Elle regarda dans son agenda, ah si ! une photo pour Gala mardi prochain… Je ne sais pas comment m’habiller, il faudra que je demande à Hortense.

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C’est cela, je vais demander à Hortense de m’inventer un nouveau look ! Ça m’occupera. On fera les magasins ensemble. Il faut que je trouve quelque chose pour revenir sur le devant de la scène. C’est enivrant d’être dans les feux des projecteurs, mais, quand ils s’éteignent, on grelotte.

« Je veux qu’on me regarde ! » rugit-elle dans le calme feutré de sa chambre. Mais pour cela, il faut que je crée mon propre spectacle. Me faire couper les cheveux en direct, c’était superbe. Trouver une autre idée… Oui, mais quoi ? Elle regardait la pluie tomber sur la vitre, glisser et buter sur la croisée. Elle alluma la télé, tomba sur une émission de fin de journée. Elle se rappelait y avoir été invitée. « Très vendeur, très vendeur, il faut absolument y aller », avait dit son attachée de presse. Un jeune auteur présentait son roman. Iris ressentit un pinçon de jalousie. Une chroniqueuse, elle ignorait son nom, disait qu’elle avait adoré le livre, qu’il était bien écrit : sujet, verbe, complément. Des phrases courtes, rapides.

C’est normal, répondit le jeune auteur, à force d’écrire des textos…

Iris se laissa tomber sur le lit, déprimée. Son livre à elle n’était pas écrit comme un texto. Son livre à elle, c’était de la littérature. Qu’est-ce que j’ai en commun avec ce benêt ? On lui appuie sur le nez et il en sort du lait ! Elle éteignit la télé, énervée, fébrile. Recommença à arpenter sa chambre. Trouver une idée, trouver une idée. Philippe ne rentrerait pas dîner. Alexandre était dans sa chambre. Elle le négligeait. Elle n’avait pas la force de s’intéresser à lui. Quand ils se voyaient, tous les deux, et qu’il parlait de ce qu’il avait fait à l’école, elle faisait semblant d’écouter. Elle hochait la tête, sans rien dire, pour ponctuer les phrases de son fils d’un semblant d’attention, elle avait envie qu’il se taise. Ce soir, ils seraient seuls à table. Elle se sentit fatiguée à l’avance, songea à demander à Carmen de lui préparer un plateau qu’elle prendrait dans sa chambre puis se reprit. Il doit y avoir un truc à la télé. On va dîner devant la télé.

Le lendemain, elle déjeunait avec Bérengère.

T’as pas l’air en forme…

Il faudrait que je me remette à écrire et j’ai le trac…

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