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Добавлен: 05.08.2024

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fait partie du groupe de travail d’Iris n’avait eu vent de l’affaire. Elle s’est procuré le script de ta sœur, a comparé avec le script collectif original et a convaincu le studio qu’Iris était une voleuse, une fraudeuse, bref, aux yeux de la loi américaine, une criminelle ! Ce dossier m’a intéressé, j’ai eu envie de m’en occuper, j’ai rencontré ta sœur et j’en suis tombé fou amoureux… J’ai tout fait pour la sortir de ce mauvais pas. Il a fallu en échange qu’elle promette de ne plus jamais travailler aux États-Unis et, pendant dix ans, elle n’a même pas pu y mettre les pieds ! Elle avait commis un véritable crime aux yeux de la loi américaine qui ne plaisante pas avec les menteurs. C’est le crime suprême, là-bas !

C’est pour ça que Clinton a été traîné dans la boue médiatique…

L’affaire a été étouffée, Gabor Minar et les autres étudiants n’en ont jamais rien su et l’étudiante qui avait découvert le pot aux roses a été largement dédommagée… par mes soins. Elle a accepté de retirer sa plainte contre un gros paquet de dollars. J’avais de l’argent, j’avais défendu deux ou trois gros dossiers très juteux, j’ai donc payé…

Parce que tu étais amoureux d’Iris…

Oui. Le mot n’est pas assez fort ! dit il en souriant. J’étais fait aux pattes. Envoûté. Elle a accepté l’arrangement sans rien dire, mais je pense qu’elle a été profondément blessée d’avoir été prise en flagrant délit de tricherie. J’ai tout fait pour qu’elle oublie et que sa blessure d’amour-propre cicatrise. J’ai travaillé comme un fou pour la rendre heureuse, j’ai essayé de la convaincre de se remettre à écrire, elle en parlait souvent mais n’y arrivait pas… Alors j’ai essayé de l’intéresser à autre chose, à une autre forme d’art. Ta sœur est une artiste, une artiste frustrée, et c’est ce qu’il y a de pire au monde. Rien ne pourra jamais la satisfaire. Elle rêve d’avoir une autre vie, elle rêve de créer mais, tu le sais, ça ne se décrète pas, ça se fait. Quand je l’ai entendue dire qu’elle écrivait, j’ai tout de suite pensé à une embrouille. Quand j’ai entendu dire qu’elle écrivait une histoire sur le XIIe siècle, j’ai su que nous allions vers de nouveaux problèmes…

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Elle a rencontré un éditeur lors d’un dîner, elle s’est vantée d’écrire, il a promis de lui signer un contrat si elle avait un projet et elle s’est trouvée embourbée dans son mensonge. Moi, à l’époque, j’avais des problèmes d’argent, Antoine était parti me laissant une grosse dette, j’étais prise à la gorge, je pense aussi que j’avais envie d’écrire depuis longtemps et que je n’osais pas, alors j’ai dit oui…

Et tu t’es retrouvée entraînée par quelque chose qui te dépassait…

Et maintenant je veux arrêter. Elle m’a suppliée d’en écrire un autre, mais je ne veux pas, je ne peux pas…

Ils se regardèrent sans rien dire. Philippe jouait avec son stylo en argent. Il frappait le dessus de son bureau avec l’extrémité du capuchon, le faisait rebondir et recommençait. Cela produisait un bruit sourd, régulier, qui rythmait leurs pensées.

Il y a un autre problème, Philippe…

Il releva la tête et la considéra, le regard lourd et triste. Le stylo cessa son martèlement. La secrétaire frappa à la porte et déposa les cafés sur le bureau. Philippe tendit une tasse à Joséphine, puis le sucrier. Elle prit un sucre qu’elle plaça contre son palais et but son café. Philippe la regarda, attendri.

Papa faisait ça aussi, dit-elle après avoir reposé sa tasse. Je veux te parler d’autre chose, reprit Jo. C’est très important pour moi.

Je t’écoute, Jo.

Je ne veux pas que tu paies les impôts du livre. Il paraît que je vais gagner beaucoup d’argent, c’est Iris qui me l’a dit. Elle m’a dit aussi que tu pouvais les payer, que tu t’en apercevrais pas et ça, c’est hors de question, je me sentirais trop mal…

Il lui sourit et son regard s’adoucit.

