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Добавлен: 05.08.2024
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La première fois qu’Antoine s’était transformé en fontaine, c’était ici, à ce balcon, un soir de mai… Ils regardaient ensemble les arbres de l’avenue Raphaël ; il avait dû se sentir si empêtré, si impuissant face à la perfection des arbres, des immeubles, des rideaux du salon, qu’il avait perdu le contrôle de son thermostat intérieur et s’était mis à dégouliner. Ils avaient filé dans la salle de bains et inventé une explosion de robinets pour expliquer l’état lamentable de sa veste, de sa chemise. Ce soir-là, peutêtre, ils nous ont crus mais après, ce n’a plus été possible. Et moi, je ne l’en aimais que davantage ! Je le comprenais si bien, moi qui ruisselais à l’intérieur.
On n’entendait plus que le bruit des pages que tournait Chef dans le plus grand silence. Que fait ma petite poule en sucre en ce moment ? se demandait-il, émoustillé. Dans quelle position repose-t-elle ? Affalée sur le ventre sur le canapé du salon en train de regarder une de ces mauvaises comédies dont elle raffole ? Ou étalée dans son lit comme une grosse crêpe blonde, dans ce lit même où on a roulé tous les deux cet après-midi et où… Il fallait qu’il arrête tout de suite. J’ai la trique et ça va se voir ! Il avait mis, sur l’ordre du Cure-dents, un pantalon en gabardine, gris, léger, qui le boudinait et ne manquerait pas de souligner une érection intempestive. Cette éventualité le figea dans un fou rire qu’il étouffa si bien qu’il sursauta lorsque Carmen se pencha sur lui et demanda :
— Un petit macaron avec votre café, monsieur ?
Elle lui présentait une assiette de douceurs au chocolat, à la pâte d’amandes, au caramel.
— Non merci, Carmen, j’ai les dents du fond qui baignent ! En entendant ces mots, Henriette Grobz eut un frisson de
dégoût et sa nuque se raidit. Chef se réjouit. Fallait quand même pas qu’elle oublie à qui elle était mariée ! Il se faisait un malin plaisir de le lui rappeler. Comme pour marquer sa réprobation muette et mettre de la distance entre Chef et elle, Henriette Grobz se leva et alla rejoindre Joséphine près de la fenêtre. La vulgarité de cet homme, c’était son châtiment, la croix qu’il lui fallait porter. Elle avait beau ne plus partager son bureau, ne plus partager sa chambre, ne plus partager son lit, elle craignait toujours qu’il ne la contamine, comme s’il était porteur d’un
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virus dangereux. Avait-il fallu qu’elle fût aux abois pour épouser un homme aussi fruste ! Et il se portait comme un chêne, en plus. Cette vigueur la rendait de plus en plus irritable. Parfois elle était si énervée de le voir jovial et puissant qu’elle n’arrivait plus à respirer et avait des palpitations. Elle prenait des comprimés pour se détendre. Combien de temps vais-je devoir encore le supporter ? Elle poussa un long soupir et préféra concentrer son attention sur sa fille qui, appuyée contre la fenêtre, contemplait le balancement des arbres alors qu’une faible brise s’était levée, répandant enfin un peu d’air frais sur cette soirée.
—Viens par ici, ma chérie, que nous parlions toutes les deux, lui dit-elle en l’entraînant vers un canapé, au fond du salon.
Iris vint aussitôt les rejoindre.
—Alors… Joséphine, attaqua Henriette Grobz, que comptestu faire maintenant ?
—Continuer…, répondit Joséphine, butée.
—Continuer ? demanda Henriette Grobz, surprise. Continuer quoi ?
—Eh bien… euh… Continuer ma vie…
—Sérieusement, chérie…
Quand sa mère l’appelait « chérie », l’heure était grave. La pitié, le sermon, la condescendance allaient se succéder comme les couplets d’une rengaine éculée.
—Enfin… Ça ne te regarde pas ! balbutia-t-elle. C’est mon problème.
Joséphine avait donné à cette réponse, trop rapide pour qu’elle la maîtrise, un ton agressif auquel n’était pas habituée l’auteur de ses jours qui se rembrunit aussitôt.
