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Добавлен: 05.08.2024

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Marcel Grobz étendit le bras à travers le lit pour ramener à lui le corps de sa maîtresse, qui s’était écartée d’un vigoureux coup de reins et lui tournait le dos de façon ostensible.

Arrête, Choupette, me boude pas. Tu sais bien que je supporte pas.

Je te parle d’un truc hyper-important et tu m’écoutes pas.

Mais si… Mais si… Allez, viens… Je te promets que je t’écoute.

Josiane Lambert se détendit et roula son déshabillé en dentelles mauve et rose contre le corps majestueux de son amant. Son large ventre débordait sur ses hanches, des poils roux ornaient sa poitrine et une couronne de cheveux blondroux son crâne chauve. Ce n’était pas une jeunesse, Marcel, mais ses yeux bleu vif, malins, perçants le rajeunissaient considérablement. « Tes mirettes ont vingt ans », lui chantonnait Josiane dans l’oreille après l’amour.

Pousse-toi, tu prends toute la place. T’as grossi, t’as du gras partout ! dit-elle en lui pinçant la taille.

Trop de repas d’affaires en ce moment. Les temps sont durs. Faut convaincre, et pour convaincre il faut endormir la méfiance de l’autre, le faire bouffer et picoler et… bouffer et picoler !

Bon ! Je vais te servir un verre et tu m’écouteras.

Reste là, Choupette ! Allez… Je t’écoute. Vas-y !

Alors voilà…

Elle avait rabattu le drap juste en dessous de ses larges seins blancs veinés de violet délicat et Marcel avait du mal à détacher les yeux de ces deux globes qu’il tétait avidement quelques instants auparavant.

Il faut engager Chaval, lui donner des responsabilités et de l’importance.

Bruno Chaval ?

Oui.

Et pourquoi ? T’es amoureuse de lui ?

Josiane Lambert gloussa de ce rire profond et rauque qui le rendait fou et son menton disparut dans trois colliers de gras autour du cou qui se mirent à trembler comme de la gelée anglaise.

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Mmmm ! Qu’est-ce que j’aime ton cou…, rugit Marcel Grobz en plongeant son nez dans l’un des cercles flasques du col de sa maîtresse. Tu sais ce qu’un vampire dit à la femme dont il vient de sucer le cou…

Aucune idée, répondit Josiane qui tenait plus que tout à poursuivre son raisonnement et supportait mal qu’il l’interrompît.

Merci beaucoup.

Merci beaucoup quoi ?

Merci beau cou…

Ah, très drôle ! Très très drôle ! C’est fini les calembours et les histoires vaseuses ? Je peux parler ?

Marcel Grobz prit un air contrit.

Je le ferai plus, Choupette.

Donc je te disais…

Et comme son amant replongeait une fois de plus dans un des nombreux plis de son corps voluptueux :

Marcel, si tu continues je fais la grève. Je t’interdis de me toucher pendant quarante jours, quarante nuits ! Et cette fois-ci je te promets que je tiendrai bon.

La dernière fois, il avait dû, pour rompre la quarantaine, lui offrir un collier de trente et une perles de culture des mers du Sud, avec un fermoir boule pavé de diamants brillantés et une monture en platine. « Avec un certificat, avait exigé Josiane, ce n’est qu’à cette condition que je rendrai les armes et te laisserai poser tes grosses pattes sur moi ! »

Marcel Grobz était fou du corps de Josiane Lambert. Marcel Grobz était fou du cerveau de Josiane Lambert.

Marcel Grobz était fou du bon sens paysan de Josiane Lambert.

Il consentit donc à l’écouter.

Il faut engager Chaval sinon il va aller à la concurrence.

Il n’y a presque plus de concurrents, je les ai tous mangés !

Détrompe-toi, Marcel. Tu les as estourbis, d’accord, mais ils peuvent se réveiller un beau jour et t’estourbir à leur tour. Surtout si Chaval leur donne un coup de main… Allez… sérieux ! Écoute-moi !

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Elle était maintenant tout à fait redressée, le buste ceint d’un drap rose, les sourcils froncés et la mine sérieuse. Elle avait l’air aussi sérieux dans les affaires que dans le plaisir. C’était une femme qui ne trichait jamais.

C’est très simple : Chaval est un excellent comptable doublé d’un excellent vendeur. Je détesterais te voir un jour en position de rivalité avec un homme qui allie à la perfection ces deux qualités : l’habileté du vendeur et la rigueur financière du comptable. Le premier gagne de l’argent avec les clients et le second le rentabilise au maximum. Or la plupart des gens ne possèdent qu’un seul de ces deux talents…

Marcel Grobz s’était à son tour redressé sur un coude et, attentif, écoutait sa maîtresse.