Tu es mignonne…

Il se redressa, reprit son petit jeu avec son stylo.

— Tu sais, Jo, en un sens, elle a raison… cet argent va être étalé sur cinq ans, en vertu de la loi Lang pour les écrivains, et je pense que je ne m’en apercevrai pas. Je paie tellement d’impôts et ça m’est tellement égal !

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Mais, moi, je ne veux pas. Il réfléchit et dit :

C’est bien d’avoir cette pensée et sache que je te respecte pour cela. Mais… Jo… L’alternative, c’est quoi ? Que tu déclares les droits d’auteur ? En ton nom propre ? Qu’on te signe un chèque, qu’on le verse sur ton compte ? Alors tout le monde saura que c’est toi, l’auteur du livre, et crois-moi, Jo, Iris ne survivra pas à une humiliation publique. Elle pourrait même faire une grosse, grosse bêtise.

Tu le crois vraiment ?

Il hocha la tête.

Tu ne veux pas ça, Jo ?

Non. Je ne veux pas ça, c’est certain…

Elle entendait le bruit du stylo qui heurtait la laque du bureau, toc, toc, toc.

J’aimerais bien l’aider… Mais c’est au-dessus de mes forces. Même si c’est ma sœur…

Elle regarda Philippe droit dans les yeux et répéta « c’est ma sœur ».

Je lui suis reconnaissante : sans elle, je n’aurais jamais écrit. Cela m’a changée, je ne suis plus la même. J’ai envie de recommencer. Je sais que le prochain marchera moins bien qu’Une si humble reine parce que je ne ferai pas tout ce qu’Iris a fait pour lancer le livre, mais je m’en fiche… J’écrirai pour moi, pour mon plaisir. Si ça marche, tant mieux, si ça marche pas, tant pis.

Tu es une bosseuse, Jo. Qui a dit que le génie, c’est quatre- vingt-dix pour cent de transpiration et dix pour cent de talent ?

Le stylo martela la table, changeant de rythme, épousant la colère intérieure de Philippe.

Iris refuse de travailler, Iris refuse de transpirer… Iris refuse de voir la réalité en face… Qu’il s’agisse du livre, de son enfant ou de son mari !

Il lui raconta leur voyage à New York, la confrontation avec Gabor Minar et le silence obstiné d’Iris depuis qu’ils étaient rentrés.

C’est une autre histoire, ça ne te concerne pas, mais je pense que ce n’est pas le moment de dire au monde entier que

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c’est toi qui as écrit. Je ne sais pas si tu es au courant, mais une trentaine de pays étrangers ont acheté les droits du livre, on parle d’une adaptation au cinéma par un metteur en scène très connu, j’ignore son nom parce que, tant que ce n’est pas signé, l’éditeur ne veut rien dire… Tu imagines les proportions du scandale ?

Joséphine hocha la tête, embarrassée.

Il ne faut même pas qu’elle sache que je sais, continua Philippe. Elle a pris goût au succès, elle ne supporterait pas la honte d’un désaveu public. Elle vit comme une somnambule en ce moment, il ne faut surtout pas la réveiller. Le livre est sa dernière illusion. Elle pourra toujours prétendre après qu’elle était la femme d’un seul livre. Elle ne serait pas la seule et, au moins, en disant ça, elle s’en tirera avec les honneurs. On la félicitera même de sa lucidité !

Le stylo ne frappait plus le dessus du bureau. Philippe était arrivé à une conclusion, Joséphine s’inclina.

Alors, ajouta-t-elle après avoir réfléchi, laisse-moi au moins te faire un immense cadeau. Emmène-moi un jour dans une salle de ventes où se trouve un tableau ou un objet que tu convoites et je te l’offrirai…

Ce sera avec plaisir. Tu aimes les œuvres d’art ?

Je suis plus calée en histoire et en littérature. Mais j’apprendrai…

Il lui sourit, elle fit le tour du bureau et se pencha vers lui pour l’embrasser et le remercier.

Il tourna la tête vers elle, sa bouche rencontra la sienne. Ils échangèrent un furtif baiser puis se déprirent aussitôt. Joséphine lui caressa les cheveux d’un geste très doux, très tendre. Il lui attrapa le poignet et posa ses lèvres sur la saignée des veines en murmurant « je serai toujours là, Jo, toujours là pour toi, ne l’oublie pas ».