—En voilà une façon de me répondre ! répliqua Henriette Grobz, piquée.
—Qu’as-tu décidé ? reprit Iris de sa voix douce et enveloppante.
—De m’en sortir… et toute seule, répondit Joséphine d’une façon plus brusque qu’elle n’aurait voulu.
—Ah ! C’est vraiment ingrat de refuser l’aide qu’on te propose, dit Henriette Grobz, pincée.
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—Peut-être mais c’est comme ça. Je ne veux plus qu’on en parle, d’accord ?
Sa voix était allée crescendo et la fin de sa phrase dérailla en un cri aigu qui détonna dans l’atmosphère ouatée de cette soirée paisible.
Tiens, tiens, quel est ce raffut ? se dit Chef, tendant l’oreille. On me cache tout ! Je suis vraiment la dernière roue du carrosse dans cette famille. Mine de rien, il fit glisser le journal sur la table basse pour se rapprocher de l’endroit où se tenaient les trois femmes.
—T’en sortir et comment ?
—En travaillant, en donnant des petites leçons, en… Je ne sais pas, moi ! Pour le moment, j’émerge et, croyez-moi, c’est assez dur comme ça. Je n’ai pas encore réalisé, je crois.
Iris regarda sa sœur et admira son courage.
—Iris, demanda Madame mère, qu’en penses-tu ?
—Jo a raison, c’est tout nouveau encore. Laissons-la se remettre avant de lui demander ce qu’elle compte faire.
—Merci, Iris…, soupira Joséphine qui osa penser que l’orage était passé.
C’était sans compter sans l’obstination de Madame mère.
—Moi, quand je me suis retrouvée seule à vous élever, j’ai retroussé mes manches et j’ai travaillé, travaillé…
—Mais je travaille, maman, je travaille ! Tu sembles toujours l’oublier.
—Je n’appelle pas ça travailler, ma petite fille.
—Parce que je n’ai pas de bureau, pas de patron, pas de tickets-restaurant ? Parce que ça ne ressemble à rien de ce que tu connais ? Mais je gagne ma vie, que tu le veuilles ou non.
—Un salaire de misère !
—J’aimerais savoir combien tu gagnais chez Chef quand tu as commencé. Ça ne devait pas être mieux.
—Ne prends pas ce ton pour me parler, Joséphine.
Chef, émoustillé, se redressa. Mes couilles, le temps se brouille, se dit-il. La soirée devenait, enfin, amusante. La Duchesse allait enfourcher ses grands chevaux, empiler mensonge sur mensonge, fouiller sa mémoire et exhiber la vieille image de veuve pieuse et de mère remarquable qui s’était
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sacrifiée pour ses enfants ! Il connaissait son numéro de victime par cœur.
—C’est vrai que ça a été très dur. On s’est serré la ceinture mais mes qualités ont fait que Chef m’a vite remarquée… et que j’ai pu faire face…
Elle se rengorgea, encore tout émue de cette victoire incroyable remportée sur l’adversité et une image vint se superposer au discours : celle d’une femme belle, grande, héroïque, fendant les flots déchaînés telle une figure de proue, traînant deux jeunes orphelines au nez rougi par les pleurs. C’était son titre de gloire d’avoir su élever, seule, ses deux filles, sa Marseillaise, sa Légion d’honneur.
Tu as fait face parce que je te glissais des enveloppes remplies de billets sous des prétextes fallacieux, et que tu faisais semblant de ne rien remarquer pour ne pas avoir à me remercier, pensa Chef en mouillant son index pour tourner les pages de son journal. Tu as fait face parce que tu étais une grognasse-née, plus vénale et impitoyable que la plus rouée des putains ! Mais j’étais déjà pris aux pattes et j’aurais tout fait pour te plaire, te soulager.