Les commerciaux savent vendre, mais maîtrisent rarement les aspects financiers plus subtils de la transaction : le mode de paiement, les échéances, les frais de livraison, les réductions consenties. Toi-même, si je n’étais pas là, tu serais bien en peine de…

Tu sais très bien que je ne peux plus vivre sans toi, Choupette.

C’est ce que tu prétends. J’aimerais un peu plus de preuves tangibles.

C’est parce que je suis un très mauvais comptable. Josiane eut un sourire qui montrait qu’elle n’était pas dupe

de cette dérobade, et reprit son raisonnement.

Et pourtant, ce sont justement ces faits précis, ces aspects financiers, qui font toute la différence entre une marge à trois chiffres, à deux chiffres ou à zéro chiffre !

Marcel Grobz était maintenant assis, torse nu, la tête appuyée contre les barreaux du lit en cuivre, et il poursuivait seul et tout haut le raisonnement de sa maîtresse.

Ça voudrait dire, Choupette, qu’avant que Chaval ne comprenne tout ça, avant qu’il ne se dresse contre moi et me menace…

Engageons-le !

Et on le met où ?

À la tête de l’entreprise et, pendant qu’il la fait fructifier, nous, on se diversifie, on développe d’autres lignes… En ce

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moment, tu n’as plus le temps d’anticiper. Tu n’agis plus, tu réagis. Or, ton vrai talent est de respirer ton temps, de le renifler, de prévoir ce dont les gens vont avoir envie… Nous engageons Chaval, nous le laissons s’échiner sur les épines du présent et nous voguons sur l’écume de demain ! Pas mal, non ?

Marcel Grobz dressa l’oreille. C’était la première fois qu’elle disait « nous » en parlant de l’entreprise. Et elle l’avait dit plusieurs fois de suite. Il s’écarta pour l’observer ; elle s’exprimait, le visage rouge, l’air concentré, et ses sourcils se rejoignaient en un V profond et hérissé de poils blonds. Il se fit la réflexion que cette femme, cette maîtresse idéale qui ne reculait devant aucune gâterie sexuelle et possédait tous les talents, avait, depuis quelques minutes, toutes les ambitions. Ça me change de ma femme qui me fait des pipes avec une paille, et encore à chaque fois qu’on élit un nouveau pape ! J’ai beau lui appuyer sur la nuque, elle y va pas. Josiane, elle, y allait franco. À grands coups de reins, à grands coups de langue, à grands coups de nichons, elle l’envoyait aux anges, lui faisait crier maman, le faisait rebondir de baiser en baiser, le léchait, le caressait, le serrait entre ses cuisses vigoureuses et, lorsque le dernier spasme venait à mourir sur ses lèvres, elle le recueillait doucement entre ses bras, l’apaisait, le ragaillardissait avec une fine analyse de la vie de l’entreprise avant de l’expédier à nouveau au ciel de lit. Quelle femme ! se dit-il. Quelle maîtresse ! Généreuse. Affamée. Douce au plaisir, dure au travail. Blanche, laiteuse, voluptueuse, à se demander où elle planque les os de son squelette !

Josiane travaillait pour lui depuis quinze ans. Elle avait échoué dans son lit peu après s’être fait engager comme secrétaire. Petite femme efflanquée et triste quand elle était entrée dans l’entreprise, elle avait prospéré sous sa férule. Elle possédait, comme seul diplôme, celui d’une école minable où on lui avait appris la dactylographie et l’orthographe – et encore… l’orthographe sans fioriture – et un CV chaotique d’où il ressortait qu’elle ne restait pas longtemps dans un emploi. Marcel avait décidé de lui faire confiance. Il y avait dans cette petite femme qui se tenait devant lui quelque chose de sournois, de buté qui lui plaisait sans qu’il sache pourquoi. Elle était tout