Elle murmura « je sais, je le sais bien… ».

Mon Dieu, se dit-elle dans la rue, la vie va devenir très compliquée s’il m’arrive des choses comme ça. Et moi qui croyais être arrivée à un équilibre ! La vie s’est remise à valser… Elle se sentit soudain très heureuse et héla un taxi pour

rentrer chez elle.

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La séance de photos se terminait. Iris était assise sur un cube blanc au milieu d’un long rouleau de papier blanc qui remontait et tapissait le mur en briques du studio. Elle portait une veste de tailleur rose pâle, très décolletée, avec de larges revers en satin, qui enveloppait son torse filiforme. La veste était boutonnée par trois gros boutons en forme de roses, épaulée mais cintrée de smocks à la taille. Un bonnet de satin rose large comme une galette des rois cachait ses cheveux courts et faisait ressortir ses grands yeux bleus, les ombrant d’un mauve délicat qui fit défaillir la journaliste de plaisir.

Vous êtes magnifique, Iris ! Je me demande si on ne pourrait pas faire une couverture.

Iris sourit d’un air modeste.

Vous exagérez !

Je suis sérieuse. N’est-ce pas, Paolo ? demanda-t-elle au photographe.

Il dressa le pouce en signe d’assentiment et Iris rougit. Une maquilleuse vint la repoudrer car la chaleur des projecteurs la faisait transpirer et une légère sueur perlait sur son nez et ses pommettes.

Et cette idée de porter cette veste Armani sur un jean déchiré et de grosses bottes d’égoutier, c’est génial !

C’est ma nièce qui a eu cette idée. Présente-toi, Hortense ! Hortense sortit de l’ombre et vint parler à la rédactrice de

mode.

Ça vous intéresse la mode ?

Beaucoup…

Vous voulez venir voir d’autres prises de vues ?

J’adorerais !

Eh bien, laissez-moi votre portable et je vous appellerai…

Je peux avoir le vôtre aussi au cas où vous perdriez le mien ?

La femme la regarda, surprise par son culot, et dit

«pourquoi pas ? Vous irez loin, vous ! ».

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Allez, on fait une dernière pellicule et on arrête, je suis crevée. On a tout ce qu’il faut, c’est vraiment pour jouer la sécurité.

Le photographe termina sa pellicule mais, avant qu’il ne range ses appareils, Iris demanda s’il pouvait lui faire des photos avec Hortense.

Hortense vint se mettre à ses côtés et posa avec elle.

Et Gary aussi ? demanda Hortense.

Allez, Gary, viens…, s’écria la rédactrice. Mais c’est qu’il est beau, ce jeune homme ! Tu ne voudrais pas faire des photos par hasard ?

Non, ça m’intéresse pas, je préférerais être photographe…

Mettez-leur un peu de poudre sur le nez à tous les deux, demanda la rédactrice en faisant signe à la maquilleuse.

C’est pour moi, ce n’est pas pour faire des photos de mode, indiqua Iris.

Mais ils sont si mignons ! On ne sait jamais, s’il change d’avis.

Iris fit une série de photos avec Hortense, puis une autre avec Gary. La rédactrice insista pour en faire quelques-unes de charme, tous les deux enlacés, pour voir ce que ça pouvait donner, puis elle déclara la séance finie et remercia tout le monde.

Vous n’oublierez pas de me les envoyer, lui rappela Iris avant d’aller se changer.

Ils se retrouvèrent tous les trois dans la grande loge d’Iris.

Ouf ! C’est crevant de faire le mannequin, soupira Hortense. Qu’est-ce qu’on attend ! Tu te rends compte : ça fait cinq heures que tu es là. Cinq heures à sourire, à poser, à être immaculée. Je ne pourrais jamais faire ça, moi !

Moi non plus, affirma Gary. Et puis la poudre, beurk !

Moi, j’adore ça ! On te dorlote, on te fait belle, belle, belle…, s’écria Iris en s’étirant. En tous les cas, bravo pour ton shopping, ma chérie, c’était sublime.

Ils retournèrent sur le plateau où les éclairagistes rangeaient les projecteurs, les fils et les prises. Iris prit la rédactrice et le photographe à part et les invita au Raphaël.

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J’adore le bar de cet hôtel. Vous venez avec nous ? demanda-t-elle à Hortense et Gary.