—… Et qu’ensuite mon travail a été reconnu par tous, même par les concurrents de Chef et qu’il a voulu à tout prix me garder…
J’avais tellement envie de te séduire que je t’aurais filé un salaire de PDG sans que tu aies besoin de me le demander. Je t’ai fait croire que tous te voulaient pour que tu acceptes l’argent que je te donnais sans en être offensée. Qu’est-ce que j’ai été bête mais bête ! À bouffer du foin avec une fourchette ! Et aujourd’hui, tu fais la vertueuse. Mais dis-lui à ta fille comment tu m’as appâté ? Comment tu m’as mené par le bout du nez ! Je croyais être un mari, je suis devenu un larbin. Je t’ai supplié de me faire un petit et tu m’as éclaté de rire au nez. Un enfant ! Un petit Grobz ! Ta bouche vomissait mon nom comme si tu étais déjà en train de te faire avorter. Et tu riais ! Tu es si laide quand tu ris, si laide ! Raconte-leur ça aussi ! Dis la vérité ! Qu’elles apprennent ! Que les hommes sont des enfants attardés ! Qu’on les mène en agitant un bout de chiffon rouge ! Ils marchent comme des soldats troupiers ! D’ailleurs, je devrais me méfier
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avec Choupette… Cette histoire de Chaval ne me plaît qu’à moitié.
—Je ferai comme toi. Je travaillerai. Et je me débrouillerai toute seule.
—Tu n’es pas toute seule, Joséphine ! Tu as deux filles, je te le rappelle.
—Tu n’as pas besoin, maman, je le sais. Je ne suis pas près de l’oublier.
Iris écoutait cette conversation et pensait que, bientôt peutêtre, elle serait dans la même situation. Si Philippe, pris d’un courage insensé, réclamait sa liberté… Elle l’imagina soudain en Mousquetaire intrépide et cela la fit sourire. Non ! Ils étaient pris ensemble dans le même filet : celui de la respectabilité. Elle ne craignait rien. Pourquoi avait-elle toujours peur que le Ciel lui tombe sur la tête ?
—Tu me parais un peu légère, Joséphine. J’ai toujours pensé que tu étais trop naïve pour cette vie d’aujourd’hui. Trop désarmée, ma pauvre enfant !
Alors Joséphine vit rouge. Des années et des années de ce même ton larmoyant employé à son sujet crépitèrent soudain comme des balles qui lui crevaient le cœur et elle éclata.
—Tu me fais chier, maman ! Tu me fais chier avec ton discours bien-pensant ! Je ne te supporte plus ! Tu crois que je gobe tes histoires édifiantes de veuve méritante ? Tu crois que je ne sais pas ce que tu as fait avec Chef ! Que je n’ai pas deviné tes manœuvres minables ? Tu as épousé Chef pour son argent ! C’est comme ça que tu t’en es sortie, pas autrement ! Pas parce que tu as été courageuse, travailleuse et méritante. Alors ne me fais pas la leçon. Si Chef avait été pauvre, tu ne l’aurais pas regardé. Tu en aurais trouvé un autre. Je n’ai jamais été dupe, vois-tu. Je l’aurais accepté, j’aurais compris que tu le fasses pour nous, j’aurais même trouvé ça beau et généreux si tu ne te posais pas tout le temps en victime, si tu n’employais pas ce ton condescendant quand tu t’adresses à moi comme si j’étais une ratée, une minable… Je n’en peux plus de ton hypocrisie, je n’en peux plus de tes mensonges, je n’en peux plus de tes bras en croix, de ton sacrifice… Cette manière de me faire la leçon à
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chaque fois, alors que toi, tu as juste exercé le plus vieux métier du monde !
Puis, se tournant vers Chef, qui écoutait sans plus se cacher :
— Je suis désolée, Chef…
Et devant sa bonne figure à la bouche ouverte dont elle percevait le ridicule mais aussi, soudain, toute la bonté, la générosité, elle fut mordue par le remords et ne sut que répéter :
—Je suis désolée, désolée… Je ne voulais pas te faire du mal.
—T’en fais pas, petite Jo, je suis pas né de la dernière pluie. Joséphine rougit. Elle aurait voulu l’épargner, mais elle
n’avait pu se maîtriser.
— C’est sorti d’un coup !
Elle énonça cette évidence alors que sa mère, muette et livide, s’était laissée tomber dans le canapé et s’éventait d’une main, menaçant de tourner de l’œil pour de bon afin d’attirer l’attention sur elle.