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en dents et en arêtes. Elle pourrait aussi bien se montrer une alliée qu’une adversaire redoutable. C’est pile ou face, s’était dit Marcel. Il était joueur, il l’engagea. Elle venait du même milieu que lui. La vie l’avait formée à coups de baffes, de brutes qui s’étaient collées contre elle, l’avaient tripotée, enfournée sans qu’elle ait eu le droit de se défendre. Marcel avait vite compris, à la regarder, qu’elle ne demandait, comme lui, qu’à se dépêtrer de ce bourbier. « Mon salaire pleure misère, va falloir lui rendre le sourire », lui avait-elle déclaré neuf mois après avoir débuté. Il avait obtempéré et mieux : il en avait fait une odalisque rusée et avisée, débordante de chair et d’intelligence. Peu à peu elle avait éliminé toutes ses maîtresses, celles qui le consolaient de la triste compagnie conjugale. Il ne le regrettait pas. Il ne s’ennuyait jamais avec Josiane. Ce qu’il regrettait, c’était d’avoir épousé Henriette. Le Cure-dents constipé. La peine-à-jouir mais prompte-à-dépenser, qui pompait allégrement son fric sans jamais rien donner ni de son corps ni de son cœur. Mais qu’estce que j’ai été con de l’épouser ! J’ai cru que j’allais m’élever socialement. Tu parles d’un ascenseur ! Elle n’a jamais dépassé le rez-de-chaussée.

Marcel, tu m’écoutes ?

Mais oui, Choupette.

Fini le temps des spécialistes ! Les entreprises en débordent. Il nous faut à nouveau des généralistes, des généralistes géniaux. Et ce Chaval est un généraliste génial !

Marcel Grobz sourit.

Je suis moi-même un généraliste génial, je te rappelle.

C’est pour ça que je t’aime, Marcel !

Parle-moi de lui…

Et pendant que Josiane déroulait la vie et la carrière de cet employé qu’il avait à peine remarqué, Marcel Grobz revivait la sienne. Des parents juifs, émigrés polonais, qui s’installent à Paris dans le quartier de la Bastille, le père tailleur, la mère blanchisseuse. Huit enfants. Dans deux pièces. Peu de câlins, beaucoup de baffes. Peu de douceurs, beaucoup de pain sec. Marcel avait grandi tout seul. Il s’était inscrit dans une obscure école de chimie, pour obtenir un diplôme, et avait trouvé son premier emploi dans une entreprise de bougies.

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C’est là qu’il avait tout appris. Le patron sans enfants l’avait pris en sympathie. Il lui avait avancé de l’argent pour qu’il rachète une première entreprise en difficulté. Puis une deuxième… Ils en parlaient tous les deux, le soir, quand la boutique était fermée. Il le conseillait, l’encourageait. C’est ainsi que Marcel était devenu « liquidateur d’entreprises ». Il n’aimait pas beaucoup ce mot, mais il aimait racheter des affaires moribondes qu’il redressait avec son savoir-faire et sa puissance de travail. Il racontait qu’il s’endormait souvent à la bougie et se réveillait avant qu’elle ne soit consumée. Il racontait aussi que toutes ses idées, il les avait eues en marchant. Il arpentait les rues de Paris, observait les petits commerçants derrière leur caisse, les devantures, les marchandises qui débordaient sur les trottoirs. Il écoutait les gens parler, grogner, gémir et il en déduisait leurs rêves, leurs besoins, leurs désirs. Longtemps avant tout le monde, il avait senti venir l’envie de se replier chez soi, la peur de l’extérieur, de l’étranger, « le monde devient trop dur, les gens ont envie de se recroqueviller chez eux, dans leur maison, autour d’accessoires comme une bougie, un set de table, une assiette ou un dessous- de-plat ». Il avait décidé de concentrer tous ses efforts sur le concept de la maison. Casamia. C’était le nom de la chaîne, comprenant des magasins à Paris et en province. Une puis deux, trois, cinq, six, neuf affaires s’étaient ainsi reconverties en magasins Casamia de bougies parfumées, de décorations de table, de lampes, de canapés, de cadres, de parfums d’intérieur, de stores et de rideaux, d’objets pour la salle de bains, la cuisine. Le tout, à petit prix. Fabriqué à l’étranger. Il avait été parmi les premiers à monter des usines en Pologne, en Hongrie, en Chine, au Vietnam, en Inde.

Mais un jour, un jour maudit, un gros fournisseur lui avait dit : « Ils sont très bien, vos articles, Marcel, mais dans vos boutiques, le décor manque un peu de classe ! Vous devriez engager une styliste qui donnerait une unité à vos produits, un petit je-ne-sais-quoi qui ajouterait une valeur à votre entreprise ! » Il avait mâché et remâché ces propos et, sur un coup de tête, avait engagé…