Hortense regarda sa montre, déclara qu’ils ne resteraient pas longtemps : il fallait qu’ils rentrent à Courbevoie.

Ils s’acheminèrent tous vers le Raphaël. La rédactrice prévint le photographe :

Ne range pas tes appareils, fais-moi des photos de ce garçon, il est d’une beauté à couper le souffle.

Au Raphaël, Iris étendit le bras et commanda une bouteille de champagne. Gary demanda un Coca : il conduisait le scooter de son copain, Hortense aussi : elle avait encore du boulot à faire le soir. Le photographe et la journaliste burent un fond de verre. Ce fut Iris qui finit la bouteille. Elle parlait beaucoup, riait fort, balançait ses jambes, secouait ses bracelets. Elle attrapa Gary par le cou et le renversa contre elle. Ils faillirent tomber, mais Gary la retint dans ses bras. Tout le monde rit. Le photographe fit des clichés. Puis Iris se mit à faire des mines, des mines de clown, des mines de carmélite, des mines de star du muet et le photographe la mitrailla. Elle riait de plus en plus fort et s’applaudissait à chaque nouvelle grimace.

Qu’est-ce qu’on s’amuse ! cria-t-elle en vidant son verre. Hortense la regardait, surprise. Elle n’avait jamais vu sa

tante dans cet état. Elle se pencha vers elle et lui chuchota :

Fais gaffe, tu as trop bu !

Oh ! Si on ne peut pas s’amuser de temps en temps ! ditelle à l’adresse de la journaliste qui la regardait, étonnée. Tu ne sais pas ce que c’est qu’écrire, toi. On passe des heures toute seule face à son écran, avec un vieux café froid, à chercher un mot, une phrase, on a mal à la tête, on a mal au dos, alors quand on peut s’amuser, profitons-en.

Hortense se détourna, gênée par les propos de sa tante. Elle jeta un regard vers Gary et lui fit signe « on se tire ? » Gary approuva et se leva.

Il faut qu’on rentre. Joséphine nous attend. Je ne voudrais pas qu’elle se fasse du souci…

Ils saluèrent et sortirent. Dans la rue, Gary se passa la main dans les cheveux et dit :

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Putain, ta tante ! Elle était zarbi, ce soir. Elle arrêtait pas de me tripoter.

Elle avait trop bu ! Oublie.

Hortense enlaça Gary et il démarra. Pour la première fois de sa vie, Hortense éprouvait de la pitié. Elle ne reconnaissait pas très bien ce sentiment qui montait en elle comme une vague tiède, légèrement écœurante. Iris lui avait fait honte. Iris lui avait fait de la peine. Elle ne la regarderait plus jamais pareil. Elle la verrait toujours renversée sur le canapé rouge du bar du Raphaël, essayant d’attirer Gary vers elle, le chahutant, l’embrassant ou vidant sa coupe comme une assoiffée. Elle était triste : elle venait de perdre une bonne fée, une complice. Elle se sentit seule et c’était un sentiment désagréable. Elle ne put s’empêcher de penser : Heureusement que maman n’a pas vu ça ! Elle n’aurait vraiment pas apprécié. Elle n’aurait jamais fait ça, elle. Et pourtant, elle a écrit le livre. Toute seule. Sans rien dire. Elle n’en parle pas, elle ne s’exhibe pas, elle ne se donne pas en spectacle…

Je n’aurais jamais cru ça d’Iris, songea Hortense en enlaçant Gary. Puis soudain, une pensée la frappa de plein fouet : J’espère qu’elle n’a pas abandonné ses droits d’auteur à Iris ! Ça lui ressemblerait assez. Comment pourrais-je en être sûre ? À qui m’adresser ? Comment récupérer cet argent ? Cette question la tarauda jusqu’à ce qu’elle eût une idée qu’elle qualifia de géniale…

Trois semaines plus tard, alors qu’Henriette Grobz attendait chez son esthéticienne son gommage hebdomadaire et sa séance de massage, elle prit, sur la pile de journaux posés dans la salle d’attente, une revue. Elle s’en empara car elle crut reconnaître le nom de sa fille, Iris, en première page. Autant Henriette Grobz goûtait le succès littéraire de sa fille et s’en gargarisait, autant elle réprouvait son exposition médiatique. On parle trop de toi, ma chérie, ce n’est pas bien de s’afficher partout comme ça !