Joséphine lui lança un regard exaspéré. Elle allait bientôt réclamer un verre d’eau, se redresser, demander qu’on lui glisse un coussin dans le dos, gémir, trembler, lui lancer un regard noir, meurtrier où défileraient des sous-titres qu’elle connaissait par cœur : « Après tout ce que j’ai fait pour toi, me traiter comme ça, je ne sais pas comment je pourrai te pardonner, si c’est ma mort que tu veux, tu n’as plus longtemps à attendre, je préfère mourir que supporter une fille comme toi… » Elle savait à merveille faire naître un sentiment de culpabilité atroce chez l’autre afin qu’il s’enroule à ses pieds et demande pardon d’avoir osé la contredire, l’affronter. Joséphine l’avait vue faire avec son père d’abord, puis avec son beau-père.
Elle pensa un instant quitter le grand salon pour aller reprendre ses esprits dans la cuisine avec Carmen. Se passer un peu d’eau sur le visage, lui demander une aspirine. Elle était épuisée. Épuisée mais… heureuse, avec le sentiment que, pour la première fois de sa vie, elle avait osé être elle, Joséphine, cette femme qu’elle ne connaissait pas très bien, avec qui elle vivait depuis quarante ans sans vraiment lui prêter attention, mais dont elle mourait d’envie, maintenant, de faire connaissance. C’était la première fois que cette femme-là affrontait sa mère, la première fois qu’elle élevait la voix, qu’elle
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osait dire ce qu’elle pensait. La forme n’avait pas été très élégante, un peu grossière, un peu brouillon – elle le reconnaissait volontiers – mais le fond l’avait enchantée. Alors, pour cette femme-là, avant de quitter la pièce elle décida d’enfoncer le clou et faisant face à sa mère qui gémissait dans le canapé, elle ajouta d’une voix douce mais ferme :
—Ah ! j’oubliais, maman… je ne te demanderai rien, pas le moindre sou, pas le moindre conseil. Je vais me débrouiller seule, toute seule, dussions-nous en crever, moi et les filles ! Écoute-moi bien, aujourd’hui je te fais une promesse : jamais, plus jamais je ne serai un petit canard perdu au bord de la route
àqui tu feras la leçon et que tu remettras dans le droit chemin ! Parce que tu sais quoi ? Je suis une femme, mûre, responsable et je te le prouverai.
Il fallait qu’elle fasse attention : elle ne pouvait plus s’arrêter de parler.
Henriette Grobz détourna violemment la tête comme si la vue de sa fille lui était devenue insupportable et émit quelques grognements qui disaient qu’elle s’en aille ! Qu’elle s’en aille ! Je ne peux plus ! Je vais mourir…
Joséphine, amusée par la prévisibilité des réactions de sa mère, haussa les épaules et sortit du salon. Quand elle poussa la porte, elle entendit un petit cri, c’était Hortense qui écoutait, l’oreille collée au panneau en bois et qu’elle avait renversée.
—Qu’est-ce que tu fais là, chérie ?
—C’est malin ! lui dit sa fille. Tu as fait ton intéressante ? Tu te sens mieux maintenant, j’espère.
Joséphine préféra ne pas répondre et se réfugia dans la première pièce qui jouxtait le salon. C’était le bureau de Philippe Dupin. Elle ne le vit pas tout de suite mais entendit sa voix. Il était debout, en partie dissimulé dans les lourds rideaux en étamine rouge bordés de passementerie, et parlait à voix basse en tenant son téléphone contre l’oreille.
—Oh, pardon ! dit elle en refermant la porte derrière elle.
Il s’interrompit aussitôt. Elle l’entendit dire « je te rappelle », puis il raccrocha.
—Je ne voulais pas te déranger…
—C’était un peu plus long que je ne pensais…
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— Je voulais juste me reposer un peu… loin des…
Elle s’essuya le front où perlait une légère sueur et se dandina d’un pied sur l’autre en attendant qu’il l’invite à s’asseoir. Elle ne voulait pas l’encombrer, mais elle ne voulait pas non plus retourner dans le grand salon. Il la contempla un moment en se demandant ce qu’il convenait de dire et comment il allait faire le lien entre la conversation qu’il venait d’écourter et cette femme, gauche, bafouillante, qui le considérait en attendant quelque chose de lui. Il était toujours mal à l’aise avec les gens qui attendaient quelque chose de lui. Ils lui répugnaient. Il était incapable de la moindre empathie quand elle lui était ordonnée ou quémandée. La moindre irruption dans son intimité le rendait froid et hargneux. Joséphine lui faisait pitié. Éprouver de la pitié le dégoûtait. Il se disait bien qu’il lui fallait être gentil, l’aider mais il n’avait qu’une envie : s’en débarrasser au plus vite. Soudain il eut une idée.