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Henriette Plissonnier, veuve sèche mais racée, qui savait mieux que personne ordonner le drapé d’une étoffe ou créer un décor avec deux brins de paille, un morceau de satin et une céramique. Quelle classe ! s’était-il dit en la voyant quand elle s’était présentée à la suite de la petite annonce qu’il avait fait passer. Elle venait de perdre son mari et élevait seule ses deux gamines. Elle n’avait aucune expérience, « juste une excellente éducation et le sens inné de l’élégance, des formes et des couleurs, lui avait-elle dit en le balayant du regard. Voulez-vous que je vous le prouve, cher monsieur ? » et sans qu’il eût le temps de répondre, elle avait déplacé deux vases, déroulé un tapis, retroussé un rideau, changé trois babioles sur son bureau qui, soudain, avait eu l’air de trôner dans une revue de décoration. Puis elle s’était rassise et avait souri, satisfaite. Il l’avait engagée d’abord comme accessoiriste, puis l’avait promue décoratrice. Elle lui faisait ses vitrines, s’occupait de mettre en valeur la promotion du mois – flûtes à champagne, gants de cuisine, tabliers, lampes, abat-jour, photophores –, participait à la sélection des commandes, lançait la « note » de la saison, saison bleue, saison fauve, saison blanche, saison dorée… Il était tombé amoureux de cette femme qui représentait un monde inaccessible pour lui.

Au premier baiser, il crut effleurer une étoile.

Lors de leur première nuit ensemble, il la photographia avec un Polaroid pendant qu’elle dormait et glissa le cliché dans son portefeuille. Elle ne le sut jamais. Pour leur premier week-end, il l’emmena à Deauville, à l’hôtel Normandy. Elle ne voulut pas sortir de la chambre. Il prit cela pour de la pudeur, ils n’étaient pas encore mariés, il comprit, plus tard, qu’elle avait eu honte de s’afficher avec lui.

Il l’avait demandée en mariage. Elle avait répondu : « Il faut que je réfléchisse, je ne suis pas seule, j’ai deux petites filles, vous le savez. » Elle s’entêtait à le vouvoyer. Elle l’avait fait attendre six mois sans jamais une allusion à sa demande, ce qui le rendait fou. Un jour, sans qu’il sache pourquoi, elle avait dit : « Vous vous souvenez de la proposition que vous m’avez faite ? Eh bien, si cela tient toujours, c’est oui. »

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En trente ans de mariage, il ne l’avait jamais amenée chez ses parents. Elle les avait rencontrés une seule fois, au restaurant. À la sortie, en remettant ses gants et en cherchant des yeux la voiture avec chauffeur qu’il avait mise à sa disposition, elle lui avait simplement dit : « Dorénavant, vous les verrez de votre côté si vous voulez, mais sans moi. Je ne crois pas que ce soit nécessaire que je poursuive cette relation… »

C’est elle qui l’avait baptisé Chef. Elle trouvait Marcel commun. À présent, tout le monde l’appelait Chef. Sauf Josiane.

Sinon il était Chef. Chef qui signait les chèques. Chef qu’on installait en bout de table lorsqu’il y avait des dîners. Chef qu’on interrompait quand il parlait. Chef qui dormait à part dans une toute petite chambre, dans un tout petit lit, dans un coin de l’immense appartement.

Pourtant, on l’avait prévenu. « Tu te fourvoies avec cette femme, lui avait dit René, son magasinier et son ami avec qui il buvait des verres en sortant du bureau. Elle doit pas être facile à traire ! » Il avait dû reconnaître que René avait raison. « C’est à peine si elle me laisse l’escalader. Et je te dis pas le mal que je dois me donner pour qu’elle s’incline jusqu’à Popaul, l’affamé ! Faut la tenir ferme et bien appuyer sur la nuque. Je dors souvent sur la béquille avec cette femme-là. Et Popaul, il se la met en berne la plupart du temps. Pas question qu’elle me tripote ou me suçote. Elle fait la mijaurée. – Ben alors… Laissela tomber », avait dit René. Pourtant, Chef hésitait : Henriette le posait en société. « J’ai qu’à la sortir à un dîner pour que les convives me regardent différemment… Et je te jure qu’il y a des contrats que j’aurais pas signés sans elle ! – Ben moi, je louerais une professionnelle si j’étais toi ! Une pute stylée, ça existe. T’as qu’à en trouver une qui te fera de l’effet à table et au lit. Au prix que tu la paies ta légitime ! »

Marcel Grobz se tapait les cuisses de rire.

Mais il restait marié avec Henriette. Il avait fini par la nommer présidente de son conseil d’administration. Bien obligé : sinon elle boudait. Et quand Henriette boudait, d’insupportable elle devenait détestable. Il avait donc cédé. Ils s’étaient mariés avec un contrat de séparation de biens et il avait rédigé une donation en son nom. Quand il mourrait, elle

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hériterait de tous ses biens. Il était fait aux pattes ! Plus elle le traitait mal, plus il lui était attaché. Il lui arrivait de se dire qu’il avait pris trop de baffes, petit, et qu’il y avait pris goût ; l’amour n’était pas une denrée faite pour lui. Ça lui allait bien, comme explication.