Elle ouvrit le journal, le feuilleta, trouva l’article concernant Iris, sortit ses lunettes et entreprit de le lire. Il s’étalait sur une double page. Le titre de l’article disait « L’auteur d’Une si

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humble reine dans les bras de son page » et, en sous-titre : « À quarante-six ans, Iris Dupin bat le record de Demi Moore et s’affiche avec son nouvel amour, un garçon de dix-sept ans. » En illustration, se trouvaient des photos d’Iris avec un bel adolescent aux boucles brunes, au sourire éclatant, aux yeux vert sombre, à la peau ambrée. Quelle beauté, ce gosse ! se dit Henriette Grobz. Une série de photos montraient Iris le tenant par la taille, le serrant dans ses bras, reposant la tête contre son torse ou renversant le cou en fermant les yeux.

Henriette referma le journal d’un geste sec, sentit le sang lui monter aux joues et l’empourprer. Elle regarda autour d’elle si personne n’avait remarqué son trouble et se précipita audehors. Son chauffeur n’était pas là. Elle l’appela sur son portable et lui ordonna de venir la chercher. Elle venait de raccrocher et replaçait l’appareil dans son sac à main quand son regard tomba sur la vitrine d’un kiosque à journaux : sa fille s’étalait dans les bras du jeune Adonis sur toute la surface !

Elle crut s’évanouir et se jeta sur la banquette arrière de la voiture sans attendre que Gilles lui ouvre la porte.

Vous avez vu votre fille, madame ? demanda Gilles avec un grand sourire. Elle est affichée partout. Vous devez être fière !

Gilles, pas un mot là-dessus, ou je vais me trouver mal ! Quand on sera arrivés, vous irez acheter tous les exemplaires de ce torchon dans les kiosques autour de la maison, je ne veux pas que ça se sache dans le quartier.

Ça ne servira pas à grand-chose, madame, vous savez… Les nouvelles vont vite !

Taisez-vous et faites ce que je vous ai dit.

Elle sentit la migraine lui enserrer la tête et rentra précipitamment chez elle, en évitant le regard de la concierge.

Joséphine était sortie acheter une baguette. Elle en profita pour appeler Luca. Les enfants lui prenaient tout son temps. Ils n’arrivaient à se voir que l’après-midi, quand les filles étaient à l’école. Il habitait un grand studio à Asnières. Au dernier étage d’un immeuble moderne, avec une terrasse donnant sur Paris.

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Elle n’allait plus en bibliothèque, elle le retrouvait chez lui. Il tirait les rideaux du studio et c’était la nuit.

— Je pense à vous, lui dit-elle en parlant tout bas.

La boulangère ne la quittait pas des yeux. Se peut-il qu’elle devine que je parle à un homme que j’aime, avec qui je passe mes après-midi au lit ? se demanda Jo en surprenant le regard de fouine que la boulangère lui jeta en aboyant soixante-dix centimes.

Vous êtes où ?

J’achète du pain. Gary a dévoré deux baguettes en rentrant de l’école.

Demain, je vous ferai un thé avec des gâteaux, vous aimez les gâteaux ?

Joséphine ferma les yeux de plaisir et fut tirée de sa rêverie par la boulangère qui lui enjoignait de prendre sa baguette et de laisser la place aux clients qui attendaient.

J’ai hâte d’y être, reprit Joséphine en sortant dans la rue. Savez-vous que mes jours sont devenus des nuits depuis quelque temps ?

Je suis le soleil et la lune à la fois, vous me faites trop d’honneur…

Elle sourit, releva la tête et tomba, elle aussi, sur la photo de sa sœur en vitrine du kiosque à journaux.

Mon Dieu ! Luca, si vous saviez ce que je vois !

Laissez-moi deviner, dit-il en riant.

Oh non ! Ce n’est pas drôle du tout. Je vous rappelle… Elle se précipita pour acheter le journal et le lut dans

l’escalier.

Josiane et Marcel dînaient chez Ginette et René lorsque Sylvie, la fille de ces derniers, entra dans la pièce et jeta sur la table un journal en leur disant « lisez, vous allez bien vous marrer ! ».

Ils se jetèrent dessus et ne tardèrent pas à se tordre les boyaux. Josiane riait si fort que Marcel lui ordonna d’arrêter :

— Ça va te donner des contractions et tu vas accoucher prématurément !

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