—Dis-moi, Joséphine, est ce que tu parles anglais ?
—Si je parle anglais ? Mais bien sûr ! Anglais, russe et espagnol.
Si soulagée qu’il parle enfin, qu’il lui pose une question personnelle, elle avait pris une petite voix de trompette pour égrener ses capacités. Elle toussota et se reprit. Elle s’était vantée de manière bruyante. Elle n’était pas habituée à se mettre en avant mais la colère, ce soir, avait anéanti ses inhibitions.
—J’ai entendu dire par Iris que…
—Ah ! Elle t’en a parlé ?
—Je pourrais te trouver un travail pour que tu gagnes un peu d’argent. Il s’agirait de traduire des contrats importants, des contrats d’affaires. Oh, c’est très ennuyeux ! Mais c’est pas mal payé. Nous avions, au cabinet, une collaboratrice dont c’était la responsabilité mais elle vient de partir. Le russe, m’as-tu dit ? Tu le parles assez pour en connaître les subtilités quand il s’agit des affaires ?
—Je le parle assez bien, oui…
—Nous pourrions voir ça ensemble. Je te ferai faire un essai…
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Philippe Dupin resta un long moment silencieux. Joséphine n’osait pas l’interrompre. Cet homme si parfait l’intimidait et pourtant, étrangement, il ne lui avait jamais paru si humain. Le portable de Philippe se remit à sonner et il ne décrocha pas. Joséphine lui en fut reconnaissante.
—La seule chose que je te demanderai, Joséphine, c’est de n’en parler à personne. Absolument personne… Ni à ta mère, ni
àta sœur, ni à ton mari. Je préférerais que tout ça reste entre nous. Entre nous deux, je veux dire.
—J’aimerais bien aussi, soupira Joséphine. J’en ai marre, si tu savais, de devoir me justifier tout le temps auprès de tous ces gens qui me trouvent molle et nouille…
Les mots « molle » et « nouille » le firent sourire et la tension tomba d’un seul coup. Elle n’a pas tort, se dit-il. Il y a quelque chose d’insipide en elle. Ce sont exactement les mots que j’aurais employés pour la décrire. Il fut pris d’une vague sympathie pour cette petite belle-sœur maladroite mais attendrissante.
—Je t’aime beaucoup, Jo. Et je t’estime beaucoup aussi. Ne rougis pas ! Je te trouve très courageuse, très bonne…
—À défaut d’être belle et énigmatique comme Iris…
—C’est vrai qu’Iris est très belle mais tu as une autre beauté…
—Oh, Philippe, arrête ! Je vais pleurer… Je suis fragile en ce moment. Si tu savais ce que je viens de faire…
—Antoine est parti… C’est ça ?
Ce n’est pas à cela qu’elle pensait mais oui, elle se rappelait : Antoine était parti. Elle se reprit :
—Oui…
—Ce sont des choses qui arrivent…
—Oui, grimaça Joséphine dans un sourire, tu vois, dans mon malheur, je n’ai même pas l’apanage de l’originalité.
Ils se sourirent, et restèrent un moment silencieux. Puis Philippe Dupin se leva et alla consulter son agenda.
—On dit demain à mon bureau vers quinze heures. Ça te va ? Je te présenterai la personne chargée de superviser les traductions…
—Merci, Philippe. Merci beaucoup.
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Il posa un doigt sur sa bouche pour lui rappeler le secret qu’elle s’était engagée à tenir. Elle hocha la tête.
Dans le salon, assise sur les genoux de Marcel Grobz, passant et repassant la main sur son crâne chauve, Hortense Cortès se demandait ce que sa mère et son oncle pouvaient bien avoir à se dire pour rester enfermés aussi longtemps dans le bureau et comment elle allait bien pouvoir rattraper l’énorme gaffe commise ce soir par sa mère.
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