Et puis Josiane était arrivée. L’amour était entré dans sa vie. Mais aujourd’hui, à soixante-quatre ans sonnés, c’était trop tard pour tout recommencer. S’il divorçait, Henriette réclamerait la moitié de sa fortune.

Et ça, il n’en est pas question, protesta-t-il à haute voix.

Mais pourquoi, Marcel ? On peut lui faire un beau contrat sans lui donner de participation ou juste une toute petite pour qu’il se sente concerné et n’ait pas envie de filer ailleurs…

Toute petite, alors.

Entendu.

Putain, quelle chaleur ! J’ai les bonbons qui collent au papier. T’irais pas me chercher une petite orangeade glacée…

Elle sortit du lit dans un froufrou de dentelles froissées et de cuisses qui frottent. Elle avait encore grossi. Marcel ne put s’empêcher de sourire. Il aimait les femmes potelées.

Il tira un cigare de son étui posé sur la table de nuit, entreprit de le couper, de le rouler, de le renifler puis de l’allumer. Passa la main sur son crâne chauve. Fit une moue de chaland retors. Il faudrait qu’il se méfie de ce Chaval. Ne pas lui donner trop de pouvoir ni d’importance dans l’entreprise. Il faudrait aussi qu’il vérifie que la petite n’en pinçait pas pour lui… Dame ! À trente-huit ans, elle doit avoir envie de chair fraîche. Et d’une bonne place au premier rang. Toujours cachée, empêchée de légitimité à cause du Cure-dents, c’est pas une vie, pauvre Josiane !

Je pourrai pas rester ce soir, Choupette. Y a ripaille chez la fille du Cure-dents !

La pointue ou la ronde ?

La pointue… Mais la ronde sera là. Avec ses deux filles. Dont une, je te dis pas, ce qu’elle est dégourdie. La façon dont elle me regarde. Tu veux que je te dise : elle me poinçonne, cette gamine. Je l’aime bien, elle est très classe, elle aussi…

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Tu me bassines avec ta classe, Marcel. Si t’étais pas là pour banquer, elles baveraient du râtelier, ces femelles. Elles feraient comme tout le monde, des pipes ou des ménages !

Marcel préféra ne pas engager le fer avec Josiane et lui tapota la croupe.

Pas grave, poursuivit-elle, j’ai les feuilles de paie à terminer et j’inviterai Paulette à venir regarder un film. T’as raison, fait une de ces chaleurs ! On supporte pas son slip.

Elle lui tendit un verre d’orangeade glacée qu’il but d’un trait puis se grattant le ventre, il émit un rot sonore et éclata de rire.

Ah, si Henriette me voyait ! Elle en perdrait ses bas.

Celle-là, m’en parle pas si tu veux que je reste ta petite poule au pot.

Allez, ma doucette, te fâche pas… Tu sais bien que je la touche plus.

Manquerait plus que ça ! Que je te trouve au lit avec la rombière !

Elle ne trouvait plus ses mots et manqua s’étouffer d’indignation.

Cette pouffiasse, cette salope !

Elle savait qu’il aimait l’entendre insulter le Cure-dents. Ça l’excitait quand elle égrenait des injures comme on déroule un vieux chapelet. Il se mit à se tortiller sur le lit pendant qu’elle continuait de sa voix grave et rauque, « cette pimbêche au cul sec, cette duchesse jaune comme un coing, elle se bouche le nez quand elle va aux cabinets, peut-être ? Parce qu’elle a pas de trou entre les jambes, l’immaculée ? Parce qu’elle s’est jamais fait enfiler par un gros braquemart bien aiguisé qui la perce jusqu’aux dents et lui fait sauter les plombages ? ».

Celle-là, il ne l’avait jamais entendue ! Ce fut comme un coup d’épée qui lui transperça les reins, et le projeta en avant, jambes tendues, cou et nuque projetés contre le haut du lit. Il attrapa les barreaux ronds en cuivre entre ses grosses pattes velues, tendit les jambes, tendit le ventre, sentit son sexe se durcir à lui faire mal et, alors qu’elle continuait de plus en plus grasse, de plus en plus ordurière, lâchant les insultes comme on débonde des eaux usées, n’en pouvant plus il l’attrapa, la colla contre lui en jurant qu’il allait la bouffer et la bouffer encore.